Pour la vente des terres agricoles : un partenariat public-privé classique !

agricultureAvant de développer notre argumentaire en faveur de la vente des terres agricoles africaines, il est important de s’accorder sur un axiome qui sera le fil conducteur de la démonstration : l’agriculture de subsistance n’a pas sa place dans des pays émergents/développés. Autrement dit, aucun habitant d’un pays développé ne doit avoir à dépendre des résultats de sa propre agriculture pour subvenir aux besoins de son alimentation. L’idée sous-jacente défendue est que chaque citoyen doit avoir une activité qui générera des revenus lui permettant d’accéder à un marché sur lequel il pourra trouver les produits agricoles. Fort de ce pré-requis, la seule agriculture qui doit subsister est une agriculture industrielle, à but non plus vivrier mais purement lucratif. Il ne reste plus alors qu’à répondre à un certain nombre de questions : comment répondre aux besoins de consommation de la population ? Qui dispose des meilleures capacités pour exploiter de la manière la plus efficiente les sols africains et pour quelles cultures ?

La première question est une fausse question. A une échelle individuelle, il n’est pas nécessaire de produire soi-même son alimentation, c’est une évidence. La seule question ici est une question de disponibilité des aliments à un coût final acceptable (coût de la denrée et coût d’accès à la denrée). A une échelle nationale, il n’est pas non plus nécessaire pour un pays d’être capable de produire la consommation nationale de produits alimentaires. La seule obligation de l’Etat est d’assurer comme dans le cas individuel un accès à un coût moindre aux denrées alimentaires de base. Pour cela, l’Etat peut inciter des acteurs privés à alimenter le marché tout en gardant une supervision nationale via des mécanismes de stabilisation de prix et de contrôle de l’inflation. 

Vient ensuite la question même de la vente des terres agricoles à des investisseurs étrangers. Ici l’équation est purement économique. Etant entendu que les terres ne devraient pas servir directement à la subsistance alimentaire, les principes économiques de base veulent qu’on alloue les ressources aux agents économiques qui en assureront la meilleure productivité. La question de l’inadéquation des productions réalisées par ces investisseurs et les besoins du marché local est peu pertinente. En effet, les agriculteurs industriels locaux aussi ont accès au marché mondial. Leur intérêt n’est pas de répondre aux besoins locaux mais de réaliser le maximum de profit via leurs exploitations agricoles. Dès lors s’il est plus rentable pour un agriculteur quelle que soit sa nationalité de produire et de vendre à une échelle mondiale un produit alimentaire dont la rentabilité est beaucoup plus forte via l’exposition au marche mondial, en raison notamment de la demande forte des pays émergents, l’Etat ne pourra contraindre cet agriculteur à investir dans des denrées locales de base moins rentables. La situation la plus dramatique est lorsque la production locale de denrées alimentaires de base est vendue à des pays voisins encore moins bien lotis en termes de production agricole, en raison des meilleurs prix liés à une simple équation d’offre-demande. 

Il convient dès lors de dissocier fortement la production agricole d’un pays et les besoins de sa population, tout comme de nos jours il est presque insensé de parler d’autosuffisance alimentaire. La Corée du Sud, présentée très souvent comme un exemple pour les pays africains à un taux d’autosuffisance alimentaire qui s’est établi à 22,6% en 2011. Et cela n’a pas empêché ce pays de réaliser des performances économiques qui font rêver les pays africains.  

Il convient pour un pays de définir dans une vision globale quelle est la meilleure utilisation possible de ses terres agricoles. Après avoir analysé l’évolution de la consommation mondiale et décrit précisément les qualités du sol et du climat nationaux, l’Etat doit déterminer les productions à réaliser sur ses terres. A l’heure actuelle, la plupart des pays africains concernés par la vente massive des terres n’ont pas les compétences techniques pour tirer le meilleur parti des sols. Vendre ces terres à des investisseurs qui ont les compétences pour en tirer le meilleur parti constitue un gain énorme par rapport à une exploitation quasi-nulle et peu productive. Comme dans tous les cas de partenariats public-privé, l’Etat doit s’assurer un transfert de compétences par la mise en place d’un quota de locaux dans le personnel des entreprises privées en charge de l’exploitation de ces terres. Par ailleurs, la durée de ces contrats d’exploitation doit être clairement définie, ainsi que des critères de qualité du sol en fin de contrat, pour s’assurer que les investisseurs ne raisonnent pas uniquement dans une échelle de court-terme.

Quant à la sécurité alimentaire, l’Etat a la responsabilité de permettre l’accès aux denrées de base. Si les opérateurs téléphoniques sont capables de proposer des services à des populations rurales très éloignées des centres urbains, alors l’Etat se doit par lui-même ou par des incitations au secteur privé d’apporter les produits vivriers au plus près des populations. L’approvisionnement se fera sur les marchés mondiaux tout en mettant en place des mécanismes permettant d’amortir le coût final pour le consommateur.

Ted Boulou

 

Sur le même sujet, l'article de Georges-Vivien Houngbonon défendant les arguments du "contre" la vente des terres africaines à des groupes étrangers : 

Réforme du système de gestion des cartes grises au Nigéria : le développement de l’Afrique en 3 leçons

Au Nigéria, les états fédéraux ont confié l’enregistrement et la gestion des cartes grises des véhicules à Courteville Plc une société nigériane qui a développé AutoReg, un système qui utilise de manière astucieuse les nouvelles technologies pour faciliter les démarches administratives. Un condensé de quelques ingrédients de la recette du développement pour les économies africaines : un protectionnisme intelligent pour soutenir le tissu industriel local, l’utilisation des nouvelles technologies et un Etat qui, conscient de ses lacunes, sait interagir avec les acteurs privés.

