Y aura-t-il un Facebook africain ?

Le continent africain est souvent cité en exemple pour illustrer la fracture numérique à l’échelle globale, comme l’ont mentionné Jacques Leroueil et Philippe Jean dans la série d’articles  Internet en Afrique : état des lieux. Pourtant, sur les 119 millions d’internautes africains recensés, 32 millions d’entre eux ont un compte Facebook (source : Socialbakers.com). Plus d’un quart des Africains utilisant Internet régulièrement sont donc connectés au réseau social le plus populaire au monde, qui compte plus de 725 millions d’utilisateurs à l’échelle de la planète.

Au-delà des chiffres, divers facteurs expliquent cette success story de Facebook sur le continent africain. Le faible taux de pénétration d’Internet conjugué à l’essor de la téléphonie mobile a sensiblement contribué à l’utilisation des téléphones portables pour se connecter aux réseaux sociaux à un coût raisonnable. Il est également aisé de garder contact avec les amis partis étudier ou travailler à l’étranger, une observation empirique permettant de constater que la plupart des utilisateurs africains affichent plusieurs centaines de contacts sur Facebook, dépassant ainsi de loin les 120 amis de l’utilisateur moyen de ce réseau. Facebook a lui-même su s’adapter à l’utilisateur africain en proposant une navigation en plusieurs langues locales, parmi lesquelles l’arabe, l’afrikaans et le swahili.  Avec 8 millions d’utilisateurs, l’Egypte est le pays qui recense le plus d’adeptes sur le continent, suivi par l’Afrique du Sud, le Maroc et le Nigéria. Le taux de croissance des utilisateurs demeure élevé, allant jusqu’à 120% par mois en République démocratique du Congo.

On peut alors s’interroger sur l’absence de l’équivalent africain de Facebook, alors que la plupart des pays émergents ont le leur, comme Orkut au Brésil ou Renren en Chine. L’internaute africain refuserait-il de se cloîtrer dans un réseau local ostracisant, ou est-il encore à la recherche du réseau social africain qui lui ressemble ?

Il existe pourtant déjà plusieurs réseaux sociaux africains, qui connaissent un franc succès. Les plus connus sont Afrigator, Zoopy et Ushahidi. Les deux premiers réseaux cités sont sud-africains, et ont été lancés en 2007. Leur positionnement diffère cependant. Afrigator est à la fois un réseau social et un agrégateur de blogs,tandis que Zoopy propose essentiellement des vidéos courtes d’actualité, que les utilisateurs peuvent commenter et partager. Ushahidi est quant à lui sur un segment bien différent : créé après les élections au Kenya en 2008, il permet aux utilisateurs de signaler les incidents violents qui ont lieu à travers le pays par le biais de leur téléphone portable, réalisant ainsi un mapping de la crise politique qui sévit dans le pays. Ce concept de cartographie sociale s’est par la suite exporté dans d’autres pays africains, tel que le Zimbabwe, la Côte d’Ivoire (Wonzomai) ou encore l’Egypte (Zabatak).

Ces trois réseaux sociaux se caractérisent donc par des modalités d’utilisation différentes, et fragmentent ainsi le modèle du réseau social en une multitude de circuits parallèles, à l’inverse même du facteur clé de succès de Facebook, à savoir rendre l’utilisateur captif et dépendant du réseau, que ce soit pour s’informer, suivre les faits et gestes de ses amis, et activer ses contacts professionnels. C’est donc l’absence d’un réseau social multi-fonctions à l’échelle du continent qui a poussé deux étudiants africains à lancer en février dernier Farafyn, réseau social se revendiquant « purement africain » et disponible dans les langues locales les plus courantes. Même s’il est encore tôt pour se prononcer sur le réussite à long terme de ce concept, le site connaît pour l’instant un succès relatif, avec tout au plus quelques centaines d’utilisateurs, la plupart sénégalais et ivoiriens.

La croissance exponentielle de Facebook en Afrique semble donc traduire une forte volonté d’adhésion à un réseau globalisant, loin des revendications d’appartenance à des réseaux locaux. Les dirigeants africains ont d’ailleurs rapidement compris le poids de Facebook dans les débats politiques locaux : rares sont les chefs d’Etat à ne pas posséder au moins une fan page officielle.

Leïla Morghad