Problématique du travail des enfants en Afrique

200253513-001Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), est considéré comme travail des enfants, les travaux effectués par des filles et des garçons en deçà de l'âge minimum requis pour les exercer.

Au niveau international, la réaction au travail des enfants est ancienne. Dès 1919, l'OIT adopta une convention internationale sur l’âge minimum dans l’industrie (fixé à 14 ans). En 1973, une convention porte sur tous les secteurs d’activité et fixe l’âge minimum d’admission à l'emploi à 15 ans et par exception à 14 ans pour les pays dont « l’économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées »[i]Cependant les statistiques montrent que cette convention n’est pas respectée à travers le monde. Selon le rapport de l’OIT, en 2004, près de 220 millions (soit 1 sur 7) d'enfants  âgés de 5 à 17 ans étaient astreints à un travail. 126 millions des enfants qui travaillent effectuent des travaux dits dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites.

Le travail des enfants n’a pas cependant les mêmes caractéristiques selon les régions du monde. L'Afrique sub-saharienne continue d’être la région avec la plus forte incidence du travail des enfants (59 millions, plus de 21% en 2012 selon OIT-IPEC, 2013).

Les données de l'OIT indiquent que plus de 40% des enfants africains travaillent – ce qui représente près du double des enfants qui travaillent en Asie.[ii]

Au niveau des experts africains, d'aucuns n'y voient aucun problème, tandis que d'autres en revanche pensent qu'il s'agit d'un problème beaucoup plus sérieux en Afrique que nulle part ailleurs au monde[iii].

Dans quels domaines travaillent-ils ?

Selon le dernier rapport de l'OIT, la plupart des enfants de 5 à 14 ans travaillent dans le secteur informel, sans protection légale ou réglementaire, 69% des enfants économiquement actifs travaillent dans l’agriculture, 22% dans le secteur des services, et 9% dans l’industrie.

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En Afrique, plus précisément en Afrique de l'Ouest, le travail des enfants consiste le plus souvent pour les jeunes filles à être domestiques ou commerçantes ambulants et pour les jeunes garçons à être apprentis mécaniciens, bergers, cultivateurs ou autres.

Travail des enfants : effets négatifs sur les enfants et sur les parents

Il est clair qu'en général, le travail des enfants, soustrait ces derniers à leur jeunesse, mais pourrait aussi compromettre leur avenir. Selon l'OIT, beaucoup d'enfants qui travaillent courent des risques pour leur santé et leur vie et compromettent leurs chances de devenir des adultes « productifs ». Toujours selon l'OIT, il s'agit d'une atteinte aux droits des enfants, à leur enfance, et d’un gaspillage de leurs potentialités de formation. Il en résulte un irrémédiable handicap au développement.

Mais pourquoi les parents laissent-ils leurs enfants travailler ?

Des études ont montré que la famille d’origine de l’enfant a une grande part de responsabilité. En effet, compte tenu du manque de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de la famille, les parents sont souvent contraints de faire travailler leurs enfants dans le but d’augmenter et de diversifier les sources de revenus. En milieu rural, les enfants sont considérés comme une main d'œuvre pour les travaux champêtres. Ces parents, sans le savoir, détournent l'avenir de leurs enfants, qui auraient pu se spécialiser dans l’agronomie et contribuer de façon efficiente à valoriser les terres. La société africaine accorde une grande valeur aux enfants travaillant à la maison ou au champ familial. Cela n'est donc pas perçu comme "nuisible" ou comme une question de bien-être économique.

Certains parents considèrent qu'en envoyant les enfants à l'école, il y a un double frais : les dépenses liées à la scolarité et la perte de la contribution de l'enfant en tant que main d’œuvre. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’un enfant bien formé devient un adulte suffisamment rémunéré pouvant prendre en charge les dépenses de ses parents. De ce fait, selon la perception de certains, le travail devient en réalité une perte, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour ses parents.

Certains enfants cumulent le travail et les études. Ils travaillent pendant les soirées, les fins de semaine, les congés ou les vacances pour participer aux dépenses de la famille y compris les dépenses scolaires. Ceci semble efficace dans les cas où l'enfant a des dispositions lui permettant d’assimiler assez rapidement ses cours. Néanmoins, il aura perdu une partie importante de sa jeunesse, celle de s'amuser, une phase qui revêt d’une grande importance dans le développement d’un enfant.

Certaines jeunes filles migrent vers la ville en quête de travail pour aider leurs parents et épargner pour leur futur mariage.

Est-il toujours mauvais de faire travailler les enfants ?

En Afrique où les enfants n'ont pas tous leurs droits fondamentaux, où beaucoup de familles n'ont pas les moyens de subvenir aux besoins des enfants, où la vraie éducation ne concerne pas toujours tous les enfants et où le chômage est très élevé, peut-on interdire de façon stricte le travail des enfants ?

