African School of Economics : Privée ou Publique ?

L’Afrique a besoin de ressources humaines qualifiées dans tous les domaines et en particulier en économie. La création prochaine d’une école d’économie Africaine « African School of Economics » arrive à point nommé. Cependant, celle-ci reste une initiative privée qui ne comblera pas le déficit de cadres de haut niveau en Afrique.

 

 

 

La question de la nécessité pour l’Afrique de disposer de ressources humaines qualifiées ne se pose plus dès lors que la demande n’est pas toujours satisfaite ; comme en témoigne le recrutement de conseillers et de consultants internationaux par les États Africains. Dans le cas particulier de la gestion économique, la plupart des économistes africains de renommée internationale[1] ont tous été formés dans des écoles d’économie en Europe ou aux États-Unis d’Amérique. C’est pour combler ce déficit de cadres de haut niveau en économie et en management que le projet de création d’une grande école d’économie et de management est en cours en Afrique.

A l’image des grandes écoles d’économie aux États-Unis d’Amérique ou en Europe[2], la plupart des pays Africains disposent d’une école supérieure d’économie appliquée et de management, en plus des facultés d’économie. Cependant, leur capacité d’accueil reste limitée compte tenu des ressources financières des États. De même, la qualité des formations dispensées n’est toujours pas au diapason des meilleures formations internationales. Il suffit pour cela de constater l’obsolescence de certains programmes de formation de même que le manque de visibilité internationale de ces écoles.

Ces insuffisances sont principalement dues au manque de ressources financières des États. Pour preuve, les trois grandes écoles de Statistique et d’Economie Appliquée en Afrique francophone bénéficient principalement du soutien de bailleurs de fonds internationaux, soucieux de la disponibilité de statistiques de qualité. Dès lors, la mutualisation des formations entre les États pourrait être envisagée. Par exemple, la création d’une école commune aux pays d’une zone géographique pourrait amoindrir les coûts de fonctionnement et assurer la qualité de la formation via une mutualisation des compétences et une plus grande visibilité internationale.

Toutefois, le projet de création de l’African School of Economics (ASE) est plutôt une initiative privée portée par un Professeur Africain de l’université de Princeton[3] en collaboration avec d’autres universitaires africains. L’ASE, dont le site internet donne une description assez exhaustive des formations et de leurs contenus, ouvrira ses portes à partir de la rentrée 2014 sur son site installé au Bénin.

En dépit de  son caractère innovant, il se pose la question de son accessibilité pour tous et de sa représentativité sur le continent africain. En effet, l’école étant privée, les frais d’inscription ne pourront pas être payés par tous les étudiants méritants et désireux de poursuivre des études en économie ou en management sans se déplacer en Europe. Même si l’école pouvait attribuer des bourses d’études aux meilleurs candidats, il n’est pas dit qu’une telle initiative soit soutenable à long terme. De plus, les États ne peuvent pas financer les études dans une école supérieure privée. Ainsi, seulement ceux qui possèdent les ressources financières pourront y accéder ; ce qui entraîne une sélection sur la base du statut socio-économique. Bien entendu, cela ne constitue pas un défaut de l’école, mais plutôt une contrainte liée à l’absence d’initiative publique.

Par ailleurs, les étudiants en provenance des pays en dehors de l’Afrique de l’Ouest pourraient ne pas être attirés par la localisation géographique de l’école. Le cas des écoles sous régionales qui n’attirent que principalement les étudiants des pays limitrophes en est un exemple. La possibilité de mettre en place une subvention aux coûts de transport pour les étudiants en provenance des autres pays d’Afrique demeure limitée par les moyens financiers et le caractère privé de l’école.

En somme, il s’agit d’une brillante initiative dans le domaine de la formation en économie et en management. Toutefois, elle ne pourrait pas répondre aux besoins en ressources humaines qualifiées de l’Afrique compte tenu de son caractère privé. En conséquence, la mise en place d’une école similaire par l’ensemble des États Africains serait la bienvenue.

Georges Vivien Houngbonon


[1] L’économiste en Chef de la BAD, l’actuelle Ministre des Finances du Nigéria

[2] London School Economics, Paris School of Economics, l’École d’Économie de Barcelone en Espagne, …

[3] Leonard Wantchekon.

Pour une réforme de la Statistique en Afrique

Malgré son importance pour le développement économique et social, la statistique est relativement peu développée en Afrique subsaharienne. Un constat qui s'explique par la faiblesse de la diffusion des données et des effectifs de statisticiens. Une réforme profonde est nécessaire pour donner à la statistique son rôle de premier plan dans la prise de décisions.

