Il a été observé que les pays dotés de ressources naturelles sont les plus pauvres, les moins industrialisés et les plus politiquement instables. Les résultats de recherches pointent du doigt l’absence de bonne gouvernance comme la principale cause de cette « malédiction des ressources naturelles ».[1] Alors que ce phénomène a été largement examiné à l’échelle des pays, il semble qu’un phénomène similaire, peut être plus significatif, se déroule à l’échelle des localités de plusieurs pays et peut contribuer à un niveau élevé de pauvreté à l’échelle nationale. Il s’agit d’un paradoxe sur le lien entre la fertilité du sol d’une localité et la proportion de pauvres qui y vivent. C’est ce paradoxe que met en évidence et explique une récente étude du professeur Léonard Wantchékon.[2]
En effet, à partir de données collectées à l’échelle infranationale dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Ghana, Mali, Burkina-Faso et Sénégal), cette étude montre qu’il existe une corrélation positive entre incidence de la pauvreté et qualité du sol. Autrement dit, ce sont dans les localités où la qualité du sol est très bonne que l’on retrouve les plus fortes proportions de pauvres.[3] Cette relation n’est pas spécifique à un pays dans la mesure où elle est confirmée pour l’ensemble des cinq pays étudiés. Pourtant, l’on s’attendrait plutôt à observer une plus faible proportion de pauvres dans les localités où la qualité du sol est meilleure, toute chose égale par ailleurs.
Pour expliquer ce paradoxe, le professeur montre que ce sont aussi les localités où la qualité du sol est meilleure qui sont moins desservies par les infrastructures de transport dont les pistes rurales. Ce manque d’infrastructures de transport ne favorise pas la mise en valeur de leurs potentialités agricoles. En dépit d’une meilleure qualité de sol, l’absence de pistes rurales empêche les populations d’écouler leurs productions agricoles vers les marchés. A termes, cela décourage l’intensification de la production laissant place à une agriculture de subsistance. En l’absence des machines agricoles nécessaires à l’intensification agricole, l’exode des jeunes vers la ville vient entraîner la chute du rendement des terres agricoles.
Cette relation négative entre infrastructures rurales et qualité du sol trouve son explication dans la marginalisation politique des populations rurales de façon générale et en particulier de celles qui vivent dans des localités où la qualité du sol est très bonne. C’est ce que montre l’étude de Blimpo et al. (2013) selon laquelle, les localités où vivent les populations les plus marginalisées politiquement bénéficient de peu d’infrastructures routières.
La raison en est que face à des ressources financières limitées, le politicien cherche à maximiser le gain électoral de ses décisions en construisant des infrastructures routières dans les zones où la population est plus consciente de ses droits politiques. Ainsi, le faible niveau d’éducation des populations dans les localités où la qualité du sol est très bonne est à l’origine de leur marginalisation politique. Ce qui conduit donc le politicien à privilégier la construction d’infrastructures dans les localités où les populations sont plus conscientes de leurs droits politiques. Or ce sont justement dans les localités ayant une bonne qualité de sol que les niveaux d’éducation sont les plus bas.
Par conséquent, un moyen efficace de réduire la pauvreté en milieu rural consisterait à accroître l’offre d’éducation de qualité dans les localités où la qualité du sol est meilleure. Cela leur permettrait de réclamer davantage de biens publics, dont les infrastructures de transport, nécessaire à l’amélioration de leurs conditions de vie. Une telle appropriation des droits politiques par les populations de ces localités imposerait davantage de contraintes aux politiciens dans leur décision d’allocation des infrastructures routières dans les zones rurales. La construction des pistes de desserte rurales augmentera les débouchés aux produits agricoles issus de ces localités et par ricochet le niveau de vie des populations qui y vivent. Dans la mesure où ce sont les zones rurales qui abritent le plus grand nombre de pauvres dans la plupart des pays Africains, de telles mesures de politiques publiques pourraient avoir un impact significatif sur la réduction de la pauvreté à l’échelle nationale.[4]
Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’augmenter l’offre d’infrastructures pour réduire la pauvreté ; mais le ciblage des zones bénéficiaires de ces infrastructures importe beaucoup. Dans le cas des pays étudiés, ce sont notamment les localités où la qualité du sol est très bonne qu’il faut cibler. Mais sachant que le politicien n’a aucun intérêt à investir dans ces zones, il faut veiller à accroître l’offre d’éducation de qualité précisément dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cela devrait à termes contraindre le politicien à construire des infrastructures routières dans ces localités, leur permettant ainsi de mettre en valeur leurs potentialités agricoles.
Les résultats utilisés dans cet article ont permis d’identifier l’éducation comme source du paradoxe entre qualité du sol et pauvreté en Afrique. Cette « malédiction des terres fertiles » n’est pas une fatalité dans la mesure où elle s’explique par la marginalisation politique et le manque d’infrastructures de transport dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cependant, la validité du lien entre marginalisation politique et pauvreté reste à confirmer par davantage d’études similaires, car le sens de la causalité allant de la qualité du sol à la pauvreté, en dépit de sa logique, n’est pas rigoureusement établie. Si cette chaîne de causalité était vraie, il serait intéressant de savoir si la même problématique se pose aux autres types d’infrastructures telles que l’énergie, l’eau et l’assainissement.
Georges Vivien Houngbonon
Références :
Wantchékon L., Soil quality, infrastructures and poverty in Africa, presentation à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique, Paris, 23 juin 2014.
Frankel J. 2010. The Natural Ressource Curse : A Survey. NBER Working Paper No. 15836
Moussa P. Blimpo & Robin Harding & Leonard Wantchekon, 2013. "Public Investment in Rural Infrastructure: Some Political Economy Considerations," Journal of African Economies, Centre for the Study of African Economies (CSAE), vol. 22(suppl_2), pages -ii83, August.
[1] Voir la revue de la littérature proposée par Jeffrey Frankel.
[2] Les résultats de cette étude ont été présentés par le professeur à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris, le 23 juin 2014. L’auteur parle plus précisément de la qualité du sol.
[3] La qualité du sol est mesurée par l’indice proposé par la FAO.
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