Prendre le leadership de la transition énergétique : l’option de la « désinvesti-réorientation »

solar energy panels and wind turbineIl faut reconnaitre que même si les impacts environnementaux et économiques du modèle énergétique actuel sont bien réels, la transition énergétique est encore communément vue en Afrique comme une urgence occidentale. Les dégradations environnementales et économiques dues par l’action humaine deviennent de plus en plus visibles en Afrique et les différents rapports d'évaluation sont clairs. Si cet aspect des choses réelles n'est pas adressé, il continuera à entraver le développement social et économique du continent. L'Afrique s'est mise à l'écart des différentes stratégies en vue de la transition énergétique. Bien que la majorité des états en Afrique disposent des lois qui annoncent et réglementent la protection de l'environnement, ce qui englobe une bonne utilisation des ressources nationales, on constate une réalité très différente. La vraie lutte contre le changement climatique et pour la protection de l'environnement passe d’abord par la transformation du modèle énergétique fossile en un modèle à énergie renouvelable. L'Afrique est à la traine. A titre de comparaison, la Corée du sud, moins ensoleillé en moyenne annuelle que tous les pays d'Afrique au sud du Sahara et disposant d’une superficie inferieure à de nombreux pays africains qui sont restés politiquement stable depuis les indépendances, possédait la quatrième puissance électrique photovoltaïque installée au monde en 2015. Cette montée en puissance de la technologie d’énergie alternative de la Corée du Sud a amèné le pays à abandonner une centrale électrique nucléaire d’une capacité de production de 587 Mégawatt (MW). Alors que devraient faire les pays d'Afrique subsaharienne afin de prendre le leadership de la transition énergétique ?

La « désinvesti-réorientation » pourrait s'appliquer au domaine énergétique africain dont les plus grandes entreprises sont à travers les états impliquées directement ou indirectement dans la production, la transformation et la distribution des énergies d'origines fossiles. Réussir la transition énergétique en Afrique consiste donc à la mise en place d’une législation environnementale et énergétique proactive comme illustré dans la figure 1. Il s'agit de mettre en place une législation transversale puisque l'environnement et l'énergie sont devenus des domaines transversaux. La législation devrait se baser sur une autonomie de production énergétique durable des bâtiments résidentiels, administratifs et industriels. En d'autres termes la législation devrait exiger aux concepteurs, propriétaires de maisons, immeubles ou usines de produire une partie de l'énergie qu'ils utilisent grâce à des sources renouvelables. Etant donné que la plupart des grandes villes africaines existent déjà depuis plus cinq décennies, c'est donc une transformation ou une reconstruction urbaines intégrant les zones industrielles auquelle les pays africains devraient s'atteler afin de réussir cette transition.

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Figure 1 : Deploiement de la double strategie de desinvesti-reorientation et l autoproduction continue des objets en Afrique

Le modèle de construction en forme trapézoïdale comme illustré dans la figure 2, représente une piste de développement très intéressante vers l’optimisation des énergies renouvelable pour les villes. Il s'agit tout premièrement de capturer un rayonnement optimal en une transformation énergétique et puis d'accumuler toutes les autres formes d'énergie renouvelable ou technologies d’efficacité énergétique qui sont entrain de faire leur preuve à travers le monde. 70% de moins d'utilisation électrique représente une diminution drastique de la pression sur les ressources naturelles en Afrique. Mais l'une des clés de cette transformation est la maitrise et la reproduction de la technologie. L'une des plus grandes difficultés en Afrique face aux défis de la transformation du modèle énergétique est le manque d'usine de fabrication des technologies d'énergie renouvelable.

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Figure 2 : illustration d un modele de construction trapezoidale

Il faut alors développer des unités de production des technologies solaires et éoliennes. L’avantage du système industriel est la création ou l'activation d'un bassin d'innovation par la création d'un réseau actif entre les centres de recherches, les universités, écoles et l'industrie. La mise en place d'usine de conception et de fabrication développera les thèses ou projets de recherche dans les domaines des énergies renouvelables.

Cette industrialisation si elle est très bien réussi permettra l'accessibilité des produits technologies renouvelables. Une estimation et planification de la demande potentielle permettra de mettre en place un ambitieux programme d'accessibilité aux produits et aux technologies renouvelables. Ces ambitieux programmes permettent facilement l'accélération de la transformation architecturale dont les bâtiments ont besoin pour atteindre l'autonomie de production énergétique. Il faudra créer une synergie positive entre les institutions financières localement établies, les propriétaires des maisons ou immeubles, les institutions étatiques, les organisations non gouvernementales, les entreprises de construction et les usines de production de technologie renouvelable afin de faciliter le financement et la vérification de la qualité des produits.

