A qui les terres en Afrique ?

C’est un phénomène qui existe depuis une petite dizaine d’années. Il s’amplifie considérablement aujourd’hui. Oui, l’acquisition de terres africaines par des pays étrangers devient une opération courante.

Que cela implique-t-il ? Bonne ou mauvaise nouvelle, pour un continent dont le secteur agricole reste le secteur dominateur ?

D’aucuns parlent d’exploitation à outrance. D’autres, carrément de néo-colonialisme. A l’inverse, certains y voient une formidable opportunité pour les pays africains de connaître une modernisation agricole. Quoiqu’il en soit, la question de l’acquisition des terres en Afrique, par des Etats, des entreprises, des fonds d’investissement étrangers, ne laisse personne indifférent.

En 2009, selon l’International Land Coalition, ce ne sont pas moins de 200 millions d’acres de terres vendues à travers le monde, dont 64% sur le continent africain.

Qui vend ? Qui achète ? Pourquoi ?

 Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite, la Chine, Le Qatar, l’Inde, le Koweït et la Corée du Sud sont les pays les plus actifs dans cette nouvelle pratique. Par exemple, l’entreprise Sud Coréenne Daewoo a récemment acquis 1,3 million d’hectares à Madagascar. Madagascar justement, en compagnie du Ghana, du Soudan, de l’Ethiopie, et du Mali, fait parti des 5 pays où ce nouveau genre de transactions a le plus souvent cours. A eux 5, ils représentent  2,5 millions d’hectares vendus.

Les intérêts des pays étrangers sont multiples. Lorsque ce sont les Etats qui investissent, c’est principalement pour répondre au souci d’insécurité alimentaire. L’explosion démographique de certains pays (Inde, Corée du Sud) rend la satisfaction totale des besoins alimentaires, difficile à atteindre. L’exiguïté d’autres pays (Qatar, Koweït) rend d’emblé, la production agricole insuffisante, voire quasi-nulle.

Ces acquisitions foncières peuvent également se faire pour la seule spéculation financière.

En réalité, selon la Banque Mondiale, 21% des achats de terres en Afrique, en 2009, ont été réalisés dans le but de produire des biocarburants. Oui, les biocarburants sont la principale raison des acquisitions massives des terres en Afrique. Ce qui fait dire, d’ailleurs, à certains spécialistes du sujet, que l’Afrique est devenue le Moyen-Orient des biocarburants.

Que gagnent les pays africains ?

Dans un premier temps, la vente de terres apporte un avantage financier aux autorités. Souvent, ces acquisitions se font également avec l’assurance qu’en contrepartie, des infrastructures seront construites.

Lorsque l’acquisition des terres s’effectue dans le l’idée d’une production agricole, alors, l’Afrique a potentiellement, beaucoup a y gagner. Tout d’abord : des emplois. Le faible coût de la main-d’œuvre locale, combiné à la connaissance de la terre, font de l’agriculteur autochtone un travailleur prisé par les entreprises étrangères, y compris les entreprises chinoises, pourtant habituées à l’utilisation de leur propre main-d’œuvre. Au-delà des emplois, l’avantage primordial reste le possible transfert de technologie. Un savoir-faire humain et technique, plus moderne et susceptibles d’améliorer la productivité agricole en Afrique. In fine, ce transfert de compétences humaines et techniques pourrait éventuellement entraîner un bouleversement dans les circuits de l’agro-business : Et si les pays africains pouvaient, grâce à cela, assurer eux-mêmes, la transformation de leurs produits agricoles ? Qu’en serait-il alors d’un pays comme la Côte d’Ivoire, premier exportateur mondial de cacao ? Serait-il en mesure de produire, à terme, son propre chocolat ?

On en est loin. Mais cette perspective est alléchante.

Qu’en est-il réellement ?

 Récemment, les habitants de la vallée de la rivière Tana, au Kenya, se sont opposés aux pouvoirs publics après que ceux-ci aient accordé au Qatar l’exploitation de 40 000  hectares de terres cultivables. Le tout, en échange de la construction d’un port. Cet exemple, qui n’en est qu’un parmi bien d’autres, est révélateur de la manière avec laquelle les populations africaines accueillent ces nouvelles initiatives.

A l’automne 2008, le président malgache, M.Ravalomanana, est contraint à la démission suite à la protestation populaire liée à la vente de 1,3 millions d’hectares à Daewoo, citée plus haut.

S’il existe de telles oppositions, c’est parce qu’en réalité, l’acquisition de terres dessert considérablement les populations. Les terres vendues sont souvent exploitées, au préalable, par des paysans. A leur vente, si l’entreprise poursuit la production agricole, ou entame la production de biocarburants, elle est susceptible d’embaucher les anciens exploitants. Cela dit, bien souvent, les emplois créés sont nettement inférieurs au nombre initial des exploitants de la terre en question, avant acquisition. Lorsque la terre est acquisition en vue de la simple spéculation : aucun emploi n’est créé.

Quelque soit l’issue, l’achat des terres africaines entraine de nombreux mouvements de population, qui commence –seulement maintenant- à inquiéter l’ONU et autres organisations internationales. Ces déplacements des populations rurales vers les zones urbaines ne font que mettre plus en avant encore cette nouvelle pauvreté liée au chômage massif dans l’agriculture.

La vente de terre : une aberration ?

 Comment cela est-il possible ? A leur où les adeptes de Malthus fleurissent à nouveau pour nous expliquer que, compte tenu du nombre trop important d’individus sur la planète, la satisfaction alimentaire sera un enjeu crucial du XXIe siècle, voilà que l’Afrique vend ses terres. Par ailleurs, comme en Côte d’Ivoire, où l’agriculture représente 60% des exportations du pays, le secteur primaire, pour les Etats du continent africain, est primordial.

Que la Corée du Sud, la Chine ou le Qatar s’inquiètent de leur insécurité alimentaire paraît tout à fait normal. En revanche, que ce soit les pays africains, eux-mêmes en insécurité alimentaire, qui vendent leurs terres –pour si peu en échange- paraît totalement incongru.

On serait tenté de se ranger du côté de ceux qui crient au néo-colonialisme comme le fait l’ancien Directeur Général des Nation Unies pour l’alimentation et l’Agriculture, M. Jacques Diouf, mais non. Non car les pouvoirs publics des pays concernés ne sont pas obligés de pratiquer cette politique destructrice qu’ils regretteront sur le long terme. Non car il n’y a pas de fatalité : l’Afrique peut connaître le développement technique, dans le domaine agricole, par d’autres moyens que celui de vendre ce qu’elle a de plus précieux : la terre.

Beaucoup d’économistes estimaient que les Etats africains n’étaient jamais vraiment sortis de la colonisation du fait des mécanismes financiers et économiques qui pèsent toujours sur eux : Franc CFA en Afrique de l’Ouest, entretient de la dette etc. On parlait alors de colonisation à distance. Cette nouvelle exploitation remet au goût du jour l’idée d’une « colonisation » physique, outrancière. La communauté internationale ne s’en émeut guère. Pas plus que l’Union Africaine.

Mais la Corne de l’Afrique ne vient-elle pas de connaître une terrible famine, en 2011 ?

Giovanni DJOSSOU