Un siècle après l’accession à l’indépendance de la majorité des pays africains, quel sera le bilan économique de l’Afrique? C’est en grande partie, du chemin de croissance que prendra le continent africain pendant les 50 années à venir, dont il est question.
Une récente étude faite par la banque Africaine de Développement (BAD) a tenté de répondre à la question à travers deux scénarios . Dans le scénario le plus positif où la croissance suivrait à peu près le chemin qui a été le sien lors de la dernière décennie, le PIB de l’Afrique passerait à 15 000 milliards de dollars en 2060 contre 1700 milliards aujourd’hui. Ce serait un énorme bond pour l’économie africaine. Ce chiffre qui correspondrait à plus de 5700$ par tête (contre 1667$ en 2010) serait cependant bien en deçà de l’actuel PIB par habitant de la Corée du Sud qui est de 17000$. Selon un scénario moins optimiste, la croissance s’accélérerait jusqu’en 2020 avant de faiblir et de se stabiliser autour de 5%. Ce scénario aboutit à un PIB par habitant d’environ 5 000$ en 2060. La moyenne de ces projections est représentée ci-dessous.
Il est certain que la croissance ne peut se confondre au développement et encore moins au bien-être. Mais, elle y contribue et dans l’état actuel de l’Afrique, elle est nécessaire. De ce point de vue, il y a indéniablement une nouvelle dynamique en Afrique depuis le début du siècle. Le continent qui avait une croissance nulle ou même négative dans certaines de ses parties autour des années 80 est passé depuis la dernière décennie à un tout autre régime affichant une croissance moyenne d’environ 5%. Les scénarios de projection de cette croissance sont sans aucun doute incertains. Ils n’ont pour seule valeur que de donner des ordres de grandeur de ce que pourrait devenir le continent à moyen terme.
Ces projections se basent néanmoins sur les atouts et les défis du continent et il est évident que c’est de la façon dont ils seront gérés que découleront les résultats économiques de l’Afrique. Au-delà de ses ressources naturelles, l’un des principaux atouts du continent est sa jeune population, la plus jeune du monde. Avec une population active projetée à 74% en 2060 soit plus de 2 milliards de personnes, l’Afrique aura les moyens de détrôner la Chine alors vieillissante pour devenir l’atelier du monde. Mais pour ce faire, elle doit poursuivre ses efforts en matière d’éducation, d’enseignement professionnel et de santé afin de réaliser l’énorme potentiel que lui confère ce capital humain.
L’une des mutations importantes que connait le continent et qui n’aura de cesse de s’amplifier est l’urbanisation. La proportion des citadins africains passera, selon les chiffres de la BAD, de 40% en 2010 à 65% en 2060, sachant que la population africaine fera plus que doubler dans les 50 années à venir. Les afro-pessimistes y verront un énorme problème et les afro-optimistes une réelle opportunité. Il est clair que partout dans le monde l’urbanisation s’est accompagnée de progrès économiques importants. Elle est associée à une économie plus productive et plus diversifiée éloignée du seul souci de la subsistance. En même temps, elle pose le défi de la gestion de la croissance importante de la population urbaine, de l’emploi de cette population. Ce défi n’est rien d’autre que celui des infrastructures (transports, télécommunications, énergie, eau) et des institutions qui permettront de mettre en place un meilleur environnement des affaires afin de booster le secteur privé, le commerce international et l’intégration régionale. C’est à cette condition que cette importante population active et urbaine sera un réel atout dans la croissance et le développement du continent au lieu d’un poids.
L’Afrique est un continent bien divers dont les sous-régions, les pays et les différentes couches sociales connaissent des réalités variées. La croissance projetée n’est pas la même dans les différentes sous-régions du continent. S’il est probable, selon l’étude, que l’Afrique de l’Est qui part de très bas ait la croissance la plus forte (9,3% en 2030), l’Afrique du Nord restera la région la plus riche.
Pour éradiquer la grande pauvreté en Afrique, plusieurs études s’accordent sur la nécessité d’une croissance moyenne de 7% par an. Les projections réalisées sont inférieures à ce chiffre. Mais, il est important de remarquer la croissance de la classe dite moyenne d’environ 360 millions aujourd’hui qui passera à 1,1 milliard en 2060, de même que le recul de l’extrême pauvreté mesurée de façon absolue (les personnes vivant avec moins de 1,25$ par jour). L’essor de la classe moyenne sera sans aucun doute l’une des clés de la croissance du continent. Elle y contribuera doublement : économiquement à travers le capital humain qu’elle représente et le dynamisme du secteur privé qui lui sera dû et politiquement, en exigeant du gouvernement, de façon toujours plus marquée, une meilleure gestion et des comptes.