Dans de nombreux pays africains, la lenteur et la complexité des démarches administratives freinent l’activité économique. Au Nigéria, l’immatriculation et l’obtention des cartes grises des véhicules ont été pendant longtemps un chemin de croix pour les automobilistes et motocyclistes nigérians. De même, la connaissance de l’état en temps réel du parc automobile était particulièrement difficile pour les différentes autorités fédérales, responsables au sein d’un dispositif fortement décentralisé de la gestion des cartes grises au sein de chaque Etat fédéral. Mais tout cela, c’était avant AutoReg, un système automatisé d’enregistrement et de renouvellement des cartes grises de véhicules.

AutoReg a été créé en 2008 par Courteville Plc, une société nigériane créée par Bola Akindele, un entrepreneur nigérian. Elle opère aujourd’hui dans 18 des 36 états nigérians et ambitionne de se développer dans d’autres pays africains. AutoReg a permis d’automatiser et d’informatiser la gestion des cartes grises au Nigéria. Pour créer leur gigantesque base de données, Courteville a créé un nombre important de centres d’enregistrement à travers le Nigéria dont près de 600 dans la seule ville de Lagos. Ainsi lorsque les automobilistes et motocyclistes ont dû renouveler leurs cartes grises, AutoReg a pu commencer à enrichir da base de données qui contient aujourd’hui 2,5 millions de véhicules. AutoReg permet de s’enregistrer en quelques minutes au lieu des quelques jours avant le système. AutoReg a aussi doté les policiers nigérians d’un outil mobile relié en temps réel à la base de données des licences pour faciliter les contrôles routiers. Pour les Etats, AutoReg facilite la collecte des primes et réduit le risque de falsification des documents.

L’histoire et le succès d’Autoreg est un condensé des ingrédients indispensables au développement économique des pays africains.

Un Etat volontariste et conscient des faiblesses du secteur public

Tel que déjà évoqué dans un article paru sur TerangaWeb, l’amélioration de la qualité du secteur public est primordiale pour le développement. En effet, en plus des infrastructures, les Etats doivent être capables de fournir des prestations de qualité, de manière à fluidifier le fonctionnement de l’économie. Mais la mise en place de prestations de qualité prend un temps considérable. Ainsi entre la prise de conscience d’un Etat sur la faiblesse de son service public et l’implémentation par l’Etat de mesures correctrices, les délais peuvent être longs. Dès lors, une des solutions pour pallier aux insuffisances de l’Etat est de sous-traiter la fourniture de services publics à des acteurs privés.

La sous-traitance d’une prestation de service public à un opérateur privé doit néanmoins faire l’objet d’une vigilance accrue de l’Etat. Un cahier des charges précis doit être fixé déterminant une qualité minimale de service attendue ainsi que le prix éventuel fixé au consommateur final. De plus, la réalisation de l’appel d’offres doit être « presque » transparente afin d’atteindre le meilleur compromis possible entre la qualité du service et le maintien de l’autorité de l’Etat sur les opérations stratégiques.

On pourrait objecter que la vague de privatisations imposées par les bailleurs de fonds internationaux aux pays africains dans les années 1990 n’a nullement permis à ces pays d’émerger. Néanmoins, prenons le temps d’examiner la situation dans les pays dits développés, le cas de la France par exemple. Si en apparence, les anciennes sociétés d’Etat sont aujourd’hui privatisées (France Telecom, GDF, EDF, Areva etc.), il convient de noter que ces grandes sociétés privées sont toutes gérées pour la plupart par un groupe d’élites françaises venant de l’élite française des écoles (X, HEC, ENA, Corps d’Etat) qui veillent d’abord à défendre les intérêts de la France…

Un Etat légèrement protectionniste pour soutenir un secteur local dynamique

Le dynamisme sain d’une économie passe par un secteur privé dynamique et soutenu. N’en déplaise aux adeptes du libre-échange, les pays africains et les entreprises locales ont besoin de protection. En effet, le protectionnisme permet aux entreprises d’obtenir des positions de leader sur le marché local. Une fois que ces sociétés locales auront atteint la taille critique pour pouvoir résister à la concurrence des entreprises extérieures, l’Etat peut décider de rouvrir les marchés afin de permettre à la société locale d’attaquer elle aussi les marchés extérieurs.

Le dynamisme des sociétés locales nécessite de manière pratique une stabilité des carnets de commande. Même si l’émergence d’une classe moyenne est annoncée en Afrique, le principal client potentiel pour les entreprises privées reste encore l’Etat. Les investissements publics via les appels d’offre notamment sont encore aujourd’hui en Afrique un des moteurs principaux de la croissance économique. Dès lors, en attribuant les plus importants contrats publics à des sociétés locales, les Etats africains participent à la dynamisation du secteur privé et s’assurent que les produits de l’investissement public restent bien dans le pays sous la forme d’emplois, de dividendes aux actionnaires locaux et d’impôts.

Mais cela nécessite que les Etats fassent confiance au savoir-faire local. Ce qui n’est pas chose aisée dans des contextes encore fortement complexés par l’Occident. Le fondateur d’AutoReg confie que de nombreuses autorités à qui ils s’adressaient voulaient savoir de quelle entreprise occidentale ils étaient la filiale, car ils avaient du mal à imaginer une telle qualité de service 100% made in Nigeria.

Les nouvelles technologies pour brûler les étapes…

Autrefois principalement manuel, le système de gestion des cartes est aujourd’hui totalement automatisé et informatisé dans les Etats qui ont choisi d’implémenter la solution AutoReg. La dernière innovation d’AutoReg est de doter les policiers d’un outil mobile de vérification de la validité des cartes grises des automobilistes et motocyclistes.

