Zulfat Mukarubega se bat depuis 30 ans pour s'imposer dans le monde des affaires au Rwanda, chasse gardée des hommes, surtout lorsqu'il s'agit de grands projets. Aujourd'hui elle est propriétaire d'une école supérieure de tourisme qui accueille 2600 élèves… Elle encourage les femmes à avoir confiance en elles pour réussir.
Syfia Grands Lacs : En 2007, vous avez créé une école supérieure du Tourisme. D'où vous est venue cette idée ?
Zulfat Mukarubega : Je faisais du commerce, ce qui me permettait d’aller à l’étranger pour importer des produits que je vendais localement. Lors de mes nombreux voyages, j’ai constaté que les services qu’on me donnait à l’hôtel ou dans les agences de voyages étaient de bien meilleure qualité que ceux donnés dans mon pays. J’ai vite constaté que le personnel des hôtels et restaurants au Rwanda n’était pas suffisamment formé. J'ai eu l’idée de lancer cette école, car j’ai été impressionnée par l’accueil, la courtoisie et la rapidité des services que je recevais ailleurs.
SGL : Ces constats sur ce qui se faisait à l’étranger ont-ils été votre seule motivation ?
Z M : Non, moi-même j’ai débuté dans le commerce par une caféteria qui m’a permis d’avancer jusqu’à avoir un restaurant. Celui-ci a donné naissance à un magasin et à une école technique automobile. De là j’ai eu l’idée de faire le commerce en important des habits, des chaussures et des meubles. Si mon business a évolué, c’est grâce à l’accueil que je réservais à mes clients. Car plus je voyageais, plus j’imitais ce que je voyais ailleurs dans la qualité de prestation des services. Ainsi mon expérience professionnelle et celle de mes nombreux voyages à l’étranger ont été mes motivations, plus l’esprit d’entreprenariat qui est en moi, car depuis le jeune âge j’ai appris à me débrouiller sans trop compter sur les gens.
SGL : Démarrer ce grand projet d'école a-t-il été facile pour vous ?
Z M : Non, quand j’ai fait part de cette idée, tout le monde me décourageait. Certains me disaient que les femmes ont des rêves difficilement réalisables. D'autres que même l’État qui a les moyens n’a pas encore ouvert une telle école. Comment quelqu'un, en plus une femme, peut-il réussir un tel projet ? D’autres assuraient que je n’aurai pas d’étudiants car personne ne sera intéressé à étudier la cuisine ou le ménage. Je passais mon temps à expliquer qu’à l’étranger la gestion d’un hôtel s’apprend et que le personnel est formé, ce qui explique leurs services de qualité, mais en vain. J’ai commencé avec seulement cinq étudiants en 2007. Les gens se sont de plus en et plus rendus compte de la nécessité d’améliorer les services. Actuellement j’ai 2600 étudiants !
SGL : Comment avez-vous trouvé les moyens de monter cette école ?
ZM : Ce n’était pas facile. J’ai demandé des conseils aux écoles similaires du Kenya, des Iles Maurice et de l’Égypte et ils m’ont aidé à faire les curriculums. Certains ont accepté d’être partenaires dans mon projet en me fournissant des professeurs. Et puis, lors de mes voyages, j’achetais les équipements petit à petit et je les stockais. Et puis j’ai aussi collaboré avec les banques même si ce n’était pas facile au départ.
SGL : Dans vos activités, avez-vous rencontré des difficultés liées à votre statut de femme ?
ZM : La grosse difficulté est de faire un grand projet quand on est une femme. Même les banques ont moins confiance dans les grands projets initiés par les femmes que dans ceux lancés par les hommes. Les banquiers réfléchissent mille fois avant de financer le projet d’une femme. Cela m’est arrivé quand je demandais un crédit pour acheter les équipements de l’école : certains banquiers me demandaient d’abandonner mon projet, car ils estimaient qu’il était trop grand pour moi alors que, s’il avait été présenté par un homme, il aurait été financé rapidement. J’ai dû me battre pour le faire accepter, cela a pris du temps. Certains me disaient que la femme doit investir dans le petit commerce, mais pas dans de grosses affaires. Et jusqu’à présent cette mentalité n’a pas changé, car d’autres collègues me disent qu’elles rencontrent le même blocage, c’est vraiment décourageant.
SGL : Quel message donneriez-vous aux femmes qui ont peur de se lancer dans les affaires ?
ZM : J’encourage les femmes à commencer petit à petit et à éviter de faire le business pour imiter les autres, mais plutôt à faire quelque chose d’original. Avant de se lancer les femmes doivent identifier leurs centres d’intérêt pour faire quelque chose qui leur tient à cœur et qu’elles aiment. J’ajouterai aussi qu'elles doivent se dire qu’elles vont réussir et éviter de se mettre dans la tête qu’elles échoueront. Elles doivent être confiantes et tenaces, car les obstacles sont là. Je dirai aussi qu'elles ne peuvent pas avancer sans collaborer avec les banques. Elles doivent avoir le courage de demander des crédits, de les utiliser comme il faut et de bien les rembourser. Pour terminer, je dirai que la réussite des affaires dépend de la qualité des services donnés aux clients et de l’honnêteté comme de toujours dire la vérité aux clients et de respecter les engagements donnés.
Interview réalisée par Solange Ayanone, pour notre partenaire Syfia Grands Lacs
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