Historiquement, l’ambition de connaître le nombre de citoyens et leurs caractéristiques a conduit les Etats à collecter des informations démographiques. Bien qu’étant les prémisses de la statistique publique, ces recensements révélaient déjà l’importance des statistiques pour la taxation, l’aménagement du territoire et la mobilisation militaire. De nos jours, le rôle de la statistique dans la gestion économique et sociale des Etats n’est plus à démontrer. Qu’il s’agisse de la maîtrise du chômage ou de l’inflation ou encore de l’orientation des politiques de lutte contre la pauvreté, les statistiques sont au cœur des enjeux de développement des nations et plus particulièrement des pays en développement.

Cette importance contraste avec le constat de la faiblesse de cette branche dans les pays d’Afrique subsaharienne. En effet, le système statistique dans les pays d’Afrique subsaharienne est confronté à plusieurs difficultés qui entravent sa contribution au développement économique et social. C’est en substance ce que révèle le dernier rapport de l’ Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Sub-Saharienne (Afristat) sur les systèmes statistiques nationaux. Ces difficultés concernent notamment les ressources humaines et la publication des données statistiques.

D’une part, le problème des ressources humaines se pose avec acuité dans la mesure où chaque institut de statistique (INS) dispose en moyenne de 30  statisticiens et démographes en charge de la production de toutes les statistiques de la nation. Cette moyenne masque une large disparité entre les pays puisque les effectifs varient de 9 en Guinée à 93 au Congo avec le cas particulier de la Guinée équatoriale qui ne possédait aucun statisticien en 2006. Ce constat vient corroborer l’état d’insuffisance de la formation des statisticiens en Afrique. En dehors des quelques écoles nationales dédiées principalement à la formation d’enquêteurs, les trois écoles sous-régionales que sont l’ENSAE-Sénégal, l’ENSEA-Abidjan et l’ISSEA-Yaoundé ne recrutent qu’en moyenne 150  étudiants par an en provenance de 20 pays Africains, soit moins de 8 étudiants par pays.

Par ailleurs, la structure de la formation dans les trois écoles a engendré des clivages très marqués entre les différents niveaux – entre les Ingénieurs Statisticiens Economistes et les Ingénieurs des Travaux Statistiques notamment – de sorte que très peu intègrent les Instituts de Statistiques à la fin de leur formation. Cependant, ils ne sont pas entièrement à l’origine de la faiblesse des effectifs dans les INS. Les institutions internationales et le secteur privé livrent une concurrence très rude pour embaucher le peu de statisticiens formés et plus particulièrement les meilleurs. Dès lors, les INS se retrouvent avec peu de statisticiens, en général ceux qui n’ont pas trouvé de débouchés chez les concurrents. Conséquence : une production insuffisante d’informations statistiques de qualité pour les décideurs.

D’autre part, même quand ces chiffres sont disponibles, leur exploitation en termes d’études socio-économiques susceptibles d’orienter les politiques publiques fait énormément défaut. Un rapide tour sur les sites Internet des différents INS suffit pour constater que nombre de données ne sont pas disponibles. En dehors des quelques rapports descriptifs, il n’existe aucun lien d’accès aux données d’enquête ou de comptabilité nationale. Même si certains ont une interface identique à celle de l’INSEE, la différence en termes de contenu est très significative.

La raison régulièrement évoquée pour justifier l’impossibilité d’accès aux données est leur sensibilité.  Alors que leur utilisation par des chercheurs devrait justifier leur diffusion, il n’existe pas à notre connaissance de loi régissant l’accès aux données en Afrique subsaharienne. L’obtention des données se négocié donc souvent au gré de l’humeur du statisticien en charge. Cette situation absurde – des données sont collectées mais pas utilisées –  n’encourage pas la recherche et constitue non seulement un frein au développement.

Une réforme profonde de la formation et de la recherche en statistique sont urgentes et nécessaires pour orienter les politiques de développement. Cette réforme devra notamment mettre l’accent sur une restructuration de la formation des statisticiens de même que sur l’accès aux données d’enquêtes dans un cadre règlementaire bien précis. Ce second axe de réforme est d’ailleurs promu par la Banque Mondiale qui conditionne maintenant le financement des enquêtes par la publication intégrale des données. Sans attendre d’être contraints de le faire, les Etats Africains gagneraient à favoriser l’accès gratuit aux données d’enquêtes et de comptabilité nationale. Il y va de la crédibilité des chiffres communiqués par les INS et du développement.

Georges Vivien Houngbonon, Statisticien diplômé de l’ENSAE-Sénégal