Théo Ananissoh : Ténèbres à midi

Je poursuis l’exploration du travail de l’homme de lettres togolais, Théo Ananissoh. Il est vrai que j’ai deux bonnes raisons de le faire : primo, son roman L’invitation récemment publié chez Elyzad m’avait fait forte impression. Secundo, dans le cadre de la préparation de nouvelles Lettres africaines à Dijon, il est important que j’aie une vision la plus large de son œuvre littéraire. Ténèbres à midi est donc le deuxième roman que j’aborde de cet auteur. Comme dans L’invitation, le narrateur est un romancier venant comme Théo Ananissoh de Dussëldorf. Après vingt années d’absence loin de son pays d’origine, si on peut encore me permettre cette expression, il revient en terre togolaise. Il y a quelques années, une amie libraire l’a mis au défi d’écrire une fiction sur son pays, à défaut d’y retourner et de s’y fixer. Il lui demande de le mettre en contact avec un immigrant ayant réussi son retour au bled. Elle lui propose Eric Bamezon.

theo_ananissohJ'ai besoin de voir de près quelqu'un comme Eric Bamezon, de m'entretenir avec un homme né après la colonisation comme moi, qui mène son existence d'adulte dans ce pays, qui y agit. (p. 19, édition Gallimard)

Le cas Bamezon

Cet homme va donc être la cheville ouvrière du projet littéraire du narrateur. Tout de suite, celui-ci met tout en œuvre pour établir le contact d’un homme qui est tout de même le conseiller spécial du président de la république, le bien nommé Bestia. Le narrateur raconte avec sobriété les difficultés de l’abord de ce genre de personnage. Les heures d’attente, les rendez-vous manqués, le peu d’attention accordé à l’auditeur. Sans caricaturer, Ananissoh, nous conte le ponte bien assis dans poste, qui recommandations ou pas, vous fait bien savoir qu’il a prise sur vous. Alors que l’écrivain désespère d’avancer un jour sur son projet et qu’il s’attarde pour se consoler dans une description méthodique de la laideur et de la puanteur de cette grande ville africaine, il reçoit finalement l’appel de Bamezon pour une rencontre dans un milieu plus neutre dans un grand hôtel de la ville. Etonnamment, l’homme se montre très disert et ouvert pour un interlocuteur qu’il ne connait que par Nadine, leur connexion commune. Le temps d’une nuit, Bamezon va révéler le contexte de son retour au bled et le prix de sa réussite, lui, qui, otage d’un système envie la liberté de l’homme de lettres assis en face de lui.

L’approche Ananissoh sur les retours des élites

Ce pays doit être décrit sans aucune crainte – (p. 43, édition Gallimard)

Le romancier togolais ne laisse absolument rien au hasard. Bâtit-il de toute pièce ce personnage de Bamezon ou est-ce une connaissance réelle qui est passée à confession ? Il est très difficile de le dire et très honnêtement, cela finit par être secondaire dans ce projet, tellement l’auteur prend le soin de ne rien laisser au hasard. Il a un regard sombre et sans concession sur les marges de manœuvre de celles et ceux qui souhaitent repartir sur le continent chargés d’idées brillantes qui peuvent changer le quotidien de beaucoup. L’impuissance de Bamezon semble être une insulte au lecteur tant elle a quelque chose de grotesque.

Seulement le romancier togolais ne laisse absolument rien au hasard. Mettre en scène l’impuissance d’Eric Bamezon, personnage au cœur même du système de décision, est un choix que l'écriture porte. Quand on lit ce roman, on peut avoir l’impression que Théo Ananissoh plaide pour justifier son exil et l’impossibilité d'un retour sur une terre dirigée par des animaux. Bamezon envie l’écrivain exilé. Le retour d’Eric est héroïque et son engagement inspire l’écrivain. Mais le retour nécessite prudence et sagesse. Quelle différence entre ce que décrit Théo Ananissoh et les histoires glauques que parfois, on entend de nos pays d’origine. L’intime violé des leaders incarnant le changement ou du moins une forme de probité fait d’ailleurs écho au juge M’Poba, personnage central Des fruits si doux de l’arbre à pain de Tchicaya U Tam’si. Bamezon disparait tragiquement. Comprendre l’histoire de cet homme, c’est d’une certaine manière lui offrir un tombeau. L’écrivain va poursuivre sa remontée du fil d'Ariane vers l’absurde et l’horreur.

Et que dire de l'écriture? Conscient que le format blog m'impose de ne pas être trop bavard, je vous dirai juste que ce livre est un régal pour les amoureux des belles lettres.

 

Théo Ananissoh, Ténèbres à midi

Editions Gallimard, première parution en 2010

Voir la lecture de quelques extraits de texte par Théo Ananissoh

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