Ethiopie : Essor par le sport

Malgré une croissance économique notable sur la dernière année, l’Ethiopie reste l’un des pays les plus pauvres au monde. Face à cette situation, les forces vives de cette nation investissent davantage dans l’espoir de créer une nouvelle dynamique. Les forces vives de l’Ethiopie ? Ses athlètes.

Il faudra observer, à travers l’exemple du célèbre Hailé Gebreselassie, comment et pourquoi les athlètes éthiopiens, devenus millionnaires, décident d’aider leur pays.

 L’Ethiopie est marquée, dans son histoire récente, par une guerre civile, longue de dix-sept ans, qui fit suite au renversement de la monarchie en 1974. Plus proche de nous encore, le pays a connu en mai  1998 un nouveau conflit, qui durera jusqu’en juin 2000, cette fois avec son voisin l’Erythrée.

Sur le plus économique, l’Ethiopie est un pays exsangue. Avec un Indicateur de Développement Humain de 0,41 il est l’un des Etats les plus pauvres au monde. Son PIB nominal de 33,9 Milliards de Dollars est à des années lumière des 2580 Milliards de la France. Le secteur agricole représente 47% de ce PIB, tandis que l’Industrie ne dépasse pas les 12%. Alors, comment ce pays de 88 millions d’habitants, dont 26% de la population active est au chômage, a pu connaître l’un des plus importants essors économiques mondiaux en 2010, avec 11% de croissance ? Il ne sera pas question ici d’apporter des réponses exhaustives mais de se focaliser sur l’implication des athlètes dans le devenir économique de l’Ethiopie.

 Les observateurs sont unanimes pour affirmer que l’Ethiopie a réalisé ces avancées  grâce aux progrès  dans le domaine de l’immobilier et dans les infrastructures élémentaires –grâce à la main-d’œuvre chinoise- . Cela dit, s’il existe un domaine essentiel dans le développement du pays, c’est sans nul doute celui de l’athlétisme. Dans un entretien accordé au Monde, en juin dernier, Charles Yendrok, le plus illustre des entraîneurs de la fédération éthiopienne d’athlétisme, expliquait en quoi ce sport pouvait faire office d’ascenseur social : « Si vous avez un boulot classique en Ethiopie vous gagnez combien ? 1000 birrs par mois [=50 euros] (…) Si vous remportez une seule compétition d’athlétisme en Europe, vous pouvez gagner jusqu’à 5000 euros ! » Et depuis plus d’un demi-siècle, l’Ethiopie s’est faite spécialiste dans la formation de champions de la discipline. Ainsi, de grands noms, tels que Bikila ou Yifter, ont fait la renommée du pays à travers le monde, dans les années 60. Aujourd’hui, les icônes se nomment Bekele, Tulu, Gebreselassie.

Ces athlètes, devenus légendes dans leur pays et ailleurs, sont une superbe vitrine pour l’Ethiopie. Certes. Mais ils sont bien plus que cela. Ils sont des millionnaires susceptibles d’investir. Et c’est ce qu’ils font.

Comme un symbole, c’est celui que l’on considère comme le plus grand athlète éthiopien de l’histoire, qui montre l’exemple : Hailé Gebreselassie. Vainqueur de 8 championnats du monde dans différentes disciplines (marathon, 1500m, 2000m, 10 000m), et double champion olympique, celui que l’on surnomme le Petit Homme Vert, investit déjà depuis plusieurs années dans son pays.

Avec une fortune évaluée à 20 millions d’euros, Gebreselassie possède des concessions automobiles, des immeubles, des cinémas et théâtre, un hôtel grand luxe. Il a également fait construire deux écoles. Il ne souhaite pas faire dans la charité en donnant aveuglement son argent à des associations. Il veut être acteur du développement de son pays. Grâce à ses activités, ce n’est pas moins d’un bon millier d’Ethiopiens à qui Gebreselassie a donné un travail.

Parmi toutes ses réalisations ce sont ses écoles qui lui tiennent le plus à cœur: « L’éducation c’est la clé. Je voudrais que l’éducation soit accessible à tous. Si les gens étaient éduqués il n’y aurait pas tous ces problèmes ».

Cette démarche, il n’est pas le seul à l’avoir faite. D’autres athlètes ont emboîté le pas. Aujourd’hui on évalue à près de 10 millions d’euros le montant total de l’investissement des athlètes éthiopiens. Ces sportifs n’acceptent pas qu’on les voit comme des sauveurs. Ils entendent agir comme de simples hommes et femmes d’affaires. Des hommes d’affaires au sens patriotique très développé néanmoins : « La course est un cadeau qui m’a permis de sortir de la pauvreté. Mon objectif est de donner à mes compatriotes la chance de sortir de la pauvreté. » Cet objectif est aidé par les pouvoirs publics locaux qui autorisent des aménagements fiscaux aux athlètes afin de ne pas les freiner dans leurs désirs d’investissement.

 Pour ce qui est de Haile Gebreselassie, les projets ne s’arrêtent pas à ce stade. Quand Jeune Afrique l’interviewe en 2008, il ne cache pas que les ambitions qu’il a pour son pays pourraient un jour rejoindre ses ambitions personnelles : « A l’ avenir je vais essayer de devenir parlementaire, et si l’occasion se présente, ministre voire premier ministre. Et, pourquoi pas, président. »

 L’histoire contemporaine l’a prouvé, le sport a toujours été une vitrine essentielle d’un pays. Quelque soit le pays, quelque soit le régime. Du sport à la politique il n’y a qu’un pas, comme a tenté de le démontrer Georges Weah, ancienne star du football international, en se présentant, en 2005, aux élections présidentielles du Libéria, face à Ellen Johnson Sirleaf, toute nouvelle Prix Nobel de la Paix 2011. S’il est assez largement battu, la démarche de se présenter à une élection  et d’accéder au second tour montre la détermination et la sincérité de l’engagement de ces personnes que rien n’oblige à agir de la sorte.

Ces initiatives individuelles se multiplient un peu partout sur le continent africain, qu’elles viennent de sportifs ou non sportifs, comme au Sénégal avec Youssou N’Dour et sa société de Microcrédit Birima ou encore l’Institut Diambars de Jimmy Adjovi Boco, qui permet aux jeunes de pratiquer du sport de haut niveau tout en s’assurant un avenir professionnel via les études.

Ces attitudes, d’un altruisme rare, sont parfaitement résumées, encore une fois, par Gebreselassie : « Je ne veux pas être égoïste avec mon argent. Je veux donner du travail aux autres. Faire ma part du boulot. »

Giovanni C. DJOSSOU

Sources: Journal Le Monde  –  www.lencrenoir.com  –  www.jeuneafrique.com  –  www.lemonde.fr