La CPI ou l’histoire d’une justice pénale internationale portant les germes de son échec

cpiLe concept même d’une justice pénale internationale n’est pas loin d’être un leurre. Le droit international n’existe que par la volonté des Etats. Il est fondé sur un rapport de forces entre Etats qui ont accepté d’aliéner une partie de leur souveraineté au profit d’une entente entre partenaires civilisés. Si en principe aucun pouvoir n’est supérieur à la puissance souveraine d’un Etat, il n’en est pas de même en pratique. En effet, la puissance souveraine d’un Etat est fonction de plusieurs facteurs : Les facteurs économique et militaire par exemple. Ces facteurs déterminent les réelles capacités d’influence dont dispose un Etat sur l’échiquier international et permettent la mise en place d’une hiérarchie entre Pays. Cette hiérarchie est déterminante lorsque les Etats se concertent dans le but de concéder au profit d’une norme internationale, une partie de leur autorité suprême dans un domaine déterminé. C’est ainsi que les concessions exigées à un pays sous développé peuvent être plus contraignantes que celles accordées par une grande puissance militaire telle que les Etats-Unis ou la France.

La Cour Pénale Internationale n’a pas échappé à ce principe.

Dans un contexte de défiance à l’égard de cette Cour se matérialisant par le retrait de certains pays africains, l’Afrique Des idées a décidé de publier une série d’articles consacrée à l’analyse de la justice pénale internationale en général et aux limites de la Cour Pénale Internationale en particulier.

Ceci en est la première partie.

L’idée de créer une juridiction pénale internationale date de la fin de la première guerre mondiale. Le traité de Versailles prévoyait la création d’un tribunal pénal international qui ne verra jamais le jour en raison d’un criant manque de coopération des Etats abritant d’éventuels    accusés.  La barbarie de la seconde guerre mondiale éveillera les consciences. La volonté des vainqueurs de juger les responsables de la guerre va permettre la mise en œuvre de la première juridiction pénale internationale : il s’agit des procès de Tokyo et de Nuremberg au cours desquels ont été jugés les responsables japonais et allemands de la guerre. Le procès de Nuremberg s’est déroulé du 20 novembre 1945 au 01er octobre 1946 en Allemagne dans la ville du même nom. Le tribunal militaire international constituait la juridiction compétente pour connaître des crimes du conflit planétaire. Sa compétence était fondée sur les divers traités signés par les alliés, vainqueurs de la guerre et en particulier un traité signé en Août 1945 par les gouvernements britanniques, américains et Nord irlandais. Dans le jargon institutionnel on parle de tribunal militaire ad hoc.

Le procès de Nuremberg a posé les bases de la justice internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui. C’est au cours de ce procès que la notion de crime contre l’humanité a véritablement été utilisée pour la 1ere fois. Le crime contre l’humanité constituait avec les crimes de guerre, le complot, les crimes contre la paix les quatre chefs d’’accusation invoqués durant le procès.

Si l’idéal poursuivi est louable, le fondement juridique des tribunaux ad hoc reste faible et non pertinent pour permettre une adhésion en masse des Etats à l’idée d’une justice internationale.  En effet les traités fondateurs ayant été élaborés par le seul camp des alliés, Il s’agissait indirectement d’une justice des vainqueurs qui ne pouvait espérer avoir un destin au-delà des procès en lien avec la seconde guerre mondiale.

Dès 1946, cette réalité a poussé les dirigeants des Etats sous l’impulsion de l’ONU à poser les bases d’une justice internationale permanente en reprenant les acquis des procès de Nuremberg et de Tokyo[1].

En 1948, la convention sur le crime de génocide a été adoptée. Les années 46-48 furent une période assez faste, parsemée de vœux pieux des Etats toujours hantés par l’apocalyptique seconde guerre mondiale.

Ces temps propices, s’achèveront par le mandat confié à la Commission du droit International aux fins de la rédaction des statuts d’une juridiction pénale internationale et permanente. Pendant près de 40 ans, la volonté politique n’y sera pas et les projets de statuts se succèderont les uns après les autres sans aucune matérialisation des objectifs fixés.

La guerre froide est à la fois la principale raison et le principal prétexte de ce rejet aux calendes grecques d’un idéal de justice internationale pour l’humanité.

Principale raison, car comme l’évoquait si bien Andre Boissarie, les deux blocs « s’opposent en tout sans transactions »[2]. Comment mettre en place une justice internationale lorsque les deux grandes puissances planétaires sont en conflit ouvert et drainent chacune derrière elle, un nombre assez conséquent d’Etats ?

