La définition d’un nouveau pacte de convergence en zone UEMOA : Quels enjeux pour les pays membres ?

siege-bceaoLa baisse de la production et la dégradation des conditions de vie des populations induitent par la baisse des cours internationaux des matières premières, principales sources des recettes d’exportations, durant les années 1980, ont conduit à la coordination des politiques économiques en Afrique de l’ouest à travers la naissance de l’UEMOA en 1994[1].

En 1999, un acte additionnel au traité de l’UEMOA, portant sur la convergence des États membres a été adopté. Il s’agit du Pacte de Convergence, de Stabilité, de Croissance et de Solidarité (PCSC).

Les reports de l’horizon de convergence du PCSC témoignent des difficultés d’atteinte des cibles visées. En effet, l’échéance de réalisation des différents critères définis dans le PCSC a été fixée d’abord au 31/12/2002, ensuite en 2005, puis en 2008 et enfin en 2013. À l’heure du bilan, près de quinze ans après l’adoption du pacte de convergence, la non-satisfaction des résultats a conduit à la révision du PCSC et à la définition d’un nouveau pacte en 2015 par l’Acte additionnel N°01/2015/CCEG/UEMOA.

Quelles sont donc les difficultés de la convergence des pays membres en zone UEMOA ? Pourquoi cette quête de convergence ? Quels sont les enjeux du nouveau pacte de convergence ?

Cet article se propose de fournir quelques éléments de réponse à ces interrogations en expliquant dans une première partie la nécessité de la convergence des pays membres en zone monétaire, en dressant dans un second temps un bilan du PCSC (version 1999) et en discutant les enjeux des nouveaux critères.

1. Nécessité de la convergence des pays membres en zone monétaire

Les études empiriques résument les célèbres critères d’une zone monétaire optimale en la convergence des cycles économiques des pays. En union monétaire, les gouvernements nationaux avec des degrés de stabilisation des cycles économiques différents disposent principalement de la politique budgétaire comme outil de politique économique ; la politique monétaire et celle du taux de change étant confiées à une autorité supranationale.  Une telle configuration engendre plusieurs difficultés :

a. Difficultés de gestion des chocs idiosyncratiques[2] 

Si les économies de chaque pays membre de la zone se trouvent sur la même phase du cycle (expansion ou récession) au même moment, la politique monétaire de stabilisation conjoncturelle sera efficace et bénéfique à tous les États membres. Une hétérogénéité des cycles économiques suppose l’existence de chocs idiosyncratiques qui influencent significativement l’activité économique des pays concernés de manière à la faire basculer vers une autre phase d’évolution. La politique monétaire étant unique ne pourra donc pas y répondre efficacement.

b. Problèmes de free-riding des politiques budgétaires

En absence de coordination des politiques budgétaires (donc absence de convergence des cycles économiques) et en présence d’incohérence temporelle de la politique monétaire, chaque gouvernement aura tendance à adopter une stratégie de politique budgétaire unilatérale ignorant les externalités de sa politique sur les autres pays membres. À terme, l’ensemble des politiques unilatérales sera nuisible à l’union.

Dans la zone monétaire, chaque gouvernement finance ses dépenses grâce à l’endettement inétrieur nominal. La banque centrale décide du niveau du taux d’inflation communautaire en faisant un arbitrage entre les avantages et les inconvénients de l’inflation. Une forte inflation peut avoir des avantages car cela réduit la valeur réelle de la dette nominale et par suite réduit la tentation des gouvernements à augmenter les impôts et taxes pour rembourser la dette. Une forte inflation peut bien entendu avoir des conséquences négatives (même en économie fermée) car cela constitue notamment un frein pour les politiques de protection sociale ce qui réduit le niveau de la croissance économique. Dans ce cas de figure (économie fermée), en présence d’une grande inflation, les avantages augmentent plus que les inconvénients. De ce fait, plus le niveau de la dette avant la mise en place de l’union est élevé, plus l’autorité monétaire aura tendance à fixer le taux d’inflation cible à un niveau relativement élevé.

Sous l’hypothèse de politiques budgétaires non coordonnées, pour décider du niveau de ses dépenses, chaque gouvernement effectue un arbitrage entre les avantages et les inconvénients y compris les coûts d’une forte inflation sur la production de chaque pays en ignorant les effets de l’inflation sur la production des autres pays membres. De ce fait, par rapport à une zone monétaire où les politiques budgétaires sont coordonnées, chaque pays membre contracte une dette importante, ce qui conduit la banque centrale à générer une forte inflation et l’on aboutit par suite à un niveau faible de production dans la zone.