L’adoption des nouvelles technologies permet des gains considérables en efficacité. C’est aussi un des rares secteurs dans lesquels les « petits » acteurs africains peuvent concurrencer les multinationales occidentales comme c'est le cas dans un autre article traitant d'une entreprise Kenyane. Comme décrit dans notre article, les NTIC constituent une opportunité considérable pour les pays africains. Les Etats africains doivent donc mettre en place à l’instar de l’Inde de véritables plans pour favoriser l’excellence et soutenir l’innovation dans ce secteur.

Ted Boulou

Pour que les Grandes Muettes africaines se taisent!

Une fois de plus, le continent africain s’est mis à l’honneur en organisant une nouvelle édition de sa compétition favorite : le coup d’État militaire. A Bamako, les hommes en treillis ont une fois de plus mis à genoux une république à l’allure très démocratique. C’est l’occasion de s’interroger sur la rentabilité économico-politique de l’existence d’une armée dans les pays africains…

 La mission première de l’Armée est d’assurer la sécurité de l’État. L’Armée est censée protéger celui-ci des menaces d’envahissement ou d’atteinte à son intégrité par des forces extérieures. Si les conflits armés internationaux diminuent de manière constante dans le monde, la puissance de l’Armée demeure une arme de dissuasion massive et d’affirmation de sa puissance économique.

 Des spécificités dans le rôle de la « grande muette » peuvent néanmoins apparaître en fonction du niveau de développement du pays. Dans les pays développés, au-delà de la dissuasion passive, les armées servent souvent à défendre les intérêts du pays hors de ses frontières. De nombreux ivoiriens, irakiens et libyens ont encore le souvenir du passage des armées française et américaine. En maintenant l’influence des pays développés dans les pays moins avancés, l’armée permet, en toute discrétion, de maintenir la sécurité intérieure par la sécurisation des approvisionnements en matières premières (cas du pétrole de Lybie pour les puissances occidentales).

Dans les pays émergents, la consolidation de la puissance militaire et la maîtrise de la fabrication d’armes (de destruction massive) peut permettre à des économies émergentes d’affirmer leur puissance économique et de mettre en avant le sérieux nécessaire au suivi de plans souvent très longs de construction d’une filière technologique militaire performante.

 Les investissements dans le secteur de la Défense peuvent aussi se révéler hautement productifs, par les progrès scientifiques qu’ils engendrent. Le secteur de la Défense est perçu comme un secteur fortement concurrentiel où le seul moyen de triompher est l’innovation. Il faut avoir la mémoire courte pour oublier qu’Internet a été conçu pour faciliter les échanges entre les chercheurs du Département de la Défense américain. En France, les innovations produites chez Thales, EADS et Dassault dans l’aviation militaire sont très souvent une projection des avancées de l’aviation civile.

 Dans le contexte des pays africains, on peut s’interroger sur la nécessité pour elles de choyer une composante si capricieuse de la population. Dans le contexte mondial actuel (depuis un bon moment d’ailleurs), la puissance d’une nation se mesure à sa puissance économique et non pas à sa puissance militaire (n’en déplaise au trublion Ahmadinedjad). Il n’existe quasiment plus de conflit armé international (dans lequel deux pays s’affrontent) dans le monde, encore moins en Afrique. A quoi servent donc les armées dans les pays africains ?

Malheureusement, la dure loi des statistiques fait que le degré de sensibilisation de la population militaire aux notions de démocratie et d’expression pacifique de ses griefs est exactement le reflet du degré de sensibilisation de la population restante du pays. Si la population dans son ensemble n’a pas été éduquée au concept de démocratie et de respect des institutions, il y a de fortes chances que les militaires ne le soient pas non plus. A la différence des autres corps de la population, l’Armée possède des arguments de choix… Dès lors, l’équation est simple : dès que les militaires ne sont plus contents du sort qui leur est réservé par le pouvoir en place, ils le renversent et entretiennent de fait, même si le pouvoir est remis à des civils, une sorte de terreur sur le pouvoir qui se doit de répondre à ses moindres attentes.

 Finalement, l’Armée sert uniquement au Chef de l’État à se protéger… des mutins de l’Armée !!

 Que faut-il donc faire ? Continuer à entretenir l’armée pour finalement se protéger d’elle-même ? Une idée pourrait être de « sous-investir » dans l’armée afin de lui ôter toute capacité de nuisance interne. Une fois que les populations auront intégré de manière durable les concepts de partage de pouvoir et de démocratie, on pourra recommencer à renforcer l’armée. Celle-ci pourrait alors jouer le rôle qu’elle joue dans les pays émergents et dans les pays développés. Dans l’état actuel des choses, aucun pays africain ou faiblement démocratique ne peut se permettre de négliger les revendications de ses forces armées. Mais qu’on la fasse taire cette « grande muette ».

Ted BOULOU

Crédit photo: essor.ml

Pour ou contre l’adhésion d’Haïti à l’Union Africaine ?

La nouvelle est passée inaperçue. Les Chefs d’Etat africains réunis lors la dernière conférence annuelle de l’Union Africaine accédaient à la demande de la République haïtienne d’intégrer l’Union Africaine. Une adhésion qui peut surprendre… à la fois évidente et inédite. Passage en revue des dangers et opportunités de ce rapprochement.

1804, naissance de la République d’Haïti après le soulèvement des esclaves de Saint-Domingue qui vainquent les troupes napoléoniennes. Haïti devient la première république indépendante de population majoritairement noire. Un peu plus de 200 ans plus tard, en juin 2012 plus précisément, Haïti rejoindra l’Union Africaine. Une première pour l’organisation panafricaine, en faveur d’un pays de sa « diaspora ».