Prétexte néanmoins, car les dirigeants des grandes puissances se cachaient derrière la réalité politique du monde pour se soustraire à une aliénation partielle de leur souveraineté, gage irréversible d’une justice internationale pertinente et efficace.

Il a fallu attendre la fin de la guerre froide, matérialisée par la chute du mur de Berlin en 1989, pour voir ressurgir l’idée de la nécessité de mettre en place une justice internationale.

Les conflits dans les balkans ainsi que le génocide Rwandais de 1994 constitueront des éléments catalyseurs de création d’une telle juridiction. Le conseil de sécurité des Nations-Unies mis sous pressions par des ONG dénonçant les exactions constitutives de crimes internationaux commis dans les balkans et au Rwanda, créera les tribunaux pénaux compétents pour les pays concernés (TPIY et TPIR). Ce sont des tribunaux ad hoc qui seront relativement efficaces mais souffriront des mêmes tares que les tribunaux de Tokyo et de Nuremberg. En effet, le TPIY et le TPIR ont été mis en place par le conseil de sécurité des Nations-Unies qui est une institution de régulation restreinte. La légitimité de ces juridictions peut donc être remise en cause parce qu’elles n’ont pas reçues l’adhésion de tous les Etats membres de l’ONU.

C’est pour cette principale raison que les ardents défenseurs d’une justice pénale internationale vont se tourner vers un moyen jugé plus démocratique afin de mettre en place cette fameuse juridiction internationale : le recours à l’assemblée générale des Nations-Unies.

Ce recours impliquait au préalable une consultation grandeur nature de tous les Etats membres de l’ONU à propos des dispositions devant constituer le statut de la juridiction en construction. C’est à Rome que ce statut a été adopté en 1998 et ce, non sans concessions. L’important nombre des Etats ayant pris part aux négociations a rendu cette dernière très difficile ; chaque Etat essayant de protéger ses propres intérêts. A ce jeu, les grandes puissances s’en sont évidemment mieux sorties. Et le statut de Rome qui en naquit portait déjà les germes de l’échec de cette tant espérée juridiction.

Rendez-vous pris dans quelques semaines pour la suite de cette analyse.

 

                                                                                                                                                    Giani GNASSOUNOU

 


[1] Aux origines de la cour pénale internationale : le projet français de chambre criminelle internationale (hiver 1946 – printemps 1947, page 103-109 )parLaurent Barcelo

[2] « Le développement de la justice internationale », rapport d’André Boissarie à la 6e assemblée annuelle de l’Association française pour les Nations Unies, Cahiers des Nations Unies, Paris, 1950.

 

 

 

 

 

 

 

Génocide rwandais: 20 ans après, la paix à tout prix (1ère partie)

rwanda-genocide-memorial-tour« Je ne crois pas ceux qui disent qu'on a touché le pire de l'atrocité pour la dernière fois. Quand il y a eu un génocide, il peut y en avoir un autre, n'importe quand à l'avenir, n'importe où, au Rwanda ou ailleurs; si la cause est toujours là et qu'on ne la connaît pas ».
Un rescapé (Jean Hatzfeld, Dans le Nu de la vie).

Entre avril et juillet 1994 le Rwanda, pays d’Afrique centrale, connaît ce qui reste le génocide le plus meurtrier de l’Histoire du point de vue du nombre de victimes par rapport à la durée des exactions : près de 800.000 victimes (Tutsi et Hutu modérés) en trois mois, selon l’ONU.  A quelques mois du vingtième anniversaire de ce génocide, où en est le Rwanda ?

Il n’est pas aisé de dater exactement l’origine de la division entre « ethnies » Hutu et Tutsi au Rwanda. Le terme même d’ethnie est impropre dans ce pays où aussi bien les Hutu que les Tutsi parlent la même langue, le kinyarwanda, et partagent globalement les mêmes coutumes et croyances. Dans les années trente, le colonisateur belge entérine officiellement la différenciation en créant des cartes d’identité « ethniques » et en confiant à l’ethnie tutsi l’autorité de régir le pays sous la tutelle de l’administration coloniale. A ces Tutsi, le colonisateur donne accès aux études et à la gouvernance, délaissant les deux autres ethnies que sont les Hutu et les Twa.

