Gambie : une démonstration du « loup et l’agneau » de la Fontaine

La Cédéao et l’Union Africaine, soutenues dans une certaine mesure par la Communauté internationale, ont contraint Jammeh à céder le pouvoir après de longues négociations menées par les présidents guinéen et mauritanien et sous la menace d’une intervention militaire. Si cette manœuvre a permis de se débarrasser d’un pouvoir autocratique qui a plongé ce petit pays dans une crise socio-économique sévère et un isolement international quasi-complet ; il convient toutefois de s’interroger sur le signal qu’elle donne, notamment pour l’instauration d’une démocratie véritable en Afrique, mais aussi quant au fonctionnement des institutions régionales africaines.

Cette crise est la résultante de l’entêtement de Yahya Jammeh à s’accrocher au pouvoir alors qu’il l’aurait perdu dans les urnes. Une défaite, qu’il a concédé dans un premier temps, avant de faire volte-face contestant la légitimité du président élu en évoquant les irrégularités entachant le scrutin et révélées par l’IEC (Independent Electoral Commission).[1] Une volte-face que certains considèrent comme une manœuvre de Jammeh afin d’éviter des poursuites judiciaires pour les exactions commises durant ses 22 années au pouvoir.

Cependant, dans une Afrique en quête de stabilité démocratique, les arguments avancés par les détracteurs de Jammeh seraient-ils pertinents vis-à-vis de ceux du président sortant dénonçant les irrégularités ? D’autant plus que ces irrégularités ont été confirmées par le président de l’IEC lui-même, tout en précisant qu’elles ne sont pas de nature à modifier l’issue du scrutin.

Alors qu’à l’annonce des résultats, Jammeh aurait pu les rejeter en bloc pour diverses raisons, s’accrocher au pouvoir en s’appuyant sur l’armée comme certains de ses pairs, il les a acceptés à la surprise générale. Il a démontré sa volonté de respecter les principes de la démocratie et à ce titre, il aurait fallu user des voies de recours légales pour régler ce différend politique. La médiation de la CEDEAO, conduite par sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, ne s’est pas attachée à amener les protagonistes à user de telles voies, même si on estime que le contexte ne s’y prête pas avec une cour suprême dont les membres n’ont pas été nommés. Elle avait une seule ambition : négocier le départ de Jammeh. L’échec d’une telle médiation était donc prévisible et n’a laissé à Jammeh que des options qui ont envenimé la crise de sorte à lui donner l’image d’ennemi de la démocratie pouvant justifier cette intervention militaire.

Jammeh n’est certes pas un agneau et son départ contraint – dans la mesure où le président élu de la Gambie, Adama Barrow, a prêté serment à Dakar (dans un flou juridique total que seul comprend la communauté Internationale) et vu l’imminence d’une intervention militaire que Jammeh ne peut contenir ; l’armée gambienne ne voulant d’ailleurs pas se battre, selon cet article du "Monde" – offre à la Gambie un nouveau souffle. Cependant, cette situation suscite plusieurs interrogations, notamment sur la gestion des crises par les institutions régionales africaines.

Le constat est qu’à situation similaire, les traitements ne sont pas les mêmes. La balance régionale tend à pencher d’un côté de sorte que l’intervention de ces institutions ne sert qu’à appuyer l’une des parties impliquées dans la crise et non à les renforcer, foulant au passage les principes démocratiques. Alors qu’en 2005 et 2015, le Togo était au bord d’une crise après les élections, la CEDEAO n’a fait qu’avaliser l’élection de Faure Gnassingbé au grand désarroi du peuple. Plus récemment, alors que tout indiquait qu’Ali Bongo a forcé sa réélection en tant que président du Gabon, l’Union Africaine a fait mine de laisser les Gabonais régler leur différend politique. Au Congo, les manœuvres de Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir n’ont pas suscité une quelconque intervention de l’Union Africaine et celles de Kabila en RDC n’amèneront certainement pas cette dernière à décider d’une intervention militaire ou à en appuyer une visant à déloger ce dernier.  Si le conflit électoral en Gambie n’est pas une première sur le continent, il n’en est pas de même de la réaction de la communauté internationale. Cette dernière ne s’est en effet jamais autant impliquée pour le respect du choix populaire. Mais à y regarder de près, cette prise de position tient davantage à la personnalité de Jammeh plutôt qu’à une intention véritable de l’institution de renforcer la démocratie dans ce pays et dans la région de façon globale. Très peu apprécié par ses pairs, Jammeh a fait les frais de cette crise post-électorale qui constitue un ultime instrument entre les mains de ses détracteurs pour le forcer à quitter le pouvoir. La gestion des crises par les institutions africaines se ferait donc à la tête du client ? Cela s’y apparente. Aussi détestable que Jammeh puisse être, cette intervention musclée pour le déloger du pouvoir n’était pas forcément nécessaire, surtout qu’il était dans son droit de contester les résultats d’une élection dont la crédibilité a été remise en cause par les organisateurs.

Au final, Jammeh a quitté le pouvoir (chacun pourra l’apprécier selon sa conviction) mais il ne faudrait surtout pas y lire une victoire de la démocratie sur la dictature mais plutôt une persistance de l’application de la loi du plus fort dans la conquête du pouvoir politique en Afrique et reconnaître que les institutions africaines ne sont qu’à leur solde. Dans ce contexte, elles ne pourraient permettre d’atteindre l’intégration tant souhaitée et de construire cette Afrique que nous voulons.

Dans tous les cas, on attendra l’Union Africaine et les autres institutions régionales sur d’autres scènes … tant l’Afrique compte des accros au pouvoir, qui, comme Jammeh, dirigent leur pays d’une main de fer depuis bien longtemps et violent ouvertement les principes démocratiques, sans être inquiétés. Espérons que nous nous trompons et que ces institutions réitéreront ce genre d’actions dans d’autres cas, qui ne manqueront certainement pas de se présenter sur le continent.