Historiquement, les liens entre le continent africain et Haïti sont évidents. Séparés par la tristement célèbre traite négrière, ces peuples à l’histoire commune ont l’occasion de se retrouver. Ensuite, Haïti ayant accédé à l’indépendance en 1804, près de 150 ans avant le premier printemps africain des années 60, n’a pas ménagé ses efforts pour accompagner les futurs États africains dans leur quête d’indépendance, notamment par son appui au Rassemblement Démocratique Africain.

Mais plus que l’Histoire, ce qui unit aujourd’hui Haïti et les pays africains, ce sont bien le Présent et évidemment le Futur. Cet argument va sans doute donner du grain à moudre aux éternels afro-pessimistes. Car, de fait, malgré ses 150 ans d’ « avance » sur ses petits frères, Haïti est restée économiquement et socialement très proche d’eux. Le pays se traîne au milieu des pays d’Afrique Noire dans les classements de développement humain. Il présente la même jeunesse de population (40% de la population a moins de 14 ans). Le faible taux de croissance déjà peu reluisant a été fortement grevé par la catastrophe naturelle de 2010, conduisant à un chômage de masse.

Une lumière cependant au tableau qui ne manquera pas de susciter des réactions passionnées : Haïti est résolument ancrée sur le chemin de la démocratie. Au point que les récentes élections de mai 2011 ont porté au pouvoir Michel MARTELLY, plus connu pour ses chansons à succès et son rôle dans le carnaval annuel que pour ses prises de position visionnaires pour le bout d’Île… Ce dernier a remporté haut la main des élections jugées transparentes, en revendiquant être le candidat du peuple face à Mirlande Manigat, constitutionaliste de formation, et candidate de facto « des riches et cultivés ». Sans préjuger de la faculté du président élu à sortir Haïti de sa torpeur, on peut tout de même penser que celui-ci doit son élection plus à sa popularité qu’à son programme politique.

Doit-on dès lors critiquer la démocratie haïtienne qui a porté à sa tête un chanteur plutôt qu’une intellectuelle ? Je dirais que non ! Car on ne peut pas souhaiter la démocratie pour les pays africains dirigés par des dictateurs comme l’a été Haïti et critiquer ensuite le choix des haïtiens de confier leur destin à quelqu’un d’insuffisamment intellectuel à nos yeux. Sans doute que le traumatisme dû à la catastrophe naturelle a eu raison d’une classe politique soi-disant intellectuelle et éloignée des attentes des peuples. Difficile de prévoir pareil dénouement en Afrique quand on examine les récents cas Youssou N’Dour au Sénégal et Georges Weah au Liberia…

Sur le plan économique, l’histoire économique récente dominée par la crise de la dette européenne nous a rappelé la nécessité de réaliser des unions politico-économiques cohérentes. Le souvenir de la moribonde Grèce se goinfrant sur les marchés aux mêmes taux que la dynamique Allemagne, et entraînant aujourd’hui la zone Europe dans une zone de turbulences dont personne ne peut encore prévoir la fin, est tout frais. Dans cette optique, l’adhésion d’Haïti à l’Union Africaine est parfaitement cohérente. Même si ce n’est pas forcément flatteur pour Haïti, la réunion et la concertation de toutes les nations les moins avancées est souhaitable pour faire face à l’Union Européenne, aux Etats-Unis, et aux très dynamiques BRICS.

Pour autant, la stratégie de l’Union Africaine reste vague. L’intégration économique reste hétérogène entre les différentes zones monétaires. Comment l’intégration de la République haïtienne s’intègre-t-elle dans la vision des dirigeants africains ? Difficile à dire tellement les dirigeants africains ont souvent brillé par leur manque d’ambition commune. La vraie question à se poser d’ailleurs est : pourquoi Haïti a-t-elle voulu rentrer dans l’Union Africaine ? Peut-être parce que si les pieds des haïtiens étaient en Amérique, leur cœur n’a jamais réellement quitté le continent noir.

Ted Boulou

Crédits photo: socio13.wordpress.com

Non Google, on ne la fait pas à l’envers…aux Kenyans !!

La filiale kényane du géant américain de l’Internet a récemment été accusée de fraude par une start-up kényane. Cette dernière l’accusait de se servir de manière illicite de sa base de données de clients. Pour mettre fin à la polémique, Google a remercié la dirigeante de sa filiale kényane. Un énorme coup pour la réputation du géant américain et une victoire hautement symbolique pour le monde de l’internet africain.

C’est l’histoire d’un géant qui se prend le doigt dans un piège à souris. En Septembre 2011, Google lançait l’initiative Getting Kenyan Business Online, déclinaison kényane de sa stratégie globale d’être le partenaire privilégié de tous les acteurs du commerce local. Évidemment, tout l’enjeu dans ce type d’initiative est d’être capable de référencer les acteurs du commerce local ; or ceux-ci sont souvent trop petits et mal référencés surtout dans des pays où les pages jaunes sont quasi-inexistantes.  Sauf qu’au Kenya, véritable pionnier de l’Afrique 2.0 (comme on peut le voir dans l'article sur le Mobile Banking et dans l'article sur Rupu), Mocality, start-up florissante, occupait déjà ce créneau porteur en répertoriant sur la base des contributions des internautes les différents commerces locaux. Une véritable mine d’or… qui va attiser l’appétit du géant américain.

