Perte de compétitivité dans l’UEMOA : faut-il continuer de remettre en cause le franc CFA ?

Deux zones monétaires très différentes, mais toujours liées par la même la monnaie  

L’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine), la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) et l’Union des Comores sont trois zones franc issues de la colonisation qui ont la même devise en commun (quoiqu’elle n’est pas interchangeable), le franc CFA. Cette monnaie a évolué dans un régime de parité  fixe avec le Franc français de 1959 (1981 pour les Comores) à 1999 avant d’être ancrée à l’Euro.

Cette parité fixe visait à assurer la stabilité macroéconomique, réduire les risques de crise du taux de change, importer la crédibilité de la politique et promouvoir le commerce intra-zone. Elle a été jugée adéquate étant donné que la zone euro est le principal partenaire commercial. Néanmoins, les deux zones monétaires ne sont pas seulement sous-optimales au regard des critères de Mundell mais elles sont aussi très différentes les unes des autres, vu que la zone euro est composée de pays industrialisés et le Franc CFA est utilisé dans les économies à faible revenu. Ceci induit potentiellement une incompatibilité des politiques monétaires et donc une politique inadéquate dans la zone franc. Le taux d'inflation cible dans la zone euro est de 2 %, ce qui est acceptable pour un groupe de pays industrialisés mais moins souhaitable pour la zone franc dont le taux d'inflation cible de 3 %. Cela est coûteux en termes de croissance. Des études ont clairement montré que le taux d’inflation dans les pays en développement, entre 7% et 11%, stimule la production. Les pays développés ont, quant à eux, ont un taux d’inflation de 2% à 3%. Toutefois, le principal objectif des banques centrales des trois zones Franc est de lutter contre l'inflation avec des outils adaptés dans une zone où les facteurs réels dominants sont: les aléas climatiques impactant les pays encore très tributaires de l'agriculture, l’augmentation de prix de l'énergie (notamment le pétrole) et l'inflation importée de la zone euro. Malgré ces facteurs, ils maintiennent l'objectif de 3% tout en essayant de soutenir l'activité économique locale.

L'explication immédiate de la surévaluation de la monnaie

Un défi commun à toutes les zones monétaires est la convergence de ses économies. Dans la zone euro, cette convergence est encore un processus lent et continu marqué par la compétitivité divergente, les tendances du marché du travail et les balances commerciales extérieurs [i]. Dans la zone franc, quelques groupes de pays émergent. Les économies de la CEMAC connaissent des excédents commerciaux grâce aux exportations de pétrole. Cette similitude des structures de production permet une convergence du commerce extérieur de membres de la CEMAC, mesurée par l'écart-type de leurs comptes courants pondérés par leur PIB réel. [ii]Dans l'UEMOA, la Côte d'Ivoire (la plus grande économie) affiche un important excédent commercial tandis que d'autres pays connaissent des déficits, comme le Sénégal qui est souvent considéré comme une autre puissance économique de l'UEMOA.

Les critiques faites estiment que le niveau élevé de l'euro par rapport au dollar américain est responsable de la surévaluation du franc CFA, ce qui pénalise la compétitivité en matière d’exportations de la zone. La question est de savoir si cette perte de compétitivité est tout simplement due à la valeur du Franc CFA ou si d'autres facteurs responsables peuvent être identifiés.

Des économies peu diversifiées et très exposées à la concurrence internationale

La compétitivité globale de l'UEMOA, mesurée par le taux de change effectif réel, s’est détériorée de 2002 à 2011 d'environ 5 % selon la BCEAO. En 2012, elle s’est améliorée avec une baisse de 3% du taux de change effectif réel et une inflation plus faible que ses partenaires. Les pays de l'UEMOA sont principalement exportateurs de matières premières. Entre 2000 et 2004, le pétrole, le coton, le cacao, l'or et les métaux précieux ont représenté 50% des exportations et 60% de 2005 à 2011. En 2012, ces pays ont enregistré une augmentation du taux d'exportation grâce au dynamisme des industries extractives, à l'exception du Sénégal et de la Guinée-Bissau qui ont  perdu respectivement 0,2% et 1,4% en 2012 par rapport à 2011. La zone dans son ensemble a atteint 2,1% de croissance sur la de 2002 à 2011 et une croissance supplémentaire de 1,1% en 2012. D'autre part, le taux de pénétration des entreprises étrangères a progressé de 1,2% entre 2001 et 2011 et de 3,8% de 2011 à 2012 ; ce qui s’est traduit par une diminution de la part de marché des entreprises nationales et donc une perte nette de compétitivité. A l’échelle des pays, les taux de pénétration étrangère ont augmenté de 11,3% au Burkina Faso entre 2001 à 2011, de 14,7% au Niger et de 8,7% au Togo [iii]. En outre, les importations concernent généralement les produits finis et de consommation à forte valeur ajoutée. Les déficits des pays, considérés individuellement, suggèrent que les importations sont supérieures aux gains de compétitivité.

