Au Bénin, la bataille pour le contrôle de l’économie a commencé

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Alors que le débat public sur la prochaine élection présidentielle au Bénin se cristallise autour de la légitimité de tel ou tel candidat, le véritable enjeu qu’est le contrôle des opportunités économiques du pays est entièrement passé sous silence.[1] En effet, comme la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, le Bénin est un pays où tout est encore à faire. Des aéroports aux ports en passant par les autoroutes, la privatisation des anciens monopoles d’eau, d’électricité et de télécommunications, voire même la gestion de la manne pétrolière récemment découverte en offshore : les opportunités économiques sont colossales. Elles existent également dans les secteurs innovants du numérique, des énergies renouvelables et de la santé. Par ailleurs, en dépit de sa petite taille, le Bénin jouera sans nul doute un rôle intellectuel central dans les débats économiques qui auront lieu au sein de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest au cours des dix prochaines années, qu’il s’agisse de la création d’une monnaie unique ou de la finalisation des accords de partenariats économiques avec l’Union Européenne. C’est face à ces enjeux que la compétition électorale a pris une nouvelle tournure, mettant en jeu les opérateurs économiques nationaux face aux investisseurs étrangers.

L’approche traditionnelle de la bataille économique au Bénin

Traditionnellement, la bataille pour le contrôle de l’économie béninoise se déroule entre les opérateurs économiques nationaux lors des élections présidentielles et législatives. En l’absence de financement public, les plus grands partis politiques sont financés par des opérateurs économiques, pour la plupart nationaux, en contrepartie de la signature de contrats d’investissements publics ou de la privatisation d’anciens monopoles d’Etat. Trois cas emblématiques illustrent cette collusion entre milieux d’affaires et milieux politiques depuis l’avènement de la démocratie en 1990 :

  • La privatisation de la filière d'égrenage du coton par le régime du président Soglo entre 1991 et 1996 au profit de l’homme d’affaires Patrice Talon, une privatisation régulièrement contestée devant les tribunaux,
  • La privatisation de la société de commercialisation des produits pétroliers (SONACOP) par le régime du feu président Kérékou entre 1996 et 2006 au profit de l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, contestée et annulée par le régime du président Yayi Boni peu après son entrée en fonction en 2006,
  • La privatisation de la distribution d’intrants agricoles et la gestion du trafic au port autonome de Cotonou par le régime du président Yayi Boni entre 2006 et 2011 au profit de Patrice Talon, remise en cause et annulée par le même régime après sa réélection en 2011.

D’autres cas tout aussi importants sont à dénombrer pour chacun des régimes avec la constance que la concurrence pour la signature des contrats publics se déroule essentiellement entre les plus gros opérateurs économiques nationaux.

Une bataille d’une nouvelle nature s’installe

Aujourd’hui, la donne est en train de changer. Tout porte à croire que les hommes d’affaires béninois en sont conscients depuis l’entrée en scène de Lionel Zinsou, banquier d’affaires franco-béninois, nommé premier ministre depuis juin 2015 et actuellement candidat du parti au pouvoir à l’élection présidentielle du 28 février prochain. Son éventuelle élection à la présidence de la République ne signifierait pas nécessairement que les investisseurs français et de la diaspora béninoise seront privilégiés par rapport aux investisseurs traditionnels béninois. Cependant, cela encouragerait davantage ces derniers à explorer le marché béninois espérant trouver une oreille plus attentive et plus sûr à leurs projets d’investissements. Nous n’en voulons pour preuve que la signature éclair de la convention d’exploitation et de construction du chemin de fer reliant Cotonou à Niamey par le Groupe français Bolloré en août 2015.

C’est dans la crainte de cette concurrence que deux des plus grands hommes d’affaires béninois, Patrice Talon et Sébastien Ajavon, se sont également lancés dans la course à la présidentielle, abandonnant leurs stratégies classiques de soutien à un candidat de la société civile. En face, se trouve le premier ministre avec le soutien des deux plus grands partis politiques de l’opposition. Dans ces circonstances, la sauvegarde de leurs intérêts économiques se trouve confrontée au présage d’une concurrence plus rude en provenance de l’extérieur.

L’intérêt de la population béninoise

Cette confrontation soulève la question de savoir laquelle des deux parties aurait plus de chance d’améliorer de manière plus substantielle les conditions de vie des béninois. Cela dépend d’une part de l’ampleur de la valeur ajoutée économique que chacune d’elle créerait si elle était élue, et d’autre part de la part qu’elles laisseraient au profit de la population, notamment aux 90% les plus pauvres.