La fraude a dès lors consisté pour les employés de Google Kenya à se servir de la base de données des entreprises répertoriées par Mocality. Ils sont par la suite entrés en contact avec ces entreprises en affirmant travailler en collaboration avec la start-up pour proposer aux commerçants de gérer leur présence web, à travers notamment la création gratuite de sites web. Ce sont des coups de fil étranges reçus par les employés de Mocality, de commerçants évoquant des sites internet (service que Mocality ne propose absolument pas)  qui va leur mettre la puce à l’oreille. Puis un petit tour de passe de magie numérique : en faisant une requête sur les commerçants concernés, Mocality s’est rendu compte que les profils de ces entreprises avaient été consultés par la même adresse IP (la même personne grosso modo). Les dirigeants de Mocality ont alors eu l’idée brillante de remplacer certains des numéros de leur base de données de commerçants par le numéro de Mocality. Bingo !! Mocality a commencé à recevoir des appels d’employés de Google Kenya, prétendant travailler avec Mocality, voire prétendant que Google possédait Mocality ou que Mocality était en réalité une arnaque, qui entendait proposer aux commerçants un panel de services d’accompagnement et de référencement web.

A ce niveau de l’enquête, même si la faute est clairement démontrée de la part de Google Kenya, on aurait pu, grâce à des arguments frôlant le « racisme », estimer que les responsabilités et l’initiative de ces pratiques pouvaient très bien relever d’un échelon relativement bas dans la pyramide Google. En effet, le responsable des ventes de Google Kenya aurait très bien pu, conformément aux « coutumes » locales (le Kenya est classé 154 sur 178 dans le classement Transparency 2010, le plus mal classé d’Afrique de l’Est), entreprendre ces actions, totalement contraires aux valeurs défendues par la firme de Mountain View. Cela aurait accrédité la thèse des afro-pessimistes convaincus, affirmant que le premier danger pour l’Africain, est d’abord l’Africain lui-même !

Mais la suite de l’enquête va révéler quelque chose de proprement hallucinant, qui va totalement discréditer la thèse précédente et susciter de nombreuses interrogations sur la profondeur (ou la hauteur c’est selon) hiérarchique de la fraude. En effet, forts des constats évoqués plus haut, les dirigeants de Mocality vont néanmoins poursuivre leur enquête en continuant de recevoir les appels des employés de Google. Quelle ne sera pas leur surprise quand ils recevront des appels en provenance non plus de Google Kenya mais de Google…India !! Google avait sous-traité l’opération Getting Kenya Businesses Online, ainsi que ses pratiques frauduleuses en Inde !! Dès lors, il ne fait plus aucun doute que la responsabilité quant à ces pratiques remonte beaucoup plus haut que le simple échelon local voire régional. En effet, réaliser une opération de ce type sur deux continents différents, nécessite une coordination relativement hiérarchiquement élevée.

Au final, environ 30% de la base de données des commerçants a été frauduleusement contactée. Google s’est dit « mortifié » par cette affaire et s’est excusé publiquement le 14 janvier dernier, par la voix de son directeur Afrique subsaharienne. Début Février, Google a remercié Olga Arara-Kimani la patronne de sa filiale, pourtant promise à un bel avenir. Les responsabilités vont-elles plus haut dans la chaîne hiérarchique de Google et Olga Arara-Kimani a-t-elle servi de fusible? On ne le saura probablement jamais. Une chose est claire : l’image de Google a pris un sérieux coup dans la webosphère africaine, et quand on voit l’importance que va revêtir l’Afrique dans le monde 3.0, on se dit que Google n’a pas été très malin sur le coup. Et nul doute qu’en d’autres lieux l’affaire aurait fait grand bruit.

Ce qu’il est important de retenir, c’est que contrairement à d’autres industries, l’industrie 2.0 est incroyablement transparente. Elle nécessite relativement peu de « fonds propres » et privilégie l’innovation. C’est probablement le seul secteur où l’une des plus grandes capitalisations boursières au monde (en attendant Facebook…) pourra faire amende honorable face à une « petite » start-up kényane. En outre, la tendance du web actuel, après avoir voulu faire découvrir le monde lointain aux internautes, est maintenant de leur permettre de retrouver sur internet, non plus seulement le magasin virtuel créé par un développeur à l’autre bout du monde, mais aussi et surtout le magasin qui est au coin de la rue. Le but d’Internet n’est plus de rapprocher le consommateur des boutiques virtuelles mais de le rapprocher des boutiques et commerces locaux ! Et l’enjeu en termes de recettes publicitaires est considérable. C’est pourquoi Facebook veut savoir où on est, Google se lance dans le mobile et les Pages Jaunes résistent !

Il serait dommage pour les acteurs africains, bien mieux informés que les acteurs occidentaux, de se laisser doubler (de manière frauduleuse ou non) sur ce créneau porteur. Mocality l’a compris… je pense que Google aussi…

Ted B.

Quand les artistes du ballon font appel aux artistes du crayon

Le 7 novembre dernier, l’équipementier Puma, sponsor des plus grandes équipes nationales de football (Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire, etc.) lançait sa Coupe d’Afrique des Nations 2012 en dévoilant les nouvelles tuniques de ses équipes fanions. Rien de spécial, me direz-vous, sauf que pour la première fois, ces maillots ont été créés en collaboration avec des artistes locaux. Ces derniers ont eu la lourde tâche de matérialiser les idéaux et les emblèmes de chacun des pays à travers les maillots qu’arboreront les équipes nationales lors de l’événement le plus suivi sur le continent africain.

