La maturité du marché de la téléphonie mobile en Afrique

A la fin des années 90, la démocratisation rapide de la téléphonie mobile en Occident était vue par certains commentateurs comme un motif d'inquiétude pour les nations en développement, moins privilégiées en matière d'avancées techniques. Au premier chef, les pays africains, dont la grande majorité occupait les derniers rangs des classements en matière d'équipements en télécommunications. La notion de "fracture numérique" apparaissait et nombre de prévisions envisageaient un décrochage technologique des pays du Sud qui viendrait se rajouter à leur retard économique, déjà inquiétant. A l'appui de ces prédictions pessimistes, l'argument le plus communément invoqué voulait que nombre de ces pays qui, pendant des décennies, n'avaient pas été en mesure d'offrir à leurs populations un service fiable de lignes fixes sur leur territoire, seraient distancées encore un peu plus avec l'arrivée de ce nouveau médium de communication. Le scepticisme ambiant de l'époque reposait en définitive sur l'opinion qu'il était hautement improbable de sauter purement et simplement une étape majeure de l'évolution technologique. Ce sombre scénario était plausible, mais comme bien des prévisions à l'argumentaire pourtant convaincant, il ne s'est pas réalisé.

Aujourd'hui, le téléphone mobile est partout sur le continent. En 2000, il y avait 16 millions de mobiles actifs en circulation pour une population africaine de 800 millions d'habitants. Un téléphone pour 50 personnes. A la fin 2011, selon une étude de Wireless Intelligence, le nombre d'abonnés africains au téléphone portable atteignait 620 millions (supérieure à celui de l'Europe et en passe de devenir le deuxième marché continental de la planète après l'Asie, et devant l'Amérique) pour une population totale ayant désormais franchi le cap du milliard d'individus. Un téléphone pour moins de 2 personnes !

Un saisissant raccourci de l'explosion de la téléphonie mobile au cours de la dernière décennie en Afrique, et qui aura révolutionné en profondeur des pans entiers du continent. Sur le plan économique, cette démocratisation massive du téléphone portable (60 % de taux de pénétration pour l'ensemble de l'Afrique) aura permis la constitution de grands groupes télécoms prospères (en dehors du secteur des hydrocarbures, ces compagnies sont souvent leaders dans plusieurs pays en terme de revenus et d'investissements), qui opèrent le plus souvent à l'échelle de sous-ensembles régionaux (Orange, Bharti, Vodafone) et à la structure capitalistique africaine pour quelques géants du secteur (MTN, Orascom). Un impact économique qui au-delà de la constitution de quelques titans des télécoms panafricains, aura aussi permis à quelques habiles opérateurs privés de bâtir empire et de constituer fortune(Mo Ibrahim, Mike Adenuga, Cheikh Yerim Sow, Naguib Sawiris). Les télécommunications mobiles en Afrique, c'est un chiffre d'affaires global de 56 milliards USD en 2010 et plus de 3.5 millions d'emplois directs et indirects selon l'Union Internationale des Télécommunications .

Une croissance aussi forte trouve son explication dans une convergence de facteurs favorables ; les principaux étant une réglementation favorisant la concurrence, l’implantation de nouvelles technologies et un effort marketing adapté aux besoins des usagers. Dominés un temps par des monopoles d’État, les marchés des télécommunications africains comptent désormais parmi les plus concurrentiels du monde, les autorités de régulation ayant octroyé un nombre croissant de licences et poussé les opérateurs à étendre les services proposés. Cette concurrence accrue a incité les opérateurs à réduire progressivement leurs prix, développer les réseaux et proposer de nouvelles offres afin de protéger leur part de marché et en obtenir de nouvelles. Un cercle vertueux dont les usagers africains auront été, comme ailleurs dans le monde, les grands gagnants.