L’autre grande interrogation est : comment financer la construction de ces usines de fabrication des technologies renouvelables en Afrique dans un contexte de disponibilité financière limitée ? La solution adéquate de la « désinvesti-réorientation » comme illustré dans la figure 1, consistera à transférer graduellement mais rapidement les actifs et passifs du secteur énergétiques fossiles vers les secteurs des énergies renouvelables. La « désinvesti-réorientation » permettra une transformation du modèle énergétique africain en changeant progressivement et rapidement les entreprises africaines intervenant dans le domaine des énergies fossiles en entreprises qui développent les technologies d'énergie renouvelable. 

Des acquisitions ou fusion avec les entreprises intervenant dans le secteur du développement et de la distribution des technologies renouvelables permettra un changement sans pour autant créer des tensions sur le plan économique. Il faudra ensuite utiliser les garanties ou le poids financiers de ces entreprises pour garantir les investissements nécessaires à la construction d'unité de production de technologie pendant la mise en oeuvre de la « désinvesti-réorientation ».

Cette stratégie ne constitue qu'un canevas adaptable à tous les pays d'Afrique subsaharienne. La plus grande condition est le niveau de stabilité institutionnelle et du respect de l'état de droit.  Il faudra un état stable avec le respect de la justice  mais aussi un modèle collaborative, démocratique et objectif impliquant toutes les parties prenantes de la communauté nationale ou de l’ensemble économique considéré. 

 Land Garel Banguissa[i]


[i] Land Garel Banguissa est un chercheur, ingénieur et entrepreneur dans le domaine de la durabilité et de l’environnement.  I a travaillé pendant plus de 7 années en Asie, en Afrique et en Europe où il a respectivement occupé les rôles de testeur logiciel, développeur système, Ingénieur en durabilité & environnement, Coordinateur en durabilité & environnement. Il est doublement diplômé de l’université de Staffordshire et l’Institut de Technologie d’Asie Pacifique en sciences de gestion et informatique. Il a aussi poursuivi des formations avancées en technologies énergétiques émergentes (Université Stanford), en système environnemental (ISO Campus) et en durabilité d’entreprise.

Quelle est la vision DESERTEC? Entretien avec le délégué général de Desertec France

desertecLe saviez-vous ? En six heures, l’énergie solaire reçue dans les déserts est plus importante que celle que nous consommons en un an. Cette découverte du Dr Gerhard Knies en 1986 est à l’origine du concept de la fondation Desertec créée en Janvier 2009. Le concept « Desertec » a depuis lors pour objectif de promouvoir l’existence de cette énergie propre émanant des déserts. Bien qu’ayant initialement une portée internationale, le projet DESERTEC a récemment développé des structures indépendantes à l’échelle nationale : c’est ainsi qu’est né Desertec France, dont le co-fondateur Charles Ifrah répond aujourd’hui à mes questions concernant l’avancée du projet DESERTEC

Commençons par les présentations

Je suis aujourd’hui le délégué général et co-fondateur de DESERTEC France, Francis Petitjean et moi-même avons commencé nos activités  lors de Rio+20 autour de l’animation d’un débat. DESERTEC France se consacre aujourd’hui à des actions sur la transition énergétique en France et en Afrique Francophone.

Desertec a été créé en 2009, aujourd’hui pouvez-vous évoquer des mutations dans les objectifs du Desertec Concept, ou de la forme sous laquelle la fondation Desertec se présente ? Le concept initial d’utilisation de l’énergie solaire des déserts  a-t-il gardé sa position centrale ?

Nous sommes toujours liés au Club de Rome[1], et nous percevons toujours l’électricité comme la base du développement économique. Le besoin de cette source d’énergie constitue donc toujours l’axe de la réflexion du réseau international DESERTEC. Nous sommes avant tout un réseau d’influence composé de chercheurs, universitaires et scientifiques qui cherchent à entrer en contact avec les leaders d’opinion, politiques et industriels. En dépit du maintien de cette base idéologique notre position a évolué vis-à-vis du type d’énergie que nous recommandons, aujourd’hui en plus d’une énergie solaire nous favorisons la promotion d’un mix énergétique : nous avons réalisé l’importance de technologies telles que le photovoltaïque solaire, l’éolien, l’hydraulique,

Pourquoi cette mutation dans les objectifs ?  

