Ces fabricants de tabac qui enfument l’Afrique

« Tell me if it’s wise digging out myself, and smoking out my cash, for a tiny piece of trash.” Ainsi commence la campagne vidéo anti-tabac lancée par l’OMS en Afrique en novembre le 1er novembre dernier. Grâce à au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a ouvert à Kampala (Ouganda) son premier centre de lutte anti-tabac sur le continent africain.  Le centre vise à coordonner les actions de l’OMS dans ce domaine, et  cible dans un premier temps l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Mauritanie et l’Angola. Les objectifs de la feuille de route sont clairs : favoriser la création d’espaces non-fumeurs, développer des campagnes choc anti-tabac, augmenter les taxes sur les cigarettes et interdire les campagnes de publicité menées par l’industrie du tabac.

Longtemps reléguée par l’OMS derrière la lutte contre le VIH et le paludisme, la lutte contre le tabagisme est de nouveau à l’ordre du jour. Les estimations ne sont pas rassurantes : en 2030, si aucune action de prévention n’est menée,  le nombre de fumeurs en Afrique aura plus que doublé, passant de 85 millions à 200 millions de fumeurs. Véritable frein au développement, le tabac diminue les capacités de production des pays africains en impactant le nombre de personnes en âge de travailler. L’achat de cigarettes a aussi un coût d’opportunité élevé, et se fait en effet au détriment du budget habituellement consacré à la nourriture et aux soins médicaux de la famille. Ainsi en Ouganda, près de 50% des hommes fument, tandis que 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Le tabac induit également des pertes de revenus et de productivité en cas de maladie ou de décès, sans compter les dépenses publiques liées au coût des soins de santé.

Alors que le tabagisme recule dans les pays développés, l’industrie du tabac cherche un relais de croissance dans les pays émergents. L’Afrique représente une cible idéale : avec un taux de tabagisme encore bas et une population jeune peu sensibilisée aux méfaits du tabac,  les perspectives de croissance pour les cigarettiers sont très favorables, et ont attiré bon nombre d’industriels ces derniers années. Une étude de l’OMS intitulée Tabac  et pauvreté, un cercle vicieux (2004) souligne ainsi le fait que la consommation de tabac est nettement plus élevés chez les personnes à faible revenu. Quant aux cultivateurs de tabac, ils ne bénéficient pas non plus de la profitabilité de l’industrie du tabac, les récoltes étant sous-rémunérées par les cigarettiers, et finissent bien souvent par s’endetter auprès de ces derniers.

 Les trois premiers entrants sur le marché africain ont été British-American Tobacco (Royaume-Uni), Philip Morris International (Etats-Unis) et Imperial Tobacco (Royaume-Uni). British-American Tobacco s’est progressivement imposé parmi les fabricants de tabac en Afrique et a même construit plusieurs usines de production au Nigéria. Les industriels ont su rapidement adapter leur business model aux spécificités du marché africain et développer des campagnes marketing redoutanblement efficaces. La vente de cigarettes se fait ainsi souvent à l’unité dans les pays les moins avancés, pour s’adapter au faible pouvoir d’achats des consommateurs, et pour permettre aux plus jeunes de fumer en toute discrétion. La vente à l’unité permet également de détourner le consommateur des messages de prévention souvent explicites collés sur les paquets de cigarettes. Les stratégies de vente s’accompagnent de campagnes marketing efficaces, avec la distribution de cigarettes gratuites aux jeunes et le sponsoring d’événements sportifs et culturel à fort retentissement.

Les industriels vont même plus loin pour soigner leur image de marque, en finançant des campagnes anti-paludisme ou en consacrant 1% de leurs bénéfices à l’amélioration de l’accès à l’eau et aux soins en milieu rural. Devant la forte progression du nombre de fumeurs en Afrique, estimée à 4% par an, les autorités publiques sont longtemps restées muettes, devant la manne financière représentée par les taxes sur les ventes de cigarettes. Ainsi en novembre dernier au Sénégal, la baisse unilatérale du prix des cigarettes vendues Philip Morris pour bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse et regagner des parts de marché n’a pas suscité de réaction du gouvernement.

Il est donc crucial que les pouvoirs publics ne cèdent pas face au lobbying continu de l’industrie du tabac, déterminée à s’implanter solidement sur un marché africain estimé à 700 millions de consommateurs. Malgré la ratification par certains Etats africains de la Convention –cadre de l’OMS  pour la lutte anti-tabac en 2004, les actions de prévention et les mesures législatives n’ont eu que peu d’effet sur le nombre de fumeurs en Afrique. Le tabac est désormais un véritable enjeu de santé publique en Afrique et risque à terme d’affecter la productivité du continent si l’attentisme des Etats persiste.

Leïla Morghad

 

Source photo : http://leboytownshow.com/wp-content/uploads/2011/09/Afrique-senfume1.png