Mort de Pateh Sabally : à quoi bon sauver un simple migrant ?

Pateh Sabally, réfugié gambien de 22 ans s’est laissé mourir dans le Grand Canal de Venise, samedi 21 janvier. Après le Nigérian Emmanuel Chidi battu à mort en juillet 2016 par des militants racistes à Fermo, l’Italie est à nouveau le théâtre d’une barbarie raciste.

Cette mort de Pateh Sabally nous dit quelque chose de notre époque sidérante, car elle témoigne de ce qu’Hannah Arendt appelait « la banalité du mal ». En 2017, un jeune homme se noie pendant que des passants et des touristes rigolent et l’agonissent d’insultes racistes. Personne ne tente quoi que ce soit pour le sauver, mais on sort tout de même son téléphone pour filmer la scène, histoire de faire ensuite le buzz sur les réseaux sociaux. L’inhumanité atteint ainsi une dimension terrifiante par la médiatisation de la cruauté.

C’est un spectacle tragique que l’Europe montre, elle qui se vante pourtant au quotidien d’être un modèle de démocratie, de liberté et de respect de la dignité humaine. Le Vieux Continent donne constamment à l’Afrique des leçons de morale en matière électorale et sur les conflits qui foudroient nos pays, mais son traitement des migrants, des réfugiés qui fuient les horreurs n’est en rien humaniste.

A quoi bon sauver un simple migrant ?

Ces Vénitiens et ces touristes auraient plongé pour sauver n’importe quoi, même un appareil photo. Mais leur attitude coupable résulte, en Europe, de la persistance d’un discours martelé par des politiques et des médias sur le danger que constitue l’Autre – migrant, réfugié ou simple étranger. Les qualificatifs pour les désigner sont légion et montrent tous combien le mépris est total : « Nègre », « envahisseur », « fuite d’eau », « misère du monde », « voleur de boulot »…

Beaucoup de médias ont relaté la tragédie de Pateh Sabally invoquant une mort survenue dans l’indifférence. L’expression est fausse. Le jeune homme est mort sous des ricanements conscients qui n’ont rien d’indifférents. Ce n’est qu’un migrant qui se suicide, à quoi bon le sauver, se sont-ils dit !

D’autres morts auront lieu malheureusement. Il n’y a qu’à suivre les débats en Europe où un homme politique, pour augmenter sa cote de popularité, sort une énormité sur les étrangers, les réfugiés, les musulmans. Ailleurs, on érige des barrières physiques et symboliques contre des gens qui ne sont pas nés dans le bon pays ou n’ont pas la bonne orientation religieuse. C’est une vague xénophobe qui s’est emparée de l’Occident, rappelant les heures les plus sombres de notre Histoire. Et ce n’est pas le décret anti-immigration signé le 27 janvier par Donald Trump et interdisant l’entrée des Etats-Unis aux ressortissants de sept pays – dont trois africains : la Somalie, la Libye et le Soudan – qui va apaiser les esprits.

Rien ne prédit que le cycle de l’horreur finira bientôt. Au contraire, on se laisse gagner de jour en jour par une escalade verbale et guerrière qui est la cause lointaine des morts d’Emmanuel Chidi, qui fuyait Boko Haram, puis de Pateh Sabally, que les sinistres années de présidence de Yahya Jammeh ont poussé à la fuite. Leur mort pèsera longtemps dans la conscience de tous ceux qui, chaque jour, en pointant l’Autre comme un problème, sont la honte de l’Europe et les bourreaux de nos jeunes exilés.

Hamidou Anne