Des travaux dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites doivent être interdits de façon ferme et stricte. Cependant interdire le travail à un enfant qui n’est pas instruit est plus préjudiciable. Ce dernier étant laissé oisif serait plus porté à s’orienter dans la délinquance. Si le travail des jeunes filles comme domestique paraît non formatif, les travaux d'apprentis des jeunes garçons constituent pour ces derniers un moyen d’apprendre un métier et devenir plus tard des adultes « productifs », et donc, il serait absurde de l'interdire même s'il n'est pas à encourager. Ainsi, faire travailler les enfants n’est pas si problématique tant que ces derniers exercent dans un environnement sain et leur sont confiées des activités à leur portée.

Il ne faut pas perdre de vue que les parents, surtout, en zone rurale ne font travailler les enfants que parce qu’ils n’ont pas les moyens de les inscrire dans une institution d’éducation. Partant de ce constat, doit-on forcer les parents à un faible revenu de renoncer à faire travailler leurs enfants et investir dans l’éducation de ces derniers, avec moins de certitude sur la rentabilité de cet investissement ?

Quelles recommandations pour l'Afrique ?

Les gouvernements devrait indexer la scolarité aux revenus des parents ou la rendre gratuite, tout au moins le niveau primaire et permettant aux enfants de bénéficier d’un minimum d’instruction avant de s’orienter si les moyens ne sont pas disponibles pour une poursuite des études. Ils pourraient aussi mettre à la disposition des enfants issus de familles défavorisées des subventions ou des bourses afin de permettre à ces derniers de renforcer le capital humain. Toutefois cette réforme devrait s’accompagner d’autres mesures sociales permettant aux parents, qui se considéreraient comme léser par l’inscription de leurs enfants à l’école de compenser cette perte de « mains d’œuvre » gratuite. On pourrait s’inspirer de la bourse familiale du Brésil, qui offre pour chaque enfant scolarisé et vacciné, une somme forfaitaire (..) en plus d’un appui dans le domaine agricole. Le Sénégal tente de mettre en place un programme similaire, qui certes n’aura pas la portée brésilienne mais qui est une initiative qui au-delà de son objectif de réduction de la pauvreté permettrait d’éviter le travail des enfants.

Des formations professionnelles pourraient être aussi envisagées pour former les enfants qui n’arrivent pas à s’insérer dans le dispositif classique de formation. Ceci permettrait d’une part d’éviter que les enfants ne soient exposés à des abus (très fréquent dans le secteur informel de l’apprentissage) mais de les introduire aux notions d’entrepreneuriat et de gestion. Il pourrait s’agir de centres de formation spécialisés aux métiers de mécaniciens, de charpentiers ou de gouvernante.

Le rôle des ONG et de la Société Civile ne doit pas être négligé dans le dispositif, dans ce sens que toutes ces structures permettent d’alimenter le débat public autour de la question et de définir sur la base d’un consensus national les directives à suivre en ce qui concerne le travail des enfants.

Ali Yedan


[i] Jean-Baptiste Racine (2005) La problématique du travail des enfants à l’épreuve de la mondialisation de l’économie

 

 

 

[ii] Banque Mondiale, novembre 2011, Le travail des enfants en Afrique : Problématique et défis

 

 

 

 

Les enjeux du cacao

Le cacao, c’est un chiffre d’affaires global de 62 milliards de dollars par exercice. Cette seule donnée permet de comprendre que ce domaine est un enjeu économique à lui seul et regorge de problèmes inhérents à ce genre de marché.

Durant l’année 2011 les médias français se sont penchés sur la question du cacao par le prisme du travail des enfants : « Travail des enfants : le goût amer du cacao » (France 2, envoyé Spécial- 28 avril) ; « La face cachée du chocolat » (Arte- 6 octobre)

Si le travail des mineurs sera au centre de la réflexion, il ne faut pas oublier les intérêts purement économiques pour certains pays d’Afrique de l’Ouest, dont le cacao est la principale source de revenus.

Environ 4,1 millions de tonnes de cacao sont produites chaque année à travers le monde. La Côte-d’Ivoire et le Ghana étant les deux premiers pays producteurs  avec respectivement  38% et 21% de part du marché mondial. D’autres pays sont de sérieux concurrents aux deux « géants » comme l’Indonésie (13%) et le Brésil (5%). [Données 2006 de la CNUCED]

Via les exemples de la Côte-d’Ivoire, et du Ghana on peut aisément comprendre l’importance du cacao en Afrique de l’ouest. Près de 20% du PIB de la Côte-d’Ivoire provient des revenus du cacao, pendant que, selon le gouvernement ghanéen, la moitié de la population ghanéenne vit, directement ou indirectement du cacao. 54% de la production ivoirienne est destinée à l’Union Européenne, contre 73% pour le Ghana ; et 33% au continent américain (Côte-d’Ivoire) contre moins de 20% pour le Ghana.

Cela dit, cette bonne santé observée dans l’exportation du cacao implique des pratiques illégales. Notamment, le travail des enfants.

Les esclaves du cacao

Selon le Bureau International du Travail (BIT), près de 260 000 enfants travailleraient au profit de la production et de la commercialisation du cacao, rien qu’en Côte-d’Ivoire. Inévitablement, cette donnée entraîne une multitude de questions : Pourquoi faire travailler des enfants ? Quelles conséquences pour leur avenir ? Quels traitements subissent-ils ?