La Gambie, cet exemple des conséquences de l’absence de gouvernance économique

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La Gambie est un pays qui offre un contraste saisissant, entre l’image qu’en véhiculent les médias en lien avec les déclarations et positions de son président, la personnalité de ses habitants et sa situation socio-économique.

Banjul a l’air d’une ville des années 90, cependant ses habitants s’y sentent bien. Bien parce que malgré leur pauvreté, ils ont une joie de vivre que rien se semble justifier et ne se montrent pas du tout hostile envers les touristes. Au regard de l’intérêt que portent les touristes, notamment allemand et britannique, à ce pays ; on se demande bien pourquoi on nous vend la Gambie comme un pays à éviter. Le tourisme sexuel y est réel mais ne justifie pas l’importance de ce secteur[1].

La destination est avant tout low cost, dispose de belles plages avec des habitants plutôt conviviaux. Certains y découvrent des opportunités d’affaires. De fait, tant qu’on ne s’intéresse pas aux questions politiques, on peut y faire des affaires. Enfin sans compter sur les éventuels caprices du président. En effet, s’il ne s’invite pas dans la sphère économique (lui et son cercle), ce sont ses décisions arbitraires qui détériorent l’environnement des affaires. Des décisions que les médias occidentaux surenchérissent, créant une certaine phobie de ce pays alors que certaines de ces décisions paraissent plutôt correctes : interdiction de l’excision ou de la dépigmentation, entre autres.

La réelle difficulté de la Gambie réside dans l’absence d’une stratégie de gouvernance socio-économique, qui se traduit par les décisions arbitraires des autorités. Son administration constituée de ressources humaines qualifiées, s’exerce donc plus à rafistoler les dégâts causés à l’économie par les décisions erratiques des autorités que d’assurer la mise en œuvre des projets et programmes définis dans le plan d’émergence du pays, et ceci, à tous les niveaux. De l’exécutif au judiciaire en passant par le législatif, les fonctionnaires de ce pays tentent d’assumer au mieux leur fonction pour améliorer la situation de leur pays mais doivent composer avec un exécutif dont les décisions leur échappent complètement et sont tout à fait imprévisibles.

Le budget qui constitue un instrument de politique économique est complètement politisé et traduit les seules ambitions du président. Son financement est rendu complexe par l’isolement de plus en plus croissant du pays, qui depuis son indépendance est gavé d’aides extérieures. Les agents de l’administration ont donc été contraints de recourir au marché domestique pour mobiliser les ressources nécessaires au financement des déséquilibres budgétaires, créant un effet d’éviction au détriment du secteur privé. Les taux d’intérêt y atteignent aujourd’hui près de 30%.

Ces fonctionnaires n’ont vraiment pas le choix. Il ne faut pas leur en vouloir. Il faut bien payer les salaires et assurer le fonctionnement de l’administration ; au moins pour entretenir la demande afin de créer un semblant de marché domestique pour que les quelques entreprises, hôtels et autres commerces puissent fonctionner. Les projets d’investissement sont rares et le paiement des intérêts absorbe une bonne partie des ressources propres de l’Etat. La Banque Centrale n’y est pas indépendante et ne peut donc mettre en place des mesures pour contrôler ces interventions de l’Etat sur le marché financier.

La politique de change est pilotée depuis la présidence de la république. Le taux de change dalasi-dollar a ainsi été fixé à plusieurs reprises sur les trois dernières années par simple annonce présidentiel et sans une évaluation préalable des risques pour l’économie, contribuant à éroder les relais de croissance du pays et à fragiliser ces équilibres extérieurs. Les réserves du pays ont fondu au cours des deux dernières années et se situent aujourd’hui à un niveau qui ne permettrait de financer que deux mois et demi d’importations.

Le développement du pays est donc pris en otage par la seule volonté d’un politique, toute manœuvre visant à favoriser le développement du pays pouvant être remis en cause par une simple décision présidentiel. Ainsi en plus des difficultés usuelles – approvisionnement électrique, cadre réglementaire, état des infrastructures, etc. – qui affectent l’attractivité des pays africains, la Gambie a en plus son président, qui se constitue en une source d’instabilité de l’environnement des affaires, affectant fortement l’attractivité du pays et obérant toute perspective de développement. Au dernier classement Doing Business, le pays a reculé à la 151ème place.

Définir un plan, avec un ensemble de projets à exécuter, ne suffit pas pour garantir le développement ou l’émergence. Son appropriation par les hautes autorités est nécessaire pour sa réussite.

Le cas gambien qui montre assez bien comment le manque d’une stratégie de gouvernance économique cohérente peut être dommageable pour l’économie, n’est pas une particularité. Ceci est une problématique qui se pose à plusieurs pays africains aujourd’hui. La détermination politique devant accompagner la mise en œuvre des projets et programmes de développement est quasi-absente et la situation se détériore quand en plus, les autorités interviennent dans la sphère économique ou s’enlisent dans des jeux ou calculs politiques. On citera le cas du Congo, du Burundi, de la Centrafrique, etc.

Les réglementations ne servent à rien si les politiques ne sont pas conscientes que ce sont leurs actions qui en déterminent la pertinence. Cette inconscience de nos politiques, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui se réclament de l’opposition, est frustrante. Frustrante, parce que nous voulons voir cet Afrique se développer à travers la valorisation de son potentiel que plusieurs entités physiques et/ou morales, aussi bien externes qu’internes sont prêts à financer.

 

[1] Le tourisme représente 11% du PIB et constitue le premier poste de salariés dans le pays.