Depuis quelques années, on assiste à un retour définitif, parfois forcé, des africains établis à l’extérieur, notamment au sein de la jeune diaspora. Si la migration des africains a toujours constitué un défi et une « perte » pour l’Afrique ; il faudrait peut-être voir dans ce phénomène une opportunité pour l’Afrique et créer des conditions incitatives pour que davantage d’africains de la diaspora se décident à revenir sur le continent, encore en proie à quelques maux qui tempèrent la dynamique de son développement.
Longtemps décriées parce que « vidant » l’Afrique de ces cerveaux et de sa main d’œuvre, les politiques migratoires des pays occidentaux ont souvent constitué une opportunité « financière » pour de nombreuses familles dans les pays africains. Ces africains installés à l’extérieur, transfèrent des fonds importants vers leur pays d’origine pour soutenir la consommation. Selon la Banque Mondiale, les transferts de fonds vers l'Afrique Subsaharienne, sont évalués à 401 milliards de dollars en 2012[i][ii][iii]. Des travaux de la BCEAO pour l’UEMOA indiquent que ces fonds servent essentiellement à satisfaire les besoins de consommation et à l’amélioration des conditions de vie de ménage, à financer la construction des écoles et des districts de santé.[iv][v] Dans ce contexte, l’aspect « connaissance » a été longtemps occulté, n’incitant donc pas à une mise en place de programmes ou outres mesures incitatives pour favoriser le retour des migrants. Cependant, tout porte à croire que le retour physique des africains de la diaspora a beaucoup plus d’impacts sur l’économie du continent que les fonds qu’ils transfèrent.
Beaucoup de formations politiques et syndicales ont été créées grâce aux anciens émigrés une fois de retour dans leur pays d’origine. Ces formations ont été à l’origine d’une amélioration de la bonne gouvernance, d’une amélioration des conditions de vie du travail et des ménages dans beaucoup de pays. Selon Joëlle Paquet (2010)[vi], les migrants de retour, ayant été au contact avec des pratiques démocratiques, stimulent indirectement l’évolution des pratiques politiques dans leur pays d’origine, participant ainsi à la progression des réformes démocratiques. En effet, en Afrique, ce sont des migrants de retour qui ont favorisé l’indépendance de plusieurs pays. En Italie, par exemple, ce sont les ex-italiens de la diapora qui ont facilié la lutte contre le fascisme. Les migrants de retour ont été très actifs dans la démocratisation au Maroc. En effet, la lutte pour la citoyenneté, la démocratie, la liberté, la répartition des richesses et la justice sociale, la dignité, le travail pour tous au Maroc a été l’œuvre du mouvement du 20 février. Ce mouvement a bénéficé du soutien financier, moral et physique des organisations associatives de marocains de la diaspora et certains des jeunes issus de l’émigration ont rejoint les manifestants au niveau national ou provincial.[vii]
Le gain le plus significatif que produit le retour des migrants est le transfert de compétences. En fait, pour avoir passé du temps à l’étranger et ayant été exposés au fonctionnement des entreprises dans d’autres contextes, les migrants acquièrent des expériences significatives et peuvent contribuer à la diffusion des connaissances qu’ils ont pu accumuler. Selon Joëlle Paquet (2010)[viii], les retours, temporaires ou durables des migrants dans leur pays d’origine, de même que les contacts entretenus avec les membres de la famille demeurés au pays, permettent la diffusion de nouvelles idées, compétences et expériences. Ces transferts de connaissances peuvent contribuer à améliorer la productivité des activités traditionnelles, de même que les pratiques sanitaires et la nutrition. Même si grâce aux nouvelles technologies, le transfert des connaissances se fait rapidement, les pays africains ont davantage de bénéfices si les jeunes rentraient dans leur pays d'origine après avoir acquis des compétences à l'étranger. Selon un rapport de l’OCDE (2008), « Ces ressources des migrations de retour peuvent être de trois types. Premièrement, les migrants rapportent avec eux l’éducation et l’expérience professionnelle acquises à l’étranger. Deuxièmement, ils peuvent revenir avec du capital financier, constitué par l’épargne accumulée lors du séjour à l’étranger, et qui peut être rapatriée sous une forme plus ou moins liquide. Enfin, ils disposent d’un capital social spécifique lié à leur expérience migratoire. »
