Un conflit clandestin en Casamance

SIGE_casamance_apx_470_Depuis le début des années 1980, une guerre permanente et atypique sévit au sud du Sénégal. Elle a ainsi la particularité d’être l’une des guerres les moins médiatisées au monde. Depuis son éclatement, des centaines de morts, plusieurs familles déplacées et des aires effroyablement minées se meuvent dans l’ignorance extrême de la communauté internationale. Plus désolant encore, l’essentiel de la population sénégalaise ignore ce qui se passe réellement en Casamance. 

La MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) a été créé en 1947 par des intellectuels casamançais. Au début il s’agissait de créer un parti politique afin de donner une voix au sud ! Mais vers les années 1979 et 1980, l’organisation a mué pour devenir le mouvement indépendantiste de la Casamance. 

Les causes de la naissance de ce mouvement de séparation sont nombreuses. D’abord, la région casamançaise est la plus riche contrée sénégalaise de par sa végétation luxuriante et ses ressources naturelles immenses. Cette situation lui procure le titre de grenier national du pays. L’exploitation de ces richesses parfois en faisant fi de la population locale a fait naitre chez une partie des habitants du Sud un sentiment de victimes d’un pillage systématique de la région au profit d’autres zones, comme Dakar. 

Ensuite, la Casamance se trouve être coupée géographiquement du Sénégal par la Gambie. En effet, la région n’est reliée que par la région de Tambacounda du reste du pays, et ceci par le biais d’une route longue et impraticable. Il existe toutefois d’autres voies d’accès, notamment par la mer et le territoire gambien. Avec cet enclavement, les casamançais ont parfois le sentiment d’être coupé du pays ; et ce sentiment de frustration a nourri une envie farouche chez certains de s’émanciper de la tutelle de Dakar. 

Ainsi de 1980 à nos jours, des combats sanglants ont eu lieu entre l’armée sénégalaise et les forces indépendantistes. Ces combats ont déjà fait de nombreuses victimes et continuent à alterer le développement d’une région au potentiel énorme. Des centaines de personnes y ont trouvé la mort et des familles ont été contraintes de quitter la région. Les aires agricoles continuent d’être transformées en palette de mines et l’état de l’économie régionale se dégrade de jour en jour.

Si tous les observateurs partagent l’avis selon lequel cette guerre a trop duré, différents facteurs plaident eux en sa poursuite. Il s’agit d’abord d’un rendez-vous d’intérêts. En effet, les responsables du mouvement indépendantiste trouvent leur compte dans la poursuite du maintien de la tension, en amassant des fonds énormes provenant de quelques organisations et pays qui les financent secrètement.

A cela s’ajoute le caractere propice de la guerre dans la mise en œuvre d’une vraie économie de la drogue dans la region. Les trafiquants profitent de l’instabilité de cette partie du territoire sénégalais pour faire fleurir leur commerce, notamment eu égard à la frontière que la Casamance partage avec la Guinée Bissau, depuis plusieurs décennies plaque tournante de ce commerce illicite. De ce fait, les dirigeants rebelles ont en main un business très prolifique. 

Ensuite, ils convient de noter un manque notoire de volonté de la part de l’Etat sénégalais. En effet, ce dernier présente une incapacité inquiétante quant au règlement de ce conflit. Pendant que des centaines de soldats sénégalais sont présents sur tous les théâtres d’opérations du moment, le sud du Sénégal continue de se mouvoir dans un conflit aux effets dévastateurs au plan humain et handicapants pour toute stratégie de developpement économique. De plus, des négociations concrètes avec les séparatistes n’ont pas eu lieu depuis belle lurette. Il semble même tout à fait clair qu’aucune des deux parties ne cherche à tirer l’autre autour de la table des négociations. Cependant, l’irresponsabilité principale revient à l’Etat sénégalais dont l’une des missions premières est de garantir l’intégrité territoriale du pays. 

Cela dit, l’Etat ne fraint-il pas de regarder ce conflit en face ? En effet, on note un refus total de la médiatisation du conflit. Depuis l’éclatement de ce dernier, il n’y a jamais eu de chiffres concrets et vérifiés sur le nombre de victimes. Il y a une absence totale de bilan officiel ! 

Dans la même logique, il y a une abstraction sournoise de la guerre casamançaise de la part des média nationaux. Aucune télévision ne diffuse d’images en rapport avec une guerre qui provoque quasi quotidiennement des victimes civiles et militaires. 

Une chose est sûre : le Sénégal est entrain de perdre gros à cause de ce conflit qui n’épargne aucun secteur économique dans le sud-ouest du pays. L’agriculture exploite à peine le dixième de son potentiel, le tourisme est en passe de disparaître et le secteur minier est handicapé faute d’exploration. Tout cela est dû en grande partie à l’instabilité qui règne dans cette contrée.

Si le Sénégal veut donner rendez-vous à l’émergence économique dans un futur moyen, alors autant liguer tous les atouts qui sont en sa possession. Et ceci ne se fera pas sans doute avec l’absence de sa région la plus riche en potentiel. Il ne peut exister une priorité aussi urgente que la question de la Casamance, et l’Etat du Sénégal a l’obligation de la résoudre au plus vite. Des opportunités économiques sont en attentes d’exploitation, le cancer du trafic de la drogue s’empire et des innocents continuent de mourir. 


Weyssou Sokhna