En Ouganda, la course à la pudeur a commencé

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On a enfin entendu parler de ce pays grand comme une moitié de France la semaine dernière, lorsque le président ougandais Yoweri Museveni, en poste depuis 1986, a signé devant les yeux effarés de journalistes du monde entier la fameuse loi anti-homosexualité. Pour un simple rappel, cette loi prévoit la prison à vie pour tous les « coupables d’homosexualité », sept ans de prison pour toute « promotion de l’homosexualité », et trois pour quiconque connaîtrait un homosexuel et ne le dénoncerait pas dans les 24 heures.

Seulement, les medias sont cyclopes, et n’arrivent en général à se concentrer que sur un seul thème, lorsqu’il s’agit d’un pays peu exposé. Ils semblent pareils à une sorte de phare balayant son œil unique puissant tour à tour sur tel ou tel endroit. L’Ouganda, c’est la loi anti-homosexualité, voilà tout.

Mais c’est aussi bien plus. Une autre loi, nettement moins médiatisée que celle-ci, et pourtant tout autant promulguée, c’est celle dite « anti-pornographie », signée fin décembre. En plus de prévoir un rigoureux arsenal juridique contre tous types de sites plus ou moins recommandable, le texte laisse place à tous types d’interprétations par les forces de l’ordre en proposant la définition la plus floue qui soit de la pornographie contre laquelle il doit lutter : tout procédé, habit ou représentation pouvant provoquer l’excitation sexuelle primaire. Ce qui fait que ce texte a été surnommé à son tour « Loi anti-minijupe », au grand dam des dames du samedi soir.

En dehors des lois, on compte aussi des déclarations, des déclarations qui semblent de plus en plus tapageuses et rigoristes. Le Président Museveni s’est fendu d’une analyse à l’emporte-pièce sur le sexe oral, lors de sa conférence de presse après la signature de la loi anti-homosexualité : les Ougandais ne doivent pas avoir de telles pratiques qui sont néfastes pour la santé, car, argument déroutant, la bouche sert avant tout à manger. Un jugement plutôt malvenu, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’homosexualité en fin de compte.

M. Museveni a également une autre obsession pudibonde qu’il voudrait transmettre à sa population : s’embrasser en public serait un crime de lèse majesté, un crime qui l’aurait empêché d’être réélu s’il l’avait proféré, selon l’intéressé lui-même.

Ces lubies semblent de prime abord purement Museveniennes, peu de ses ministres allant plus loin que lui dans la provocation et l’incitation à un train de vie puritain. Ceux qui vont plus loin et qui semblent ouvrir la voie en éclaireurs dans cet obscurantisme sont plutôt à retrouver du côté des églises.

museveniCe rigorisme que marquent ces lois et ces provocations a une origine : la pression qu’exercent les pouvoirs religieux sur le couple présidentiel. Janet Museveni, la Première Dame, a notamment des accointances plus qu’avancées avec les Born-Again, évangélistes influencés et financés par les néoconservateurs nord-américains, prêchant en général un discours assez violent face aux « vices » définis par la Bible.

De plus en plus nombreux, représentant une manne financière importante et noyautant le parti majoritaire NRM, les Born Again semblent la cible électorale à se mettre dans la poche pour les élections de 2016. Et c’est gagné. Le lundi 3 mars dernier, une association de 1000 pasteurs born-again (chacun contrôlant donc plusieurs dizaines voire centaines d’adeptes) s’est ralliée au président, pour les prochaines élections, en le remerciant de son acte « héroïque ». Ce n’est pas la seule religion qui abonde en ce sens : les cadres islamiques du pays ont supplié M. Museveni de signer cette loi, avant de l’applaudir à grand bruit. De son côté, l’Archevêque Ntagali, chef de l’Église anglicane ougandaise, a fait part de la possibilité de se séparer de l’Église anglaise à laquelle elle est rattachée, si les prises de positions contre l’homosexualité continuaient à être condamnées.

Cependant, des déclarations aux faits, il n’y a qu’un pas. Alors qu’on pouvait espérer que ces critiques se cantonneraient aux sphères politico-religieuses, qui sont quand même d’une certaine génération lorsque 80% de la population a moins de 30 ans, la provocation a franchi la frontière du réel.

Suite à la loi anti-pornographie, dont certains doutaient de l’application, des Ougandais ont cru bon de se faire justice par eux-mêmes. Déshabillement de femmes légèrement vêtues en public, violences, viols. Le gouvernement a dû faire marche arrière en demandant explicitement aux fautifs qu’il fallait laisser la police s’occuper de ce dossier. Un gouvernement qui a sa part de responsabilité dans un tel imbroglio, sachant que l’un des secrétaires d’État justifiait il y a quelques mois le viol en cas de provocation vestimentaire.

Dans la presse, c’est encore pire : le Red Pepper, tabloïd racoleur, publie le lendemain de la fameuse signature une liste du « top 200 » des homosexuels en Ouganda. Ils avaient publié également en octobre dernier les photos à peine floutées, de relations homosexuelles. Un journal du même genre, le Rolling Stone, avait publié en 2010 une liste de défenseurs des homosexuels. Résultat : lynchages et mort de David Kato, militant influent, assassiné à son domicile. Le même Red Pepper avait l’habitude de publier de nombreuses photos de soirées de gala de Kampala, des photos évidemment riches en minijupes et tenues légères. Brusque changement d’attitude depuis le passage de la loi : les photos sont floutées, et le journal est donc passé à ce qu’il connaît de mieux dans ce pays : l’autocensure.

Devant cet engrenage subit et inquiétant, le seul moyen de se rassurer reste de relativiser. Dans le temps comme dans l’espace : combien de temps cette course au clocher durera-t-elle ? Le Président Museveni est loin d’être très populaire dans le pays, et c’est clairement avec le sujet de l’homosexualité qu’il a réussi à rassembler un parti qui le défiait. Sur la pornographie, il est déjà beaucoup moins suivi. Ensuite, l’Ouganda continue son ouverture et donc à s’occidentaliser, des cinémas ouvrent, de somptueux malls remplis de chaînes internationales (le premier KFC a été célébré avec enthousiasme en novembre) et cela ne va pas sans influencer les mœurs. Si la loi anti minijupes fait scandale, c’est justement parce que de plus en plus de femmes en portent.

L’aspect de leurre qu’ont ces lois dans un contexte où le pays continue d’avoir une grande part de sa population sous le seuil de pauvreté devrait aussi s’estomper au bout d’un certain temps si le développement ne suit pas le rythme effarant de la démographie (6 enfants par femme en moyenne).

Enfin, ces lois ne concernent également que la capitale en elle-même, concrètement, sachant que le pays est faiblement urbanisé (13%). La minijupe et la pornographie n’ont pas grand écho dans les campagnes, où la loi est par ailleurs disputée entre chefs traditionnels (l’Ouganda comprend encore plusieurs royaumes officiellement reconnus) et représentants du gouvernement.

Quelques motifs d’espoirs, donc, qui tendent à penser que cette course n’a pas beaucoup d’intérêt à aller plus loin. Un risque politique que le Président Museveni a tout intérêt à éviter, lui qui doit plutôt jouer habilement ces derniers temps pour surfer sur la vague des tensions palpables dans la population.

Noé Michalon