De toute évidence, la migration ne doit plus paraitre comme un obstacle au développement des pays africains mais plutôt comme une opportunité à la mesure où il favorise le transfert de connaissances et des compétences, mais aussi donne accès à des ressources financières externes et influence l’environnement socio-politique. A titre d’exemple, les Pays-Bas s'efforcent de promouvoir l'« afflux des cerveaux » en encourageant les migrants à retourner temporairement dans leurs pays d'origine afin d'y contribuer au développement.[ix] D’autres pays en Afrique comme le Cap Vert ont bénéficié de ces retours. En effet, selon un rapport de l’OCDE (2008), « au Cap-Vert, où jusqu’à récemment il n’y avait pas d’établissement d’éducation supérieure, l’accès à l’éducation est un des motifs de la migration, notamment vers le Portugal. Dans ce cadre, on observe que 16 % des migrants de retour ont un diplôme du supérieur, alors que ce chiffre est de l’ordre de 1 % parmi ceux qui n’ont pas émigré (De La Barre, 2007). Dans ces conditions les migrations de retour génèrent des gains en capital humain pour l’ensemble de l’économie, qui peuvent, dans certains cas, plus que compenser la perte de capital humain initialement imputable à l’émigration (Batista et al., 2007). Pour autant, cette situation est conditionnée à l’existence d’opportunités d’emploi motivant le retour des travailleurs qualifiés. »[x] Dans ce contexte, il conviendrait de mettre en place des mesures incitatives visant à tirer davantage profit de cet externalité, qui semble positive, pour les pays africains.
Pour faciliter le retour des migrants et leur insertion dans leur société d’origine, les États doivent toujours garantir un emploi aux migrants diplômés après leur retour à l’instar de certains pays asiatiques et latino-américains. En effet, « depuis ces dernières années, plusieurs pays d'Asie font concurrence au reste du monde pour attirer le talent et les travailleurs qualifiés. L'Inde et la Chine ont consacré des ressources financières importantes pour inciter le retour de certains de leurs plus grands talents à l'étranger en offrant des incitatifs, des emplois bien rémunérés, un statut socio-économique élevé et des possibilités de développement personnel. La Chine a établi une politique nationale de développement des ressources humaines, qui comprend des initiatives comme le Programme des 1000 talents. Lancé en 2008 pour attirer 2000 professeurs d'universités et d'instituts de recherche étrangers sur une période de dix ans, le programme a jusqu'à présent réussi à en recruter 4000. D'autres pays tels que le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et le Vietnam, commencent eux aussi à investir de manière significative dans de nouvelles politiques visant à attirer les expatriés et les travailleurs qualifiés. Le Vietnam, par exemple, aurait dépensé plus de 7 millions de dollars à cette fin. Les différents changements politiques comprennent des incitatifs fiscaux, des compensations financières, l'augmentation du nombre d'écoles internationales, ainsi que la réforme des critères d'obtention de visa et de résidence permanente. La tendance migratoire en sens inverse sera sans doute complémentaire aux efforts de l'Asie pour recruter et conserver le talent. »[xi] « Au Chili, au Costa Rica et au Brésil, les migrants de retour sont clairement surreprésentés dans les professions les plus qualifiées et sous-représentés dans les métiers les moins qualifiés. »[xii] Ainsi, les États doivent commencer à faire la "cours" à leurs "enfants", vivant à l'extérieur. La course pour trouver les talents porteurs de développement est déjà lancé et l'Afrique semble encore à la traine, alors qu'elle dispose d'avantages comparatifs en la matière.
Ali Yedan
[i] http://www.giz.de/fachexpertise/downloads/giz2013-fr-Engagement-de-la-diaspora-tunisienne-en-Allemagne.pdf
[ii] http://fr.wikipedia.org/wiki/Envois_de_fonds
[iii] http://www.worldbank.org/en/region/eap/whats-new?country_exact=Nigeria&qterm=&displayconttype_exact=Press+Release
[v] http://www.tg.undp.org/content/dam/togo/docs/programme/Rapports/UNDP-TG-DSRP-C_version-082009.pdf
[vi] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010
[viii] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010
[xi] De la fuite à l'afflux des cerveaux : la migration en sens inverse en Asie