Cette intégration des artistes africains dans la conception de ces nouveaux équipements n’est pas anodine. Elle permet de souligner une tendance plus large dans le marketing des marques européennes à destination de l’Afrique. En effet, l’Afrique est promise à un avenir économique radieux. L’émergence d’une classe moyenne sur le continent est en cours, ce qui ouvre des perspectives de marché très intéressantes pour les marques occidentales. Or, l’émergence de nouvelles tendances de consommation apparues avec l’essor des nouvelles technologies et la maturation des consommateurs a complètement bouleversé le rapport marque-consommateur. Tout d’abord, le consommateur est remis au centre de la stratégie des marques ; les marques écoutent ses moindres désirs (présence des marques sur Facebook, Twitter, sondages internet etc.). Ensuite, le consommateur veut une relation, un dialogue quasiment intimes avec sa marque ; il a besoin de s’identifier à elle, à ses valeurs ; il veut se reconnaître dans les différents produits. Les marques se doivent désormais d’écouter un consommateur de plus en plus exigeant et sensible aux marques d’attention.

Et le consommateur africain est désormais un consommateur à part entière. Il réclame autant d’écoute et d’attention que tout autre consommateur. Les marques doivent désormais passer d’un dispositif marketing où les stratégies sont définies dans les QG européens des marques à une approche plus spécialisée où les équipes marketing sont de plus en plus au contact des réalités locales. Et aussi surprenant que ça puisse paraître, les individus les plus à même de parler des us et coutumes des consommateurs africains, ce sont les africains !! En choisissant des artistes africains pour dessiner les nouveaux maillots des équipes nationales africaines, la marque Puma se met à l’écoute des sensibilités africaines. Elle sait combien le consommateur africain est fier en matière de football. Elle produit ainsi des produits auxquels les consommateurs des différents pays du continent pourront s’identifier.

Jusqu’à présent, peu de marques de grande consommation avaient entrepris des initiatives de ce type dans l’approche du marché africain. Elles se contentaient pour l’instant de réaliser des publicités mettant en jeu des acteurs à la couleur locale, plutôt que de véritablement intégrer les africains dans la conception même du produit. Il est évident que vu la mollesse de la croissance occidentale et la rudesse des marchés asiatiques, les marques occidentales seront bientôt forcées, afin de tirer véritablement leur épingle sur les marchés africains florissants, de revoir leur processus de conception et de commercialisation des produits à destination des consommateurs africains.

Le deuxième axe de lecture du choix marketing de Puma de faire appel à des dessinateurs africains tient au rapport entre concepteurs locaux africains et consommateurs occidentaux. En effet, même si l’Afrique semble offre des perspectives alléchantes, Puma génère encore la plus grande partie de ses revenus en Occident. En choisissant de vendre sur les marchés occidentaux des produits conceptualisés par les artistes africains, Puma prend un risque. Il prend le risque de déboussoler les consommateurs historiques peu sensibles à l’art africain. Mais c’est dans ce risque que réside toute la subtilité de la manœuvre marketing. Et c’est là que réside tout l’espoir pour la « production » africaine. Le consommateur du 21e siècle ne veut plus de produits génériques sans âme, il réclame de l’authenticité. Le continent africain est l’un des rares qui conserve sa part d’exotisme, sa part de mystique face à un monde occidental de plus en plus exotique. Est-ce une cause ou une conséquence du « sous-développement », le développement passera-t-il par un reniement de cette authenticité ? C’est un tout autre débat et ici n’est pas le lieu de l’entamer.

Néanmoins, les artistes africains doivent prendre conscience du potentiel économique des traditions et de l’art africain. Ils doivent être conscients du potentiel d’attrait, de surprise, d’exotisme dont recèlent leurs œuvres aux yeux des consommateurs du monde entier. L’essor du marché africain de l’art réside dans un meilleur accès des œuvres d’art africaines au marché mondial. Car si les consommateurs africains ne consomment pour l’instant pas d’art local, ou en consomment très peu, de nombreux consommateurs occidentaux et asiatiques seraient prêts à payer pour l’originalité et l’authenticité de cet art « vierge ». Les gouvernements doivent prendre conscience du gisement culturel et économique sur lequel les pays africains, en retrait autant culturel qu’économique dans le processus de globalisation, sont assis. Ils doivent évidemment faire attention aux dangers inhérents à l’activité artistique : contrefaçon, protection des artistes etc. Ils doivent soutenir les artistes, les aider à attaquer le marché occidental et les accompagner dans ces démarches. Peut-être qu’ainsi les artistes africains pourront ainsi vivre de leur art.

 

Ted Boulou

Les Africains, champions du monde de l’optimisme !

Le dernier baromètre mondial de l’optimisme a consacré les pays africains comme champions mondiaux. Avec trois pays au sein des 10 premières places (Nigéria 1er, Ghana 3e, Cameroun 7e), l'Afrique ressort comme le continent le plus optimiste, et de loin. Ceci peut sembler paradoxal au regard de divers autres classements du bien-être et du PIB dans lesquels les pays africains trustent les dernières places. Pourquoi les africains sont-ils optimistes ? Cet optimisme a-t-il un réel impact sur la réussite économique ?

Alors même que des émeutes inter religieuses secouent ses provinces septentrionales, le Nigéria vient remporter la palme symbolique de pays le plus optimiste du monde, d’après le résultat du sondage BVA/Gallup réalisé fin décembre dernier. Plus globalement, le sondage « récompense » les pays africains, le Nigéria occupant la première place, le Ghana et le Cameroun occupant respectivement les 3e et 7e places respectivement. L’Afrique ressort comme le continent le plus optimiste, loin devant l’Amérique du nord et l’Asie, l’Europe de l’ouest fermant la marche. Le renversement de l’espérance serait-il le signe d’un renversement inéluctable de l’échelle des puissances mondiales ?

Jusqu’à présent, et depuis le début de l’ère contemporaine, le monde occidental (États-Unis et Europe Occidentale) faisait preuve d’un optimisme et d’une foi inégalée en son futur. Les intellectuels occidentaux ont toujours eu foi dans le futur, croyant aux bienfaits des progrès de la science et de la technologie pour propager leur vision du monde ainsi que leurs idéaux aux autres peuples du monde entier.