La quête d’une convergence des pays membres en zone monétaire est donc pleinement concevable. Quelle est la situation de cette convergence en zone UEMOA ?

2. Bilan du PCSC (1999-2013)

Le Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité entre les pays membres de l’UEMOA, adopté le 08/12/1999 était composé de quatre critères de premier rang[3] dont le non respect entraîne la formulation explicite de directives par le conseil demandant au pays membre concerné, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme de mesures rectificatives et de quatre critères de second rang[4]. Ces derniers sont traités comme des repères structurels indicatifs qui font l’objet d’un suivi rigoureux à cause du rôle déterminant qu’ils jouent dans la réalisation de l’objecif de viabilité interne et externe des économies. Leur non respect ne fait cependant pas l’objet de recommandations explicites pour la mise en œuvre d’un programme de mesures rectificatives.

Le tableau ci-dessous présente la situation des pays dans le respect de ces critères à fin 2013.

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Source : Commission de l UEMOA (Surveillance multilaterale, juin 2014)

Pour ce qui concerne les critères de 1er rang, d’importants efforts ont été réalisés par les pays membres. En 2013, les trois derniers critères de 1er rang ont été tous respectés par l’ensemble des pays membres ; le critère sur la dette publique l’était dès 2012. Cependant, le premier critère de convergence considéré comme un critère clé car il permet une appréciation globale de la gestion du budget de l’État n’a été respecté que par le Bénin en 2013. L’on peut constater également une détérioration de la performance sur ce critère entre 2011 et 2013. Par ailleurs, aucun critère de second rang n’a été respecté par l’ensemble des pays membres.

Ces difficultés de convergence sont principalement dues à l’hétérogénéité des caractéristiques économiques des pays membres (Coexistence de pays sahéliens d’une part et de pays forestiers et côtiers d’autre part). En effet, l’agriculture et le commerce constituant les principales activités de l’union et compte tenu de l’importance des chocs, l’union se retrouve composée de pays importateurs (sahéliens pour la plupart) et de grands exportateurs. Ainsi, les variations de la valeur de la monnaie communautaire auront des effets différents pour les pays d’une même union. Par exemple, la dépréciation récente de l’euro qui implique également celle du franc CFA contribue à favoriser les exportations vers les pays (hors zone euro) mais renchérit dans le même temps les importations (des pays hors zone euro). La prise en compte de cette configuration dans la définition des critères de convergence est donc compréhensible, d’où la définition du nouveau pacte.

3. Les enjeux des nouveaux critères de convergence

Le nouveau pacte de convergence (version 2015) des États membres de l’UEMOA comprend cinq critères de convergence (3 critères de 1er rang et 2 critères de 2ème rang) qui devraient être atteints à l’horizon 2019 :

a. Le ratio du solde budgétaire global, dons compris, rapporté au PIB nominal doit être supérieur ou égal à -3% en 2019

Il permet une évaluation de la position budgétaire d’un pays. Cependant, ce critère à caractère comptable ne permet pas de percevoir les effets de la politique budgétaire notamment sur l’activité économique. Un autre indicateur comme le solde structurel courant hors investissements publics permettrait d’avoir une vision plus économique. En effet, l’application de la règle d’or des finances publiques signifie que ce solde structurel courant doit être équilibré. Ainsi donc, un pays ne peut s’endetter que pour investir. On pourrait ainsi percevoir directement les effets de la dette sur l’investissement et donc sur le PIB et la croissance économique.

b. Le taux d’inflation annuel moyen doit être au maximum de 3% ;

