Les oubliés de l’éducation nationale : regard sur les difficultés des populations rurales africaines

7128372335_852fe84b86_z

Sortie de classe d'enfants touaregs : Crédit Photo A Tambo

Murs délabrés, sanitaires en piètre état, pas d’eau potable, manque de bancs, insuffisance de matériel pédagogique, et parfois même un manque d’enseignants qualifiés. C’est le quotidien de nombreuses écoles publiques dans les zones rurales africaines.

Ebénezer, 10 ans, élève dans une école primaire en zone rurale dans un pays d’Afrique Centrale, parcourt tous les matins pas moins de 5 Km pour se rendre dans une école comme celle-là afin de recevoir l’instruction qui lui permettra peut-être de prétendre un jour à un niveau de vie meilleur que celui de ses parents, cultivateurs de manioc et de bananes plantains. Mais comment une telle école pourrait-elle réellement l’aider à relever ce défi ?

La qualité de l’éducation dans les zones rurales n’a jamais pas été étincelante. Ce qui montre qu’elle n’a jamais réellement été au cœur des préoccupations des pays africains. Beaucoup de gouvernements font preuve d’un manque criant de volonté politique en la matière. Par conséquent, les moyens mis en œuvre pour répondre aux besoins de ces populations rurales sont dérisoires. Ainsi de nombreux enfants n’ont pas accès au système éducatif traditionnel. C’est dire à quel point les gouvernements n’ont pas encore véritablement compris combien la formation des populations rurales était importante dans le développement d’un pays.

 

Les challenges des populations rurales

En dépit des différences culturelles qui peuvent exister entre les différentes régions africaines, les zones rurales peu développées ont toutes en commun un certain nombre de traits caractéristiques.

Un des premiers traits qui saute aux yeux de quiconque parcourt un village, c’est la pauvreté.

Les populations rurales disposent souvent de faibles revenus, ce qui ne leur permet pas d’avoir un niveau de vie élevé. Par ailleurs, elles ont peu ou pas d’accès aux services publics (eau, électricité, hôpitaux, écoles, etc) et disposent de très peu d’activités récréatives et autres distractions qui pourraient les faire oublier leur quotidien difficile.

La deuxième caractéristique des populations rurales est le faible niveau d’éducation. La plupart des hommes adultes ont un niveau d’études compris entre le primaire et le secondaire. Ces hommes ont souvent été contraints d’abandonner leurs études, soit par manque de moyens ou par simple nécessité, pour travailler et prendre soin de leurs familles. Quant aux femmes, nombreuses d’entre elles sont souvent illettrées car contraintes de rester à la maison pour aider dans les tâches ménagères, quand elles ne sont pas mariées à leur jeune âge. . .

Le troisième trait caractéristique des populations rurales est la faible ouverture au monde extérieur. Ce manque d’ouverture et d’exposition au monde extérieur est dû en grande partie au fait que ces populations, très souvent ne sont pas équipés de téléviseurs, ou d’ordinateurs avec un accès à  Internet. Ce qui limite leur accès à l’information sur ce qui se passe sous d’autres cieux. Par ailleurs, très peu de villageois ont eu l’occasion de se rendre en ville. Ce qui constitue un facteur limitant dans le processus de projection vers un avenir meilleur. Comment se projeter vers "le mieux" si on n’a pas d’étalon de comparaison à confronter à notre réalité quotidienne ?

Un dernier trait caractéristique, mais beaucoup moins visible : la vie rurale impose naturellement des limites à l’ambition personnelle. La pensée silencieuse sous-jacente serait la suivante : "nous sommes nés dans la pauvreté, c’est notre destin". Par conséquent, toute personne voulant sortir du cadre via par exemple l’exode rural, est souvent très vite rappelée à l’ordre par les gardiens de la pensée limitante, à coup de paroles décourageantes et de remarques moralisatrices.

Le contexte dans lequel évoluent les populations rurales est naturellement contraignant et offre peu d’opportunités favorables aux enfants en matière de scolarisation. En effet, le manque d’instruction même des parents peut constituer un frein à la scolarisation de leurs enfants.

Au-delà des difficultés propres aux populations des zones rurales, nous voulons ici mettre en évidence les problématiques auxquelles elles font face directement en matière d’accès au système éducatif.

3348414988_72ce41455d_b-2

crédit photo – Sébastien Rigaud / Enfants Massaï (Tanzanie)

Problématiques de l’éducation en zone rurale

Trois problématiques majeures expliquent l’accès limité au système éducatif dans les zones rurales. Tout en tout premier lieu, il convient de souligner les faibles investissements dans le système éducatif. Ils sont simplement le résultat de financements insuffisants accordés par les gouvernements pour les zones rurales. En effet, face aux responsables et décideurs politiques, les villageois ont peu de poids et ont rarement gain de cause sur les arbitrages faits en matière d’attribution des ressources.

La deuxième problématique, conséquence de la première est l’insuffisance des infrastructures et des équipements. Elle se manifeste par un manque chronique de moyens matériels et humains. Ce qui entraîne incontestablement des conditions d’enseignement et d’apprentissage souvent déplorables et peu propices à l’épanouissement et à la réussite des élèves.

Enfin, on peut souligner l’inadéquation entre les programmes scolaires et les besoins ruraux. De nombreuses zones rurales tirent leurs revenus de l’agriculture, de l’élevage ou encore de la pêche. Comment peut-on expliquer qu’il n’existe pas de formation autour de la gestion d’exploitations agricoles dans ces régions ? Ce type de formations serait plus adaptée aux besoins des villageois et répondraient mieux à leurs préoccupations quotidiennes.

Face à ces problématiques, quelles alternatives peuvent être étudiées pour juguler ce phénomène d’accès limité au système d’éducation ?

De nombreux auteurs ayant mené des recherches sur les systèmes éducatifs (Graham-Brown, 1991; Ravi and Rao, 1994; Lubben et al. 1995; Bude, 2000) mettent en évidence le fait que la définition de programmes éducatifs devrait se baser prioritairement sur le contexte immédiat dans lequel évolue les populations concernées. C’est ce qui permet de définir et de mettre en œuvre des stratégies éducatives pertinentes. Ainsi, le programme scolaire dans un pays donné pourrait avoir des variantes selon les spécificités propres à chacune des régions et les moyens sur lesquels se base leur économie. Par ailleurs, Taylor & Mulhall (1997) soulignent que l’apprentissage est souvent très influencé par les relations entre les trois environnements suivants : la famille, l’école et la communauté. Par conséquent, pour réussir la définition et l’implémentation de systèmes éducatifs dans les zones rurales, il est plus que jamais temps de prendre en compte les réalités et les besoins locaux, d’impliquer les familles et la communauté dans un sens plus large. Le projet Childscope lancé en 1994 dans le district des Plaines d’Afram au Ghana est un exemple concret dont on pourrait s’inspirer pour améliorer l’accès à l’éducation dans les zones rurales.

Henri M. Missola