Une simplification de l’analyse, sans perte de généralité, consiste à approximer la contribution en valeur ajoutée par le taux de croissance du PIB, et la part de cette valeur ajoutée allouée à la population par l’évolution de la proportion de personnes en situation de pauvreté. Une baisse de cette proportion signifie que la part de la valeur ajoutée allouée aux plus pauvres s’accroît, ou plutôt qu’elle n’a pas baissé. A l’aide de ces deux indicateurs, on peut d’ores et déjà se faire une idée de la contribution de l’approche traditionnelle de la bataille économique à la création de la richesse et à la réduction de la pauvreté au Bénin au cours des 25 dernières années.

Contrairement aux attentes, tous les indicateurs sont au rouge. La pauvreté s’est considérablement accrue au cours des 25 dernières années au Bénin en dépit d’un taux de croissance moyen proche de 5%. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, la proportion de personnes vivant avec moins de 500 FCFA par jour, juste suffisant pour le déjeuner, est passée de 49 à 53% entre 2003 et 2011 alors que le taux de croissance moyen était de l’ordre de 3,5%.[2] Par conséquent, le contrôle exercé par les opérateurs économiques nationaux sur l’économie béninoise, bien qu’elle a généré une certaine valeur ajoutée, s’est même accompagné d’une paupérisation de la majorité des béninois. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont les seuls responsables. Bien entendu, les gouvernements successifs, à travers leurs partis politiques, ont aussi leur part de responsabilité. Après tout, c’est bien la collusion entre milieux d’affaires et partis politique qui a conduit à cette catastrophe sociale.

La démonstration pourrait s’arrêter là puisque le béninois moyen ne peut plus espérer pire. Mais ce serait omettre l’effet bénéfique que pourrait exercer une concurrence « étrangère » sur l’innovation de la part des investisseurs traditionnels béninois. En effet, non seulement les investissements étrangers et de la diaspora, de par leur capacité de financement, peuvent toucher de larges pans de l’économie béninoise, générant ainsi de la croissance et éventuellement de la réduction de la pauvreté, mais également, ils sont susceptibles d’inciter les entrepreneurs traditionnels à investir dans de nouveaux secteurs plus innovants comme le numérique, les énergies renouvelables et la santé, ou à améliorer leur processus de production. Jusqu’à présent, la plupart se focalisent sur les secteurs traditionnels tels que l’agro-alimentaire, l'importation de véhicules d’occasion et les exportations de matières premières agricoles telles que le coton.

Le problème de l’électeur béninois

Loin des considérations personnelles sur les connaissances anthropologiques de tel ou tel candidat, il semble donc bien que ce qui importe dans cette élection présidentielle soit la capacité de chacune des parties à générer de la croissance et à en distribuer une partie aux populations sous forme d’emplois décents ou de programmes sociaux. Une éventuelle victoire de Lionel Zinsou peut garantir une forte croissance mais pas nécessairement une plus grande part redistribuée aux populations. Tout dépendra de ses choix de politiques de développement. En cas d’une victoire de l’un des hommes d’affaires béninois, il semble que la croissance économique ne serait pas supérieure à la moyenne enregistrée au cours des 25 dernières années pour la simple raison qu’on se retrouverait dans un statu quo. Cependant, il est plus probable que ces derniers réallouent une plus grande part de la valeur ajoutée aux populations, même indépendamment de leurs politiques économiques, ne serait-ce qu’en guise de reconnaissance vis-à-vis des populations qui leur auraient permis d’éviter la faillite de leurs entreprises.

A long terme, il faudra envisager une séparation stricte entre les partis politiques et les milieux d’affaires. Cela passe par le financement public des partis politiques reconnus par l’Etat, couplée à une régulation indépendante de la concurrence, source d’innovation et de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Dans un tel contexte, les entrepreneurs locaux n’auront pas besoin d’être confrontés à une concurrence étrangère pour innover et proposer leurs produits et services à un prix qui laisse davantage de pouvoir d’achat aux populations. C’est aussi dans ce contexte que seules les propositions de politiques publiques des candidats à l’élection présidentielle compteront, et non leurs capacités à créer de la croissance, un rôle qui incombe plutôt au secteur privé.

 

[1] Le premier tour de l’élection est prévu pour le 28 février 2016.

[2] Conversion de 1,9 $ PPP 2011 en FCFA sur la base de 220,02 FCFA pour 1$ PPP 2011. Ces observations ont également été relevé par le dernier rapport conjoint Gouvernement Béninois – Banque Mondiale sur la pauvreté au Bénin publié en 2014.