Ce critère reconduit semble être respecté par la plupart des pays membres. Cependant, il faut nuancer ce résultat car les déterminants de l’inflation en zone UEMOA sont majoritairement du ressort des chocs exogènes et de l’inflation importée. L’analyse des caractéristiques des principales activités économiques permet de le comprendre. En ce qui concerne l’agriculture, les chocs climatiques ne sont pas rares et affectent souvent les récoltes saisonnières. Une mauvaise campagne agricole entraînera la hausse des prix des produits agricoles notamment alimentaires. Quant au commerce des matières premières, les pays de la zone UEMOA étant des price taker, ils subissent les variations des cours internationaux des matières premières. En outre, l’importance des importations assure l’influence non négligeable de l’inflation importée sur le niveau de l’inflation globale. En outre, ce seuil semble bas pour des économies en quête de croissance soutenue comme le suggère certaines études. En effet, une forte croissance économique est source de tensions inflationnistes mais permet une absorption du chômage et une réduction de la pauvreté à terme. Ces derniers résultats sont prioritaires (par rapport un faible taux d’inflation) pour les économies de l’UEMOA d’autant plus que les déterminants de l’inflation ne sont pas contrôlables.

c. Le ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal ne doit pas excéder 70% en 2019.

Le respect de ce seuil reconduit doit être également relativisé par la prise en compte des allègements de dette au titre des initiatives PPTE. Le seuil de 70% ne semble pas consensuel du fait des effets non linéaires de la dette sur l’activité. Si la dette permet de financer l’activité économique, l’importance des intérêts d’une part, et le fait que certains gouvernements s’endettent pour effectuer des dépenses de fonctionnement d’autre part, un fort endettement peut se révéler contre-productif.

d. Le ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales ne doit pas excéder 35% en 2019

Ce seuil non atteint en 2013 a été tout de même reconduit. L’importance des dépenses d’éducation et de santé, notamment dans les recrutements de la fonction publique ne facilite pas l’atteinte de ce seuil. Une question fondamentale se pose pour la révision ou l’atteinte de ce seuil. Il s’agit de savoir si ces dépenses de recrutement des agents de santé et d’éducation pour les économies de l’UEMOA doivent être considérées comme des dépenses de fonctionnement ou comme des investissements en capital humain. En effet, il s’avère qu’un important financement en matière de santé et d’éducation est nécessaire dans la zone, d’où les interrogations sur la pertinence de ce critère.

e. Le taux de pression fiscale doit être supérieur ou égal à 20%.

Le seuil de ce critère a été revu à la hausse. Une meilleure lecture de ce nouveau seuil ambitieux suppose une dissociation des recettes fiscales hors exploitation pétrolière et minière afin de se concentrer sur les recettes non liées à l’exploitation des ressources naturelles faisant l’objet d’un effort de mobilisation fiscale plus important. En effet, les difficultés de collecte d’impôts et taxes proviennent des autres secteurs où prévalent les activités à caractère informel.

La non-réalisation de l’ensemble des objectifs de convergence définis dans le PCSC (1999) a conduit à la naissance d’un nouveau pacte. Au-delà des imperfections de certains critères de ce nouveau pacte, il serait judicieux d’appliquer un principe de gradualisme au nouvel horizon de convergence afin d’éviter les multiples reports constatés avec l’ancien pacte. Les échéances intermédiaires permettraient aux différents gouvernements de réadapter leurs politiques en temps opportun. Toutes choses qui contribueraient à une amélioration des résultats de convergence à terme (2019).

Daniel Ouedraogo


[1] L’UEMOA  est née le 10 janvier 1994 et est composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Togo et de la Guinée Bissau qui a rejoint l’union en 1997.

[2] Les chocs idiosyncratiques désignent les chocs qui affectent un pays membre de l’union. Il s’agit par exemple d’une mauvaise pluviométrie (choc temporaire) dans un pays A ou d’une guerre civile dans un pays B (choc permanent).

[3] solde budgétaire de base rapporté au PIB nominal devrait être supérieur ou égal à 0 (critère 1) ; taux d’inflation annuel moyen devrait être maintenu à 3% au maximum (critère 2) ; encours de la dette publique totale (intérieure et extérieure) rapporté au PIB nominal ne devrait pas excéder 70% (critère 3) ; non-accumulation d’arriérés de paiement sur la gestion de la période courante (critère 4).

[4] ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales ne devrait pas excéder 35% (critère 5) ; investissements publics financés sur ressources internes rapportés aux recettes fiscales devrait atteindre au moins 20% (critère 6); ratio du déficit extérieur courant hors dons par rapport au PIB nominal ne devrait pas excéder 5% l’an (critère 7); taux de pression fiscale (Recettes fiscales / PIB nominal) devrait être supérieur ou égal à 17% l’an (critère 8).