Le tourisme équitable en Afrique subsaharienne, un outil efficace de développement ?

A la différence du Maroc et de la Tunisie qui ont privilégié un tourisme de masse, l’Afrique sub-saharienne se trouve à la croisée des chemins et doit arbitrer entre un tourisme de masse, avec un retour sur investissement rapide, et un tourisme sélectif visant à accueillir un nombre réduit de touristes à hauts revenus dans des infrastructures volontairement limitées. Les pays d’Afrique sub-saharienne ont pris conscience ces dernières années de la formidable manne constituée par l’industrie touristique, secteur qui contribue le plus au PIB mondial et qui emploie environ 240 millions de personnes (données Organisation Mondiale du Tourisme, 2008). Le secteur représente ainsi 34% du PIB des pays en développement (données World Travel and Tourism Council, 2011). L’Afrique ne pèse actuellement que 10% du marché mondial du tourisme, et les perspectives prometteuses de développement du secteur attirent de nombreux investisseurs étrangers, parmi lesquels de grands groupes hôteliers internationaux. La tentation est alors grande pour les pouvoirs publics de promouvoir l’industrie du tourisme au détriment du secteur primaire, et de fermer les yeux devant l’essor des séjours dits all inclusive qui permettent au visiteur de ne rien dépenser une fois sur place, limitant ainsi grandement l’impact du tourisme sur l’économie locale.

En réaction au tourisme de masse globalisé dont l’impact négatif sur les territoires visités et leurs habitants n’est plus à prouver, est apparu à la fin des années 1990 le concept de tourisme équitable. Celui-ci place les populations locales au cœur du développement touristique de leur région,et les considère comme parties prenantes dans le partage des bénéfices liés aux prestations touristiques offertes aux visiteurs. Des partenariats sont alors créés entre les organismes touristiques et les populations locales, ces dernières devant en théorie voir leurs conditions de vie s’améliorer. L’expérience du tourisme équitable a d’abord été menée en Afrique du Sud en 1998, sous le nom de « Fair Trade in Tourism Initiative » par l’ONG Fair Trade in Tourism South Africa. En quelques années, l’ONG est parvenue à tisser un réseau composé d’organismes touristiques, d’ONGs et d’associations locales et a mis en place un système de certification pour distinguer les organismes touristiques les plus volontaristes. Parmi les critères essentiels à respecter pour bénéficier de ce label on peut citer des salaires décents pour les employés locaux, la protection des ressources naturelles, des conditions de travail satisfaisantes, et une plus grande transparence dans la redistribution des profits générés par le tourisme. D’autres pays ont également eu une politique volontariste en interdisant la pratique commerciale du all-inclusive, comme la Gambie.

Certains vont même plus loin dans la promotion du tourisme équitable, en faisant de ce dernier un outil concret de réduction de la pauvreté : il s’agit du tourisme « pro-poor », qui vise à faire bénéficier directement les plus pauvres des recettes du secteur avec un approche pragmatique. Dans un document de travail intitulé Pro-Poor Tourism Strategies : Making Tourism work for the Poor publié en 2001 par l’agence de développement britannique DFID, ce type de tourisme est défini comme une approche globale visant à générer des bénéfices nets pour les populations locales, à travers l’essor du secteur privé et la diminution de la vulnérabilité financière d’une partie de la population. A la différence du tourisme durable qui inclut également le respect de l’environnement, le tourisme pro-poor vise exclusivement la réduction de la pauvreté et s’appuie sur des projets pilotes concrets plus que par des standards théoriques. On peut citer la structuration de certains tours opérateurs locaux en association en Ouganda et en Namibie qui soutiennent le tissu économique local, ou encore la stratégie de développement d’infrastructures touristiques dans les régions les moins favorisées d’Afrique du Sud.

La conviction que le tourisme peut se révéler être un outil efficace de développement a incité progressivement les bailleurs de fonds à soutenir les investissements liés aux secteurs touristiques en Afrique subsaharienne, qui représente ainsi près de 10% du portefeuille tourisme de la SFI. Cette dernière a par exemple financé un lodge au Mozambique qui a entraîné la création d’emplois faisant vivre tout une communité, et la construction d’infrastructures de base (école, maternité, moulin). Le tourisme équitable représente donc un formidable outil de développement dans la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne : le tourisme étant l’une des rares industries où le produit fini est consommé sur place, directement sur le site de production, il constitue un levier de croissance intéressant pour les pouvoirs publics, à condition que ceux-ci définissent une stratégie tourisme à long terme, et impliquent les populations locales dans leurs plans de développement du secteur.

 

Leila Morghad