Si les enfants sont préférés aux adultes, c’est bien sûr pour une question de coûts. Un enfant coutera toujours moins cher qu’un adulte en terme de main-d’œuvre. Ce n’est pas l’unique raison. 95% de la production mondiale de cacao est issue de petites plantations. Il existe environ 6,5 millions de planteurs. Sur le continent africain, 90% des plantations sont inférieures à 10 hectares. Au-delà du prix de la main-d’œuvre, si des enfants travaillent dans le cacao, c’est aussi pour une question de quantité de la main d’œuvre.

Cette pratique a pour conséquence essentielle l’absence de toute velléité d’ascension sociale. Ainsi, dans « Travail des enfants : le goût amer du chocolat », le jeune Bris, 13 ans, travaille au champ depuis deux ans déjà et déclare vouloir «(…) travailler dans les bureaux pour gagner de l’argent. » Son grand frère, Romaric, ne va plus du tout à l’école et se consacre exclusivement au champ. Le revenu global de cette famille de 11 membres est de 120 euros par mois. Face à cette absence de perspectives, la mère de famille souhaite que  « [ses] enfants aillent travailler en ville. »

Le travail des enfants est une chose. L’esclavage des enfants en est une autre. Interpol a répertorié à ce jour, pas loin de 15 000 « enfants-esclaves » au service de l’industrie du cacao, dans toute l’Afrique de l’ouest. Des enfants souvent enlevés à leurs familles, puis maltraités et mal nourris sur leur lieu de travail. Dans « La face cachée du chocolat », les caméras d’Arte nous mènent en Côte-d’Ivoire à la rencontre d’enfants Burkinabés exploités par les planteurs et dans l’incapacité de s’exprimer du fait de la barrière linguistique.

En réponse à cela le BIT, tout comme Interpol, surveillent ces pratiques dans l’espoir de les endiguer. En 2009, une opération menée précisément par Interpol a permis l’arrestation de 11 trafiquants et la libération de 54 enfants esclaves.

Le premier responsable de cette situation : le marché

L’industrie agro-alimentaire au banc des accusés

La forte concurrence d’abord, puis la structure pyramidale du marché du cacao expliquent les pratiques mentionnées plus tôt. Il peut y avoir, de la production à l’exportation du cacao, jusqu’à 5 intermédiaires, qui s’assurent tous une marge de bénéfices. Les planteurs sont en contacts directs avec les «pisteurs » qui travaillent eux-mêmes pour les négociants. Ce sont les pisteurs qui décident du prix au kilogramme et les planteurs sont contraints de s’y plier. Du fait de la concurrence, le prix est ridiculement  bas (1,45€/kg). C’est ensuite au tour des négociants de fournir en cacao, les grandes marques sous trois formes différentes : le produit brut, à savoir, la fève de cacao. Les produits dérivés tels que le beurre, la poudre ou encore la liqueur de cacao. Enfin, le produit fini : le chocolat. Le travail des enfants est économiquement avantageux pour les négociants qui peuvent effectuer des marges importantes en fournissant les grandes marques de chocolat. Ainsi les 3 grands négociants mondiaux, ADM(Américain), Cémoi (Français), Barry Callebaut (Suisse et n°1) y trouvent pleinement leur compte en vendant leurs produits aux Nestlé, Mars Incorporated et autres Kraft Foods.

En 2001, les multinationales du chocolat ont signé un protocole dans lequel elles assurent lutter contre le travail des enfants dans leur branche. Elles ont, par ailleurs, subventionné une structure : International Cocoa Initiative, dont l’unique travail est de combattre l’utilisation d’une main-d’œuvre mineur dans l’industrie du cacao. Cela dit, les faibles moyens donnés à cette organisation  (3 millions d’euros de budget) tendent à prouver que ces multinationales ne voient pas forcément la disparition du travail des enfants d’un très bon œil.

 Face au marché, il paraît impossible de trouver des réponses concrètes au fléau qui touche l’industrie du cacao. Seul l’Etat pourrait légiférer dans ce sens. Aujourd’hui, seuls 2% des plantations de Côte-d’Ivoire bénéficient d’aides. Depuis 1999, il n’y a plus, dans le pays, de prix minimum du kilogramme de cacao. Accorder plus d’aides et fixer un prix minimum pourraient être des premières mesures.

Cela dit, on observe depuis quelques années, une multiplication des parasites et autres maladies qui ruinent les récoltes. En 2009, 30% de la production mondiale de cacao a ainsi été perdue, poussant des pays comme le Brésil à se tourner plus intensément vers l’exploitation de l’hévéa pour le caoutchouc. Une conversion impossible pour des pays comme le Ghana et la Côte-d’Ivoire, pour qui le cacao est essentiel.

Face à la baisse de la productivité et donc des revenus, il y a fort à parier que l’exploitation des enfants n’est pas prête de s’arrêter.

Giovanni Djossou