Il existe aussi quelques spécificités africaines dans le domaine de la téléphonie mobile. Il s’agit essentiellement d’un marché prépayé. Plus de 95 % des utilisateurs utilisent cette forme de consommation, et ceci sur la plupart des marchés du continent. De plus, le marché est toujours axé sur la communication vocale, seul le SMS s’imposant en dehors des services téléphoniques vocaux, qui correspondent à 90 % des revenus. Néanmoins, les autres prestations proposées par les opérateurs progressent rapidement, en particulier l'Internet mobile. Révélateur également de l'impact considérable de la téléphonie mobile, plusieurs autres secteurs de l'économie ont adapté leur offre en fonction de ce nouveau canal. Les institutions financières proposent ainsi de plus en plus de services de banque à distance (mobile banking), via le téléphone portable, afin de développer et de diversifier leurs services. De nouvelles applications, telles que M-PESA au Kenya par exemple, permettent ainsi le transfert d’argent.

Evolution du nombre d’abonnés à la téléphonie mobile en Afrique, 2005-2013
Passée cette phase de forte expansion enregistrée depuis le début du siècle, la téléphonie mobile en Afrique doit faire face aujourd'hui à de nouveaux défis. Si le nombre d’abonnés poursuit sa progression (mais à un rythme désormais moindre), le revenu marginal par abonné a été fortement réduit, atteignant moins de cinq dollars par mois sur de nombreux marchés. Cette baisse a redéfini les paramètres ayant traditionnellement une influence importante sur la rentabilité du secteur. En réduisant par exemple la dépendance au revenu moyen par utilisateur, elle a obligé les opérateurs à optimiser leurs modèles pour qu'ils restent viables. Les seuils de rentabilité restent bas, hormis pour les plus grands opérateurs. Le secteur est soumis à des mutations considérables, passant d’un modèle de développement basé sur la valeur à un modèle basé sur les volumes. Le coût des licences de téléphonie mobile augmentant et le développement d’une large base de clientèle étant indispensable, les besoins en capitaux sont plus importants. L’intensité de la concurrence augmente les risques de retours sur investissement négatifs et ne favorise pas une consolidation sur le long terme.

Mais parallèlement à ces défis, de nouvelles opportunités se présentent ; l’industrie de la téléphonie mobile cherche désormais à réaliser pour le marché de l’Internet ce qu’elle a fait pour la téléphonie vocale. Les obstacles sont nombreux : infrastructures limitées, coûts de la bande passante et de l’équipement de base élevés, faibles niveaux d’alphabétisation de la clientèle et marchés cibles réduits. Cette perspective est toute entière marquée par la spéci…cité des opportunités de développement en Afrique : un mélange unique de potentiel très prometteur et de retours sur investissements souvent incertains. Quoi qu'il en soit, le marché de l’Internet constitue bien la prochaine étape de l’expansion du secteur de la téléphonie mobile sur le continent. Et si les performances passées peuvent préjuger tant soit peu des résultats futurs, il y a tout lieu de demeurer optimiste.
 

Jacques Leroueil

 

CÔTE-D’IVOIRE 2.0

 

Traiter de l’Afrique ne se résume pas à des constats désastreux sur la guerre, la famine, les maladies, les conditions économiques et sociales difficiles. Alors si on parlait nouvelles technologies ? Privée de réformes dans le domaine des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) depuis plus de 15 ans (1995), la Côte-d’Ivoire semble faire, aujourd’hui, le pari de la modernisation.

Dans le processus global de redressement de la Côte-d’Ivoire, après les bouleversements politiques qui ont accompagné la première moitié de l’année 2011, il est intéressant de s’attarder sur un élément essentiel dans le développement d’un pays mais dont on ne parle que très peu lorsqu’il s’agit d’Afrique : les nouvelles technologies.

Et en Côte-d’Ivoire, les nouvelles technologies ont joué un rôle prépondérant dans l’essor économique du pays. Les TIC, portées essentiellement par la téléphonie mobile, ont un apport non négligeable dans l’économie générale. Ce secteur, qui représente aujourd’hui plus de 5% du PIB, a créé 6000 emplois directs et près de 100 000 emplois dans les secteurs dépendants des TIC. Depuis 2001, ce sont plus de 1200 milliards de Francs CFA qui ont été investis dans ce secteur d’activité. Par ailleurs, les TIC rapportent environ 200 milliards de Francs CFA aux pouvoirs publics.