Aujourd’hui, la machine semble grippée…la faute à une crise économique qui a rebattu les cartes dans la géopolitique mondiale. Les peuples européens dont les rêves s’agençaient autour de la construction d’une Europe forte et d’États protecteurs voient ceux-ci s’effriter devant les dissensions internes au sein de l’Euroland et la situation alarmante des Etats obligés de sacrifier les peuples à l’autel de l’irrationalité des marchés. Aux États-Unis, les espoirs soulevés par le candidat Obama, ont été balayés par l’incapacité des camps démocrate et républicain à dessiner un scénario crédible de sortie de crise. Au pays du rêve américain, moins d’un américain sur deux pense que la vie de ses enfants sera meilleure que la sienne !

Pendant ce temps, dans les pays émergents que sont la Chine, le Brésil et dans une moindre mesure certains africains, l’heure est à l’espoir. La croissance économique de ces dernières années ainsi que l’émergence de classes moyennes dynamiques et d’entreprises conquérantes propagent ces ondes positives.

Économiquement, la foi en un avenir meilleur permet à l’investisseur de risquer son épargne en pariant sur la future santé des entreprises ; c’est elle qui pousse le consommateur à commencer car il sait que le futur ne lui réserve aucune péripétie nécessitant une protection sous la forme d’épargne. Mais c’est aussi cette foi dans le futur qui crée et entretient des bulles dont l’éclatement peut être douloureux pour ces jeunes nations.

Attention donc aux gouvernements car le niveau d’espoir est intimement proportionnel à la violence de ces espoirs déchus. Que les Africains gardent le moral alors même qu’on leur prête les pires conditions de vie au monde relève du miracle. Il faut capitaliser sur cette pensée positive pour entreprendre les réformes qui permettront de réaliser ces rêves.

Ted Boulou

Source Photo: http://sustoptions.blogspot.com

Attention, la bataille des airs africains a commencé!!

La croissance attendue du marché du transport africain aiguise l’appetit des grandes compagnies aériennes du Golfe, de l’Europe et des États-Unis. Une aubaine pour les africains, habitués à payer le prix fort en raison du manque de concurrence sur le secteur, et qui pourront désormais envisager un vrai tourisme local. Mais un défi majeur pour les Etats qui doivent mettre en place un cadre infrastructurel, réglementaire et commercial pour accompagner la densification du réseau aérien africain.

En annonçant que l’Afrique connaîtrait le deuxième taux de croissance le plus élevé en nombre de passagers d’ici 2014, suite à l’émergence d’une classe moyenne africaine, l’Association internationale du transport aérien (AITA) n’a fait qu’entériner ce que les acteurs majeurs de ce secteurs avaient anticipé. Comme dans les autres secteurs du tertiaire, l’Afrique est l’une des principales poches de croissance et pourrait constituer à moyen terme un relais de croissance pour pallier à la morosité des économies occidentales.

Jusqu’à présent, les rares acteurs traditionnels européens (Air France, Lufthansa) et africains (Royal Air Maroc, Kenya Airways) profitaient de la trop faible intensité concurrentielle pour faire payer aux consommateurs le prix fort. Les marges opérationnelles sont de l’ordre de 15% sur la zone Afrique alors qu’elle est de l’ordre de 3 à 5% sur les autres zones en raison de la concurrence. Chez Air France par exemple, les lignes vers l’Afrique sont les plus rentables. Il suffit de regarder les prix des billets d’avion vers l’Afrique pour s’en persuader. Celui-ci varie du simple au double quand il s’agit de partir de Paris pour Abidjan ou pour Pékin, pour une durée de vol quasiment double dans le dernier cas!!

 Mais les prédictions de l’IATA font souffler un vent nouveau sur la zone Afrique du secteur. De fait, l’arrivée des compagnies du Golfe et des Etats-Unis menace de bouleverser complètement le paysage aérien en Afrique. La géante Emirates Airlines envisage de desservir une vingtaine d’aéroports africains et entend profiter de la croissance attendue de 9% par an sur la prochaine décennie du trafic entre l’Asie-Pacifique et l’Afrique selon Financial Times. L’américaine Delta Airlines a fêté il y a quelques semaines le 5e anniversaire de son service sans escales vers l’Afrique en réaffirmant l’importance stratégique de ces lignes dans leur portefeuille international. Et que dire de l’annonce faite récemment par le fondateur du trublion du secteur, la controversée EasyJet, qui a dévoilé début décembre, son projet de lancer une nouvelle compagnie à bas coûts en Afrique, "dernière frontière" du transport aérien et marché très prometteur. De nombreuses compagnies locales (South African Airways, la libyenne Afriqiyah, Kenya Airways) tentent elles aussi de tirer leur épingle du jeu face aux grandes occidentales.

 L’arrivée de ces nouvelles compagnies est une manne financière pour les gouvernements africains. A condition que ceux-ci en contrepartie donnent aux compagnies étrangères les moyens de se développer. Cela passe par une taxation plus lisible et une réglementation plus fluide. En outre, la mise à niveau des différents aéroports est une condition nécessaire pour augmenter le trafic aérien. On pourrait imaginer que les compagnies aériennes désirant profiter du marché local participent aux coûts de mise à niveau des infrastructures, à l’image des partenariats public-privé dans d’autres secteurs.