A l’indépendance le gouffre créé par le colonisateur est dur à combler, d'autant plus que les Belges ont soudainement renversé leurs alliances à la fin des années 1950, délaissant les Tutsi et laissant libre cours à la "révolution Hutu", qui s'accompagne des premiers pogroms. Dès le début des années 1960, les Tutsi sont de plus en plus souvent les cibles de massacres les poussant à chercher exil en Ouganda, au Burundi et dans l'ex-Zaïre (l'actuelle République démocratique du Congo). Ces exilés (surtout ceux partis en Ouganda) vont nourrir le désir de revenir au pays et de reprendre le pouvoir par la force, et dans ce but, créent à la fin des années 1980 un mouvement armé, le Front patriotique rwandais (FPR). Aux tentatives de reprise de pouvoir par ces exilés, le gouvernement Hutu répondra systématiquement par les massacres des Tutsi restés au Rwanda. Le 6 avril 1994 le président rwandais (Hutu) Juvénal Habyarimana meurt, lorsque son avion, qui s'apprêtait à atterrir à Kigali, est abattu par un missile. Les Hutus attribuent l’assassinat aux Tutsi du FPR.

C’est l’élément déclencheur d’un génocide qui couvait depuis bien longtemps. Le lendemain marque le début officiel des massacres. Organisés en milices, les Hutu tueront près d’un million de Tutsi et de Hutu modérés, en trois mois. Le 4 juillet 1994 le Front patriotique rwandais entre dans la capitale Kigali après une difficile guerre civile contre l'armée rwandaise (FAR) et les milices génocidaires, les "Interahamwe". Alors que les génocidaires et des dizaines de milliers de Hutu fuient en masse vers l'est du Zaïre, le FPR prend le pouvoir et forme un gouvernement d’unité nationale avec symboliquement, un Hutu, le Pasteur Bizimungu, en tant que chef d’Etat. Paul Kagame, issu de cette génération de Tutsi ayant connu l’exil en Ouganda est élu Président en 2000 avec le FPR et lance un processus de justice et de réconciliation pour emmener les Rwandais à vivre de nouveau ensemble. L’unité et la réconciliation au Rwanda deviennent de véritables objectifs politiques : une Commission nationale pour l’unité et la réconciliation est créée en 1999, la mention de l’ethnie disparaît des cartes d’identité et la nouvelle Constitution prend la peine de préciser que tous les Rwandais ont des droits égaux. 

Les travaux de la Commission reposent sur différentes approches dont l’éducation à la paix, l’Ingando, qui a pour but d’éclairer l'histoire du Rwanda, de comprendre les origines des divisions parmi la population, d'encourager le patriotisme et de combattre l'idéologie génocidaire.

Il n’y a cependant pas de réconciliation ni de paix possible sans justice. Ainsi, sous l’égide de l’ONU, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) est institué pour juger les auteurs de génocide et d’autres violations du Droit international humanitaire au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le TPIR a aussi pour ambition de « contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région ».  Pour l’heure, 65 personnes ont fait l’objet d’un jugement définitif, 10 affaires sont pendantes devant le Tribunal et un accusé est en attente de procès.

A côté du TPIR une autre « juridiction » est chargée de juger les centaines de milliers de personnes mises en cause dans l’exécution de ce génocide : les gacaca (prononcer gatchatcha), les juridictions populaires. Traditionnellement réservés aux contentieux civils, les gacaca ont un système basé sur la recherche de l’aveu et du pardon. C’est une loi de 1996 sur l'organisation et la poursuite de crimes de génocide ou crimes contre l'humanité  qui répartit la compétence entre le TPIR  et les gacaca. Au premier la charge de poursuivre les planificateurs, les organisateurs et les leaders du génocide, ceux qui ont agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom ainsi que ceux qui sont coupables de tortures sexuelles ou de viols (compétence partagée avec les juridictions régulières rwandaises), aux gacaca la poursuite et le jugement des auteurs, coauteurs ou complices d'homicide volontaire ou d'atteintes contre des personnes ayant entraîné la mort et de ceux qui avaient l'intention de tuer et ont infligé des blessures ou ont commis d'autres violences graves qui n'ont pas entraîné la mort et ceux qui ont commis des atteintes graves sans intention de causer la mort des victimes. Concrètement, les cerveaux des opérations au TPIR et les bras armés devant les gacaca. Les procès de ces juridictions populaires réunissent accusés et familles de victimes, les débats sont publics et quiconque a avoué ses crimes bénéficient d’une réduction voire d’une exemption de peine. Quand il y a une peine, elle est très souvent symbolique : les accusés sont trop nombreux et les prisons sont surpeuplées.

Les gacaca sont officiellement arrivés au terme de leur mandat le 18 juin 2012, deux millions de personnes ayant été jugées. Alors que les conséquences de ce génocide se sont étendues au-delà des frontières rwandaises (voir l'article de L'Afrique des idées: Rwanda – RDC: les dessous d’une guerre larvée) il est légitime de se demander si la très applaudie politique de réconciliation a tenu ses promesses. 

Tity Agbahey

Lire la deuxième partie de cet article.