 Pourtant, la Côte-d’Ivoire n’était, jusqu’à présent, pas vraiment avant-gardiste dans le domaine. La dernière reforme des TIC, dans le pays, a eu lieu en 1995 et portait essentiellement sur le lancement de la téléphonie mobile et la privatisation de Côte-d’Ivoire Télécom. Si la Côte-d’Ivoire a connu une progression importante dans les TIC, elle le doit avant tout à la téléphonie mobile précisément. La part des Ivoiriens utilisant les mobiles a connu une augmentation foudroyante en quelques années. Dans le même temps, la concurrence acharnée que se livrent les opérateurs privés, de plus en plus nombreux, permet une diminution mécanique des prix, qui, elle-même, assure une accessibilité plus grande à la téléphonie, pour la population.

 Cela dit, les efforts sont encore insuffisants et le Ministère des Postes et des Technologies de l’Information et de la Communication, dirigé par Bruno Nabagné KONE, cherche aujourd’hui à donner une ligne directrice aux projets dans les TIC. Dans les pages de Réseau Télécom Network, le ministre revient sur l’idée force de son projet, à savoir : « (…) développer, promouvoir et vulgariser les technologies de l’information et de la communication » ainsi que « (…) former une expertise nationale en matière de TIC. ». Aujourd’hui le monde professionnel est très largement dépendant des TIC. Aucun secteur d’activité ne semble y échapper et le ministre l’a bien compris « Les TIC doivent être utilisées comme effet de levier pour l’ensemble de notre vie sociale et de notre économie. » Ce que souhaite M. Koné  pour l’avenir, c’est le développement d’une véritable économie numérique.

 Si le projet semble alléchant et ambitieux, il n’en est pas moins semé d’embûches. A l’heure actuelle, de nombreuses contraintes, structurelles et conjoncturelles viennent freiner ces velléités de développement des TIC.

Le cadre juridique, par exemple, est inadapté au développement de l’économie numérique. Pire encore, la Côte-d’Ivoire, comme bien des pays d’Afrique, accuse un retard phénoménal dans le lancement de la 3G.  Par ailleurs, si on a observé une massification de la téléphonie mobile depuis 1995, il n’en va pas du tout de même pour les autres équipements informatiques, à commencer par la couverture internet. Le trop petit nombre de personnes formées aux TIC provoque une pénurie en ressources humaines par rapport à la multiplication des usagers, ce qui tend également à freiner le développement du secteur.

Enfin, la cybercriminalité reste un problème très mal appréhendé par les pouvoir publics.

 Si le développement des TIC est une idée complexe, dont la mise en pratique s’avérera certainement très longue, la Côte-d’Ivoire a néanmoins eu le mérite de lancer un projet ambitieux alors qu’elle sort tout juste de plusieurs mois de troubles. Au ministre de conclure : « Nous sommes encouragés par le Président de la République et le Premier ministre, tous deux convaincus de la fabuleuse opportunité que représente les TIC pour notre pays. »

Giovanni C. DJOSSOU

Sources : 

http://www.csdptt.org

– l'entretien accordé par le ministre ivoirien des Postes & TIC au magazine Réseau Télécom Network (n°49 Septembre/Octobre 2011).

Mobile banking : le nouveau filon des opérateurs de téléphonie mobile en Afrique

Le marché du mobile banking est en pleine ébullition : le groupe bancaire africain Ecobank et le groupe de téléphonie indien Airtel ont signé le 6 juin dernier un accord portant sur les services mobiles en Afrique. Ce n’est pas le premier partenariat signé par Ecobank sur le continent, le groupe s’étant déjà allié à MTN au Bénin en septembre 2010. Les enjeux sont de taille : l’Afrique est le continent le plus sous-bancarisé du monde, avec  une moyenne de 5 agences bancaires pour 1000 habitants, et la