 Le cas spécifique des compagnies africaines est à examiner avec attention. Tout d’abord, il est nécessaire pour les gouvernements de s’assurer du niveau de respect des règles de sécurité par les compagnies locales. En effet, plusieurs compagnies africaines qui opèrent en Afrique sont sur la liste noire de l’IATA, et représentent donc un danger pour les passagers africains qui les empruntent. L’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et Madagascar) doit jouer un rôle majeur dans ce processus de normalisation. De plus, les Etats africains doivent se poser la question « tabou » du protectionnisme. Nos jeunes compagnies aériennes locales peuvent-elles réellement émerger face à des concurrents de la taille d’Air France ou d’Emirates Airlines ? On pourrait obliger les compagnies européennes voulant opérer sur le continent à s’allier avec une compagnie locale. Cela suppose évidemment de mettre à niveau les compagnies locales par un transfert de compétences, subventionné si nécessaire. Après avoir consolidé leurs positions intracontinentales, nos compagnies aériennes devront attaquer le marché mondial, opérer elles aussi sur des lignes totalement extérieures à l’Afrique.

 D’un autre côté, les passagers africains seront les plus grands gagnants de ces bouleversements dans ce secteur. Si les coûts de transport de l’Afrique vers l’Europe, l’Amérique ou l’Asie vont nécessairement diminuer du fait de ces nouveaux acteurs occidentaux et orientaux, l’émergence des compagnies africaines devraient permettre de faciliter les déplacements à l’intérieur de l’Afrique. On est aujourd’hui dans une situation proprement aberrante où il est plus cher pour un habitant de Yaoundé au Cameroun de se rendre à Dakar au Sénégal que de se rendre à Paris !!! A l’heure où les projets routiers transcontinentaux patinent du fait souvent de réticences politiques et autres lenteurs d’intégration sous-régionale, la densification du réseau aérien africain pourrait être le déclencheur d’une véritable économie régionale. Combien d’étudiants français à Paris ont effectué un échange universitaire à Polytecnico de Madrid et  combien d’étudiants ivoiriens ont effectué un échange à Polytechnique Yaoundé ? La vulgarisation du transport aérien qui semble dépendre beaucoup moins des infrastructures nationales, pourrait accentuer ce type d’échanges.

 Enfin, on pourrait aussi discuter de la place du tourisme dans les mentalités africaines… en se limitant au cas des populations urbaines pour qui le mot « vacances » a une réelle signification. Peu de familles, lors des vacances scolaires par exemple, font des voyages touristiques. Les seuls déplacements consistent soit à se rendre dans le village familial ou à rendre visite à de la famille dans d’autres villes du même pays. Pourquoi ne va-t-on pas visiter les montagnes du Kilimandjaro ou les chutes Victoria ? Est-ce uniquement en raison du prix du billet d’avion vers la Tanzanie ou la Zambie ? La question reste à creuser. Au pire les voyages intra-africains seront uniquement des voyages d’affaires et ce ne sera déjà pas si mal.

Ted B.

Source photo: republicoftogo.com

Etudiants africains en France : circulaire Guéant, un mal pour un bien ?

Une circulaire du Ministère de l’Intérieur publiée le 31 Mai dernier durcit les conditions d’obtention de l’autorisation de travailler pour les étudiants étrangers en France. De nombreux étudiants issus des grandes écoles françaises sont aujourd’hui contraints à rentrer dans leur pays d’origine. Ces retours forcés pourraient constituer une manne inattendue pour les pays africains.

16 Octobre 2011, deuxième tour des primaires citoyennes du Parti Socialiste. Les sympathisants socialistes attendent avec impatience le nom de celui qui affrontera le candidat de la droite lors des élections présidentielles de 2012. A leur côté, un public inattendu est suspendu au processus électoral : les étudiants africains en France, en particulier ceux dans leur dernière année d’étude. Ils veulent savoir qui les sauvera du nouveau traquenard du duo Guéant-Sarkozy.

En effet, pour lutter contre le chômage des français qualifiés, le gouvernement français a décidé de réduire l’immigration professionnelle. Pour cela, les conditions d’accès au marché de l’emploi ont été durcies pour les jeunes diplômés étrangers sans distinction de formation ou de nationalité. Le 30 mai dernier, une circulaire était distribuée dans les préfectures, durcissant les conditions de changement de statut étudiant vers salarié. Et les premiers résultats se font déjà sentir. Les cas les plus emblématiques sont ceux de diplômés d’HEC, de Polytechnique et autres grandes écoles s’étant vu refuser l’autorisation de travail et s’étant vu signifier l’obligation de quitter le territoire français.

Peu de chiffres existent aujourd'hui pour quantifier le phénomène. Encore moins de chiffres permettent d’attester de l’efficacité de cette mesure dans la réduction du chômage en France. Il est évident que cette mesure, si elle venait à perdurer, nuirait à l’attractivité de la France comme destination universitaire de référence. Les étudiants africains pourraient se tourner vers d’autres destinations plus accueillantes comme l’Allemagne ou le Canada qui s’organisent pour récupérer cet afflux de jeunes diplômés.

Pour les pays d’origine des étudiants, en particulier les pays d’Afrique, le retour forcé des jeunes diplômés pourrait constituer une manne inattendue. Le problème de la fuite des cerveaux, tant décrié, trouverait là une solution quasi-miraculeuse. En effet, les personnes concernées sont des jeunes diplômés, ayant donc fini leur formation, et ayant pour la plupart effectué des stages au cours de leur cursus. Ils sont opérationnels, ont acquis des méthodes de travail occidentales et possèdent la culture locale. Ils constituent donc une main-d’œuvre de choix pour les filiales de grands groupes occidentaux par exemple. Ils peuvent aussi participer à la création de valeur par l’entreprenariat.

Le défi pour les pays d’origine consistera à mettre en place des structures pour absorber cet afflux de main-d’œuvre qualifiée.

Ted Boulou