Le tarif extérieur commun de la CEDEAO : un nouveau pas vers l’intégration ?

La prochaine adoption par la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’un règlement visant à mettre en place un tarif extérieur commun (TEC) à partir du 1er janvier 2014 sera sans doute une avancée majeure vers l’intégration économique et politique de l’espace Cedeao.
 


CEDEAO

Cependant, l’adoption d’un TEC peut avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs et sur la productivité des entreprises locales qu’il convient d’examiner au regard de ses avantages.

Qu'est-ce que le TEC-Cedeao ?

Initialement en vigueur au sein de l’Uemoa depuis le 1er janvier 2000, le TEC sera étendu à l’espace Cedeao qui, en plus des huit pays membres de l’Uemoa, regroupe les sept pays d’Afrique de l’Ouest ne partageant pas la monnaie commune, le franc CFA.

Le TEC consiste à appliquer le mêmes droits et taxes aux marchandises entrant dans l’espace Cedeao indépendamment de leurs points d’entrée et de leur destination.

Par exemple, l’importation de volailles surgelées sera taxée de 20% qu’elle soit à destination du Bénin ou du Nigéria alors que ce taux est actuellement de 20% pour le Bénin et 10% pour le Nigéria. La construction du TEC répond au double objectif de favoriser la transformation des produits agricoles et l’importation de produits « sociaux » dits essentiels comme les médicaments, livres, etc. 

Ainsi, les produits ont été regroupés en quatre catégories suivant leur niveau de transformation industrielle et leur importance dans la consommation des ménages pauvres. A priori, la structure du nouveau TEC devrait être similaire à celle de l’Uemoa présentée dans le tableau ci-après. 

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Source : Présentation LARES

Cette structure est complétée par des mesures de sauvegarde dont la Taxe Dégressive de Protection destinée à protéger les productions locales d’une concurrence déloyale et la Taxe de Sauvegarde destinée à protéger la production locale contre les fluctuations des prix internationaux. En dépit de ces mesures, l’uniformisation des droits et taxes est un changement significatif dans la fiscalité en Afrique de l’Ouest qui engendrera des gains et des pertes aux niveaux national et régional.

Qu’est ce qui va changer ?

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

L’une des spécificités du TEC actuellement en vigueur dans l’Uemoa est que les droits de douanes sont très bas par rapport aux tarifs en cours dans d’autres pays ou communautés économiques. Typiquement, le taux moyen dans l’Uemoa est de 8,8% avec un maximum de 20% alors qu’il atteint jusqu’à 50% au Nigéria voisin. L’objectif est d’étendre cette spécificité à l’ensemble des pays de la Cedeao à travers l’instauration du TEC-Cedeao.

Toutefois, compte tenu des objectifs de politique sectorielle spécifiques à chaque pays, le TEC-Cedeao a subi une légère augmentation par rapport au TEC-Uemoa. Comme le montre le graphique ci-contre, cette augmentation est plus prononcée pour la viande et le cacao (chapitres 2 et 18 respectivement). Par ailleurs, on note également une baisse importante des tarifs pour les produits des chapitres 1 et 9 constitués respectivement des animaux vivants d’une part et du café, thé et épices d’autre part. Les effets de ces changements vont se refléter dans les économies nationales de même qu’à l’échelle de la Cedeao

Quels sont les effets à l’échelle nationale ?

A court terme, on devrait s’attendre à une baisse des recettes douanières pour les pays importateurs des produits dont les tarifs ont été réduits. Cependant, cette baisse est susceptible d’être compensée par une hausse du volume des importations de ces produits si la baisse du droit de douane se traduit dans les prix de détail. Cet effet de neutralisation dépend aussi de l’ampleur de la réaction des consommateurs face à une baisse éventuelle des prix de détail. Dans le cas d’espèce, ces effets sont à craindre par les pays importateurs d’animaux vivants, de café, de thé ou d’épices. Dans le cas où la baisse des droits de douane entraînerait une baisse nette des recettes douanières, certains pays peuvent envisager de la compenser par une augmentation de la TVA ou des droits d’accises (ex. taxes sur l’alcool et le tabac). Cela conduirait donc à une augmentation des prix de détail, surtout sur les produits de grande consommation. A revenu constant, cela correspond à une baisse du pouvoir d’achat des populations. A long terme, l’uniformité des droits de douane devrait entraîner un gain de productivité à cause d’une meilleure réallocation des facteurs de production, i.e. dans les pays où ils sont les plus compétitifs. Par exemple, avec le TEC-Cedeao, une entreprise de fabrication de meubles préférerait s’installer dans un pays où la main d’œuvre est le moins cher puisqu’il n’a plus d’arbitrage à faire sur l’importation du bois. Cependant, cet effet de long terme est conditionné par l’existence d’infrastructure de transports et de communication permettant de vendre n’importe où dans l’espace Cedeao indépendamment du pays de production.

Quels sont les effets à l’échelle régionale ?

Le bilan de cette réforme à l’échelle régionale est mitigé parce qu’elle comporte des effets bénéfiques sur le court terme ; mais potentiellement néfastes sur le long terme. L’ampleur de ces effets dépend surtout du degré d’ouverture de l’espace Cedeao par rapport au reste du monde. Comme le montre le tableau ci-dessus, en s’alignant sur la structure tarifaire du TEC-Uemoa, la Cedeao sera l’espace économique le plus ouvert au monde avec des taux compris entre 0 et 20%.

 

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Une telle ouverture économique dans un marché d’environ 300 millions de consommateurs (presque la taille du marché USA) et dans un contexte d’adoption des accords de partenariat économique avec l’Union Européenne est à la fois source d’opportunités et de pauvreté. En effet, la mise en œuvre du TEC-Cedeao constitue un élargissement du marché pour les importateurs étrangers. Ceux-ci seront donc inciter à entrer sur le marché Cedeao compte tenu des économies d’échelle induites par cet élargissement du marché. Ils seront plus compétitifs que les producteurs locaux. Il devrait s’en suivre une baisse des prix et une diversité des produits pour le consommateur.

Cependant, cette concurrence est de nature à évincer les producteurs locaux des marchés nationaux et même à décourager le développement agricole et industriel. Cette conséquence se traduira par une augmentation du chômage dans une population majoritairement jeune et une persistance du secteur informel. Dès lors, il en résulte que la mise en place d’un TEC-Cedeao aussi décalé par rapport à la moyenne mondiale est potentiellement source de pauvreté.

Par ailleurs, l’absence de développement industriel est susceptible de freiner la mobilité des travailleurs et des capitaux à travers l’espace, gage d’une intégration économique effective. Au regard de ces effets potentiels du TEC-Cedeao, il s’avère nécessaire d’évaluer précisément à travers une étude empirique l’impact de cette mesure sur l’économie de la Cedeao. A notre connaissance, une telle étude n’avait pas été faite pour l’Uemoa. Il importe de ne pas l’occulter dans le cadre de la Cedeao compte tenu des enjeux de développement que la mise en place d’un tarif extérieur commun représente.