J'évolue sous influence. Je m'explique. Marchant dans une FNAC à mes heures perdues, je suis tombé par le plus grand des hasards en littérature africaine et tout de suite, mon attention s'est focalisée sur Tayeb Salih et son roman Saison de migration vers le nord. Il faut croire que les effets de ma lecture de l'essai Quand l'Afrique réplique de James Currey font mouche. L'éditeur d'Africans writers séries parle du romancier soudanais comme de l'un des plus grands auteurs publiés par sa célèbre collection. Je ne risque rien. Sauf qu'entre plusieurs lectures sur lesquelles je rame, je me bats, j'ai commis l'acte irréparable de lire la première page de ce roman et j'ai été littéralement happé par le récit de l'écrivain soudanais. C'est aussi à cela qu'on peut apprécier un bon bouquin. Un style fluide, maitrisé, un poil classique. Une histoire. Un homme, Moustapha Saïd. Des femmes. Une époque. Des lieux. Deux mondes. Le Soudan rural et l'Angleterre des années 20. Un narrateur.
Tayeb Salih est considéré comme l'un des plus grands écrivains de langue arabe. J'ose bien le croire à la fin de la lecture de ce roman passionnant qui nous parle d'un de ces chocs de cultures magnifiques que la colonisation a produit. Les thématiques abordées touchent le machisme, la solitude, la passion sexuelle , la liberté tout cela sur un fond de colonisation et de rencontres inédites des humanités.
L'écriture de Tayeb Salih est tout simplement sublime, vacillant entre une forme poétique et une prose rigoureuse et élaborée. C'est le genre de texte dont on ne décroche pas car le romancier soudanais donne à voir par son style magnifique, la noirceur de l'âme et l'incompréhension qui conduit au chaos. Il offre le portrait complexe d'un de ces premiers grands cadres africains qui va se perdre le temps d'une migration vers le nord. En bonus, pour ceux qui comme moi, ne se représente pas le Soudan, certaines descriptions éveilleront le globe-trotteur qui sommeille en vous. Le Nil, le désert. Bon, après, votre banquier calmera peut-être vos désirs de voyage.
Pensées du narrateur :
A Londres, en été, après l'orage, je pouvais sentir l'odeur de mon village. Dans des instants dérobés, juste avant le crépuscule, tel village s'imposait à ma vision. Des bruits étrangers, des voix, les soirs de fatigue ou bien au petit matin, me parvenaient comme des voix familières. Je suis sûrement de la race des oiseux sédentaires. Et d'avoir étudié la poésie ne signifie rien, le génie, l'agronomie ou la médecine sont autant de gagne-pain. Les visages, là-bas, je les imaginais bruns ou noirs, et je reconnaissais en eux les miens. Ce n'est ni meilleur ni pire ici que là-bas. Mais je suis, pareil au palmier dans notre cour, originaire de cet endroit. Et le fait que ceux de là-bas soient venus chez nous doit-il empoisonner notre présent et notre avenir?Pareil à d'autres envahisseurs à travers l'Histoire, ils devaient, tôt ou tard, s'en aller.
page 55, éditions Actes sud, Collections Babel
Publié originellement sur http://gangoueus.blogspot.fr/2012/11/tayeb-salih-saison-de-migration-vers-le.html
Tayeb Salih, Une saison de migration vers le nord
Éditions Actes Sud, collection Babel Sindbad, 172 pages
Traduit de l'arabe par Abdelwahab Meddeb et Fady Noun
Titre original : Mawsim al-jira ilâ al-shimâl paru en 1969