L’urbanisation en Afrique : Source de Développement ou de Pauvreté ?

Des mouvements de populations ont toujours été observés à l’orée des grands progrès économiques. En Afrique, la population urbaine est passée de 115 millions en 1970 à 413 millions en 2010, soit presqu'un quadruplement en 40 ans[1]. Cette dynamique est encore plus importante en Afrique sub-saharienne où la population urbaine a été multipliée par 5 au cours des quarante dernières années. Les projections anticipent un taux d’urbanisation de 50% d’ici l'année 2030 et de 62% en 2050. Cette explosion de la population urbaine en Afrique est-elle source de progrès économique ou à la fois source et conséquence de la pauvreté?

D’un point de vue économique, l’urbanisation devrait être le résultat d’une plus grande attractivité de la ville du fait de l’industrialisation et des opportunités d’emplois s'y trouvent. Ainsi, la population non-agricole s’installe dans les centres urbains pour développer des activités manufacturières et commerciales. Dans le même temps, la population agricole se concentre en milieu rural pour produire et fournir les biens nécessaires au fonctionnement des manufactures et à la consommation des citadins. La forte valeur ajoutée des industries manufacturières engendrerait de nouvelles opportunités d’emplois en milieu urbain, sources d’exode rural. De plus, l’accroissement de la demande va entraîner plus de spécialisation dans les tâches, ce qui va conduire non seulement à des gains de productivité mais également à l’arrivée de nouveaux migrants en provenance du milieu rural. Ce mécanisme économique est pourvoyeur de croissance économique, de réduction des inégalités et de développement. Il a été observé dans la plupart des pays du monde qu'une forte croissance de la population urbaine s’est accompagnée d’une augmentation significative des revenus.

 Cependant, la dynamique de la migration urbaine en Afrique, et plus particulièrement au sud du Sahara, ne suit pas cette même logique économique. Une comparaison entre l’Asie du Sud Est et l’Afrique sub-saharienne est révélatrice de ce paradoxe. En effet, avec un taux d’urbanisation de 36%, l’Afrique sub-saharienne a un revenu par habitant de $601 EU contre $647 EU en Asie du sud Est qui a un taux d’urbani sation de 29%[2] . Ainsi, l’Afrique sub-saharienne aurait eu $803 EU si son urbanisation s’accompagnait des mêmes effets qu’en Asie du sud Est. 

Ce paradoxe est le résultat de deux problèmes spécifiques aux pays africains. D’une part, la faiblesse du tissu industriel caractérisé par l’inexistence de manufactures et la prépondérance des entreprises commerciales. La hausse continue des importations de produits de consommation en est une preuve. D’autre part, les inégalités grandissantes entre le milieu rural et le milieu urbain, comme le montre par exemple un rapport de la Banque Mondiale sur le Burkina-Faso. Elles sont présentes sur tous les plans allant des revenus aux besoins de base comme la santé et l’éducation. Cela engendre une forte préférence pour le milieu urbain chez des populations rurales qui s’appauvrissent au fil des années. En guise d’exemple, la pauvreté est plus importante en milieu rural qu’en milieu urbain quasiment dans tous les pays africains.

Ces deux facteurs combinés induisent une forte migration vers les villes sans réelles opportunités d’emploi. Les migrants sont essentiellement des jeunes sans qualification professionnelle. Il en résulte des bidonvilles avec des conditions de vie très peu décentes, car la ville ne dispose pas de moyens suffisants pour fournir à tous certains éléments de base tels que le logement, l’électricité et l’eau. Le cas de la ville de Dakar illustre bien les problèmes de fourniture d’électricité dus à la forte concentration de la population dans la même ville – la densité de la population de Dakar est de 5300hab/km2. Par ailleurs, les jeunes non qualifiés qui forment la majorité des migrants vont gonfler le secteur informel et exercer des activités dangereuses comme la vente d’essence frelatée ou destructrices du cadre de vie telles que le métier de taxi-moto « Zémidjan » à Cotonou.

En   somme, l’urbanisation en Afrique ne semble pas être une source de croissance économique, de réduction des inégalités et de développement humain. Même si elle a un impact sur ces différentes aspects, il est fort vraisemblable que la pauvreté supplémentaire qu’elle créé annihile son impact sur le développement. Que faut-il faire dans ce cas ? Contenir le flux de l’exode rural ou formuler de  nouvelles politiques plus adaptées à ce paradoxe?

Georges Vivien Houngbonon


[1] Estimation à partir des données de UN-Habitat

[2] Rapport de UN-Habitat