Camarade Soum, artiste

"Et puis vers la fin
Allez-vous gouverner des ossements?
'vive la République" sous dix cadavres
l'Assemblée Nationale au cimetière
Plus d'opposition -[ça c'est bon]
Il n'y aura plus de marches
Prenez tout 
Prenez tout
Gardez tout
Gardez tout
Allez-y volez tout
Au nom de la démocratie
Tuez-nous donc Messieurs,
Puisque c'est votre métier"
Soum Bill, 'République de Présidents"
 
En Côte d’Ivoire les artistes sont au pouvoir. Ou plutôt : il y a les artistes du pouvoir et ceux de l’opposition. Ceux qui applaudirent la rébellion, puis Alassane Ouattara et ceux qui soutinrent Laurent Gbagbo. Musiciens, chanteurs, écrivains – toute velléité artistique oubliée – se rangèrent dans des cases politiques, par conviction, affinité ou clientélisme. Tiken Jah Fakoli d’un côté, Gadji Celi de l’autre; Maurice Bandaman devenu ministre, Bernard Dadié momie déconsidérée.

Et l’on s’étonne que cette décennie ait été la moins créative de l’histoire de ce pays. Oh, ce n'est pas tant qu’ils n’aient « créé » de nouveaux « concepts ». Sagacité, Décaler-couper, Boboraba et autres ont remplacé le Zouglou (si riche, si jeune), le Zoblazo (si puissant, si physique) ou le Mapouka (si sensuel). Des mouvements de gymnastique sont présentés comme nouveaux « pas de danse » : "senvollement, senvollement, petit-vélo, petit-vélo". Borborygmes et onomatopées ont remplacé les paroles : "zoing zoing, grougroulougou, Tchoin, tchoin, tchoin" et j'en passe.

D'ailleurs, à quoi bon s’intéresser au "style" quand il suffit de gueuler « la grippe aviaire est vaincue en Côte d’Ivoire », trois cent fois d’affilée pour faire un tube ? Pourquoi s’échiner à composer une mélodie si un bon synthé suffit à faire d’une nullité comme « Douk Saga » un « artiste ». Quand je pense que des convois entiers de jeunes ivoiriens ont suivi le cercueil de ce moins-que-rien…

Il y avait encore, dans les années 90, des chansons ivoiriennes dont les paroles étaient en Ebrié, en Baoulé, en Dioula, en Bété ou d'autres langues locales. Désormais, tout le monde prétend chanter en "lingala" : "Episangana, Eh bissé maman hein" — je défie quiconque de trouver une traduction à de telles âneries. Autre signe des temps, si on trouva longtemps des groupes tels que "Poussins chocs", "Espoir 2000", "Les salopards", "Les garagistes", tout artiste ivoirien se doit dorénavant d'avoir un pseudonyme qui dise "egomaniaque" en toutes lettres : "DJ Arafat très très fort", "Roland le binguiste", "Tiesco le Sultan", "Erickson le Zoulou" …

Dans le domaine purement "littéraire" Venance Konan est désormais considéré comme un écrivain… Je veux bien! Même si je crois que victime d’un AVC, ivre-mort, la main gauche plâtrée, mon corps ligoté à un trampoline, j'écrirais malgré tout, mieux que lui. Isaïe Biton Coulibaly, continue de vendre ses bouquins comme des petits pains – j'ai renoncé à trouver une "explication" à son succès. On a les lecteurs qu'on mérite.

Hormis les plus anciens (Meiway et Alpha Blondy, essentiellement), seuls « Magic System » et… Soum Bill ont échappé à l’abrutissement général. Les premiers ont fini par avoir ce qu’ils méritaient : devenir des caricatures d'Africains en France (et des alliés objectifs de la Droite nationaliste), pensez aux titres de leurs albums : Cessa kié la vérité (2005) · Ki dit mié (2007) · Toutè Kalé (2011)

Soum Bill seul, loin devant, continue d’écrire des chansons d’amour, d’humour et d’humeur, qui n’ont pas leur pareil. Pensez à la simplicité poignante, désabusée de "L'ingrat que je suis" dans l'album "Zambakro" : "On voit des images partout/ à la télé, dans les journaux/ 'Des bandits tués'/ On veut nettoyer ce qu'on a versé/ Ces bandits…/ C'est tout ce que le système a fait de meilleur". Et ceci au plus fort du régime Guéï, le "châtieur châtié", quand les autres appelaient à l'apaisement. Sur le même album, l'équilibre, la souplesse, la puissance que sa voix atteint dans "le changement" est un joyau unique, parfait, épuré – on dirait du Ismaël Lô. L'ironie aussi, dans "Unité" : "Quand tu pars à l'hôpital/ Le docteur te dit 'repose en paix'"
 
Artiste. Il n’y a rien à jeter, que ce soit dans Zambakro, Terre des hommes ou Que la Lumière Soit ! De petites merveilles d’homme blessé et en colère, exilé volontaire au plus profond de lui-même.