La décennie écoulée témoigne d'un fait nouveau et positif en Afrique. La croissance est là et tous les indicateurs du développement (espérance de vie, éducation, mortalité infantile, niveau de conflictualité) affichent des améliorations. La façon dont l’Afrique a résisté à la crise économique et financière mondiale montre à quel point ces éléments positifs reposent sur des fondamentaux macroéconomiques. Cette nouvelle tendance n’a pas de raison de s’arrêter, elle peut même s’accélérer si l’Afrique prend la mesure des défis qui lui sont posés et des opportunités qu’ils recèlent.
Tite Yokossi
Crédit photo: opale-magazine.com, BAD
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Merci pour cet exposé de l'étude de la Banque Africaine de Développement. J'ai une question concernant le tableau qui illustre l'article : s'agit-il de la croissance moyenne des différentes sous-régions dans le scénario optimiste ou pessimiste ?
Article interessant et visionnaire. Toutefois, je me demandais, dans de tels scenarii de croissance, sur quelles bases sont fondées ses prévisions(n'ayant pas lu le rapport, veuillez m'en excuser). Est ce sur une hypothèse d'un prix fixé de nos matières premières ou des perspectives au vue de l'état actuel des différents évolutions des sous régions comme il est si bien notifié?
Un autre point de vue, mais peut être décalé, est celui des flux migratoires. Même si la population en moyenne augementerait, qu'en sera t'il du vecteur immigration (pas du point de vue de mouvement des populations) qui constitue une énorme manne de financements en devises; ce qui représente un réel atout?
Merci bien
@ Lirashe: Tout à fait! Il s'agit de la moyenne des deux scénarios.
@ leomick: Les prévisions sont basées sur l'évolution récente de l'économie de chacune des sous-régions africaines. Elles sont une extrapolation de cette évolution, l'une plus optimiste que l'autre. Il s'agit aussi de l'évolution du PIB réel c'est-à-dire qu'elles ne prennent pas en compte l'inflation.
SUr les flux migratoires, l'étude ne fait pas de projection des effectifs de l'émigration des africains. Il est clair que l'intensité de ces flux dépendra non seulement de l'accueil qui leur est réservé mais également de l'état de développement et des opportunités potentielles dans les pays d'origine. C'est donc assez difficile à projeter surtout quand on sait que les politiques relatives à l'immigration sont assez instables.
Article très intéressant! Au-delà des chiffres de la croissance, je me permets de souligner que la BAD insiste de plus en plus (depuis un an) sur la croissance dite "inclusive" avec l'idée qu'afficher des taux des taux de croissance de PIB de 7 ou 10% n'a pas toujours bcp d'intérêt si cette croissance n'est pas un facteur de réduction significative de la pauvreté.
Un exemple: dans un pays majoritarement rural ave une agriculture employant une bonne partie de la population active, même si on enregistre une taux de croissance du PIB de 5%, celui-ci peut n'être porté que par un secteur des télécoms qui fait un bond de +10% et des services financiers qui font +15%. Pour autant, cette croissance du PIB n'est pas nécessairement un facteur de réduction de la pauvreté dès lors que les agriculteurs vendent leur kilo d'arachide à un prix sous évalué (disons 155 FCFA au lieu de 200 FCFA) et que souvent à cause des lenteurs dans la campagne agricole, ils sont obligés de brader leurs produits à 100 FCFA le kilo. Cela est à peu près le cas du Sénégal avec avec tout de même une croissance du PIB inférieur au 5% que j'ai cité. Je pense qu'il y aura donc de plus en plus une distinction à faire entre croissance et croissance inclusive en espérant que nos pays s'orientent de plus en plus vers la 2ème qui permet de sortir les populations africaines de la pauvreté.
Enfin, un dernier point sur la gouvernance mais que Tite a déjà laissé transparaitre: les recettes issues de la croissance du PIB doivent être gérées à bon escient (réindustrialisation de certains pays pour continuer à créer de la richesse, programmes d'investissements à moyen long termes, etc.) et ne pas se cantonner à alimenter le clientélisme politique ou la fuite des capitaux par exemple.
Tout à fait d'accord Simel, il est important de regarder la façon dont s'établit la croissance. Certains chiffres sont positifs mais superficiels et la croissance inclusive est l'idéal à rechercher.
Dans cet ordre d'idées l'article sur les inégalités de Georges Vivien est très intéressant et complète bien celui-ci.