Des coûts de production élevés et un climat d’affaires défavorable

De 2001 à 2011, l'augmentation constante des prix du pétrole à l’échelle mondiale a fortement défavorisé les producteurs locaux. Cela a provoqué une augmentation généralisée des prix des produits pétroliers au sein de l'UEMOA et donc une croissance cumulée du prix de l'énergie de 33,4% en Côte d'Ivoire et de 91,5% au Sénégal sur la même période. Les prix les plus faibles ont été relevés au Bénin. La différence de prix entre les pays est  principalement due  aux niveaux d'imposition différents. L'électricité et les coûts de transport ont également augmenté. Le mazout, utilisé comme produit intermédiaire dans la production d'électricité thermique, a conduit à une augmentation moyenne approximative du coût de l'électricité de 100 FCFA.

Les coûts de main d’œuvre et de financement ont aussi beaucoup augmenté, sauf en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les salaires interprofessionnels minimum ont atteint 26,5% au Bénin, 50% au Niger et même 103,5 % au Niger. Les coûts de production élevés ont fortement dégradé la compétitivité des entreprises locales.

Le climat des affaires devient défavorable à ces coûts plus élevés. Le classement « Doing Business »  de la Banque mondiale sur l’année 2014, qui se fonde sur la facilité de la pratique d’affaires dans un pays, a émis un jugement sévère à l’égard de l'UEMOA et la zone franc en général. Parmi ces pays, le Burkina Faso est classé à la 154è place, juste avant Mali (155è) et le Togo (157è). La Côte d'Ivoire, le champion régional d'exportation, n’occupe que la 167è place et le Sénégal la 178è. La République Centrafricaine et le Tchad viennent en dernier, respectivement 188è et 189è.

Quelles politiques pour l'avenir? La rigueur budgétaire, la diversification économique et … le fédéralisme?

La compétitivité pourrait être rétablie par des mesures de restriction budgétaire visant à minimiser les situations de double déficit dans le long terme. Cela peut être difficile à  concilier avec les impératifs de développement économique et peut générer un coût pour le transport ainsi que l'investissement privé dans les pays qui ont financé les ajustements structurels dans le passé. Plus de réformes au niveau régional seront nécessaires pour assurer la convergence des économies. Comme mentionné précédemment, à l’image de la zone euro, l'UEMOA est loin d'être une zone monétaire optimale en raison de son exposition aux chocs idiosyncrasiques et la faible mobilité du capital et du travail. La BCEAO a certes décidé de réduire les coûts de transaction bancaire dans toute la zone mais le fédéralisme n’est certainement pas entamé. L'UEMOA a entrepris un certain nombre d'initiatives en faveur d'une plus grande intégration du marché du travail, des produits agricoles et manufacturés, de l'énergie et des produits pétroliers, mais au final, les décisions sont toujours prises au niveau national perpétuant ainsi une segmentation intra-zone qui limite la compétitivité des entreprises locales et retarde la convergence des pays. Toutefois, le démantèlement des barrières commerciales, en particulier non-tarifaires, permettrait d'améliorer l'efficacité des investissements ainsi que la circulation des talents, des connaissances et des biens. Cette intégration, associée à des efforts pour l’élargissement de  la base d'imposition (la recommandation du FMI pour l'UE s’applique également à l'UEMOA), pourrait fournir aux institutions politiques et économiques locales davantage de moyens pour, enfin, stimuler l'émergence d'un milieu industriel commun réel et diversifier leurs économies afin d'améliorer la résistance aux chocs idiosyncrasiques. Cela semble d'autant plus souhaitable que l'ouverture des économies locales affaiblit les entreprises locales très exposées à la concurrence internationale. Mais il manque encore les capacités nécessaires pour produire des biens d'équipement. Enfin, même si l'ancrage fixe à l'euro reste un facteur important de la stabilité et de la crédibilité étant donné les faiblesses des économies africaines et leurs liens étroits avec  la zone euro, la question de l'abandon de ce régime monétaire peut être soulevée plus sérieusement  dans l'avenir proche, en particulier dans l’optique d'accroître les relations commerciales avec l'Asie et la Chine en particulier.

Traduit par Koriangbè Camara

[i] (OCDE, estimations Coe-Rexecode, D. Ordonez, 2013)

[ii] Lessoua, Albert & Sokic, Alexandre, “Union monétaire et compétitivité comparée : les cas de la zone euro et de la zone CFA”, Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, 2012

[iii] Rapport sur la compétitivité des économies de l’UEMOA en 2001-2011 et 2012