Notre position a été révisée par rapport au DII[2] cependant cela n’a pas affecté le statut de la fondation, c’est un mouvement de la société civil qui tend à répandre le message sur la disponibilité et l’efficacité des technologies propres, aujourd’hui nous voulons faire comprendre qu’il existe une alternative, économiquement faisable et bénéfique pour le climat, l’environnement et la planète. Notre seconde mission aujourd’hui est de convaincre les décideurs politiques et industriels de développer des projets à différentes échelles sur l’Afrique. Notre intérêt pour le continent africain découle du besoin exponentiel des économies locales : nous sommes moins dans l’optique de l’import /export, comme auparavant. Cette perspective se tient plus à long terme avec le développement d’autoroutes énergétiques pour relier les économies et faire circuler l’énergie.

Le dialogue avec les politiques se situe au centre du projet DESERTEC, à ce sujet que pensez-vous de l’effet du printemps arabe sur l’image d’un tel projet en Afrique du Nord ?

Le printemps arabe est une maturation politique, une tentative de transition démocratique comme on a pu en voir en Amérique latine ou en Europe du Sud. Là où nous nous situons face à cette situation c’est de présenter les énergies vertes comme vecteurs de pacification. Contrairement aux énergies fossiles tels que le pétrole ou le gaz qui sont des sources de conflits car elles font partie d’une transaction entre pays producteur et pays consommateur, les énergies vertes favorisent la coopération entre pays et représentent un facteur de développement économique.

Quelle place prend la population locale sur le plan du développement dans le projet DESERTEC?

Nous souhaitons principalement répondre au besoin des populations et des économies locales afin de leur permettre d’accéder à l’indépendance énergétique, les zones que nous visons souffrent souvent d’endettement énergétique et s’engagent progressivement dans la transition énergétique pour sortir de cet endettement : le programme PSM au Maroc illustre un tel engagement*.

Comment en est-on venu à la création de DESERTEC France, est-ce un projet que la Fondation s’est vue proposer ou un projet lancé par la Fondation ?

La Fondation travaille sur une dimension internationale mais favorise la création de structure dans plusieurs pays dès qu’un groupe est identifié comme suffisamment actif dans un pays. Ainsi des structures nationales se sont développées en Autriche, au Royaume-Uni, en France et en Tunisie. Il existe aussi une filiale DESERTEC en Belgique qui est en liaison avec la Commission Européenne.

Quel rôle au sein de la fondation DESERTEC, quels projets peut-on déjà citer et comment s’inscrivent-ils dans l’objectif global de DESERTEC ?

Nous avons pour champ d’action la zone francophone, dont la France et l’Afrique notamment avec laquelle la France garde des liens culturels et historiques qui créent un rôle plus important : Au niveau de la France  notre présence est importante sur le débat de la transition énergétique et ajoute un poids supplémentaire au couple franco-allemand dans ce domaine. Dans cette démarche, l’image de DESERTEC sur le continent africain est forte et positive, notre réseau universitaire est composé de plusieurs universitaires africaines : l’Union Africaine elle-même reconnait le besoin d’un développement fondé sur des partenariats durables et équitables. Via notre réseau universitaire il existe une coopération scientifique de longue date, nous nous posons comme l’un des accélérateurs de cette transition énergétique. Les projets actuels de Desertec France, reposent principalement sur des projets d’électrification rurale au Cameroun et au Sénégal[3]. Nous avons aussi mis en route des projets de centrales solaires et prévoyons une étude géostratégique, composée de cinq phases, chacune correspondant à une zone régionale de l’Afrique. Cette approche vise à mieux connaître le marché et met en avant la collaboration avec les acteurs locaux.

Où se situent les ONG au sein de cette transition énergétique ?

Les ONG sont la représentation de la société civile, elles ont donc une utilité publique car elles ont pour origine une démarche citoyenne qui vise à développer et faire avancer des sujets. Aujourd’hui, les ONG sont de plus en plus soutenues par les institutions dans leur rôle de terrain face à différents problèmes ralentissant le développement. Pour répondre à ces problèmes, les organisations à but non lucratif telles que DESERTEC ont besoin du soutien financier des acteurs politiques et économiques pour mener à bien leurs actions.

Ndeye Diarra

 

[1] Avant de devenir une fondation à part entière, le projet DESERTEC a émergé de deux fondations créées et appartenant au Club de Rome, le think thank mondial qui apparait à différents niveaux et sur différents aspects des problématiques de développement.

[2] Desertec Industrial Initiative, le consortium de la fondation DESERTEC, lequel a récemment annoncé son détachement du projet DESERTEC

[3] ASER (Agence Sénégalaise pour l’Electrification Rurale) et DESERTEC se sont lancés dans un projet d’éléctrirication de 53 villages. Au Cameroun, DESERTEC a amorcé le Solar Plan 2020 qui vise à alimenter 250 sites via l’installation de système photovoltaïque

 

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