La situation des femmes en Afrique, leur place dans la société et leur rôle dans la subsistance – et plus généralement, dans la vie économique, politique et culturelle – sont, depuis une ou deux générations au moins, en pleine mutation. Catherine Coquery-Vidrovitch signe aux Editions La Découverte une nouvelle édition, avec avant-propos et postface inédits, de sa remarquable histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe siècle, histoire parue en 1994. Titre de cette vaste fresque historique et sociale qui nous invite à faire à nouveau le point : « Les Africaines ».
Les femmes d’Afrique noire, constate l’auteure, ont eu, et continuent d’avoir, la vie dure. Certes, en un siècle à peine, leur condition a connu d’extraordinaires mutations. Reste que l’image qu’elles ont d’elles-mêmes est encore floue. Et l’image qu’en ont les Africains, qui, comme tous les hommes du monde, aiment regarder les femmes, est d’autant plus déformante qu’elle a été de longue date pervertie par d’autres regards, l’occidental en premier. La question fondamentale à laquelle tente de répondre Catherine Coquery-Vidrovitch est celle-ci : Pourquoi les Africaines n’ont pas eu le loisir, ni parfois le droit de se regarder elles-mêmes ? Ce temps qui leur est si chichement compté, qu’en ont-elles fait, qu’en font-elles encore aujourd’hui, et quelle envie ont-elles d’en faire ? A vouloir saisir l’ensemble du sous-continent, l’auteur l’admet, on s’expose aux risques d’une généralisation abusive. Mais l’étude comparative de Catherine Coquery-Vidrovitch est si riche et si subtile que les nuances de la réalité historique et sociale sont largement respectées.
Thèmes significatifs, selon Catherine Coquery-Vidrovitch, pour saisir les mutations de la condition féminine, à la campagne, à la ville, de la veille de la colonisation à nos jours : les tâches quotidiennes, l’école, les migrations du travail, les activités économiques, le mariage, le divorce et la sexualité, l’action politique, l’éveil créatif. On le comprendra aisément : il n’est pas question de résumer ici une étude de près de 400 pages. Mais il faut mentionner une particularité du livre de Catherine Coquery-Vidrovitch car elle n’est pas pour rien dans le fait que ce livre se lit avec une grande facilité. Si l’auteure articule son étude autour de thèmes majeurs, elle n’oublie jamais – contrairement à nombre de nos contemporains – que l’Afrique est grande, trop grande pour se permettre une généralisation qui ferait sens. Aussi, c’est un voyage qui nous est proposé. Avec, çà et là, des éclairages particuliers. Exemples : le combat des agricultrices Hausa ou du Transkeï ; le combat des femmes Ibo, des femmes de Lagos, ou des sud-africaines ; les marchandes ghanéennes, les Nago de Lagos, ou les Nana-Benz de Lomé ; les femmes libres des villes d’Afrique centrale ; les chanteuses maliennes qui ont marginalisé la musique des griots, ou les femmes écrivaines en Afrique tropicale, particulièrement en pays Ibo au Nigéria et dans le Sénégal côtier. Des écrivaines qui s’intéressent peu à la maternité ; elles ont abandonné l’archétype de la « mère », sinon pour en montrer le vide, à tout le moins pour refuser de le sanctifier.
En 1994, lorsque son étude est parue, Catherine Coquery-Vidrovitch envisageait l’avenir des femmes en Afrique en posant deux questions : les femmes sont-elles sur la voie de l’émancipation ? Que dire de l’émancipation économique ? Après les suffragettes qui ont lutté pour les droits politique et les marxistes qui ont revendiqué l’égalité économique, les féministes surtout anglo-saxonnes ont donné à ce terme, dans le droit fil de la tradition occidentale des « droits de l’homme », une signification surtout individuelle. Et il y a eu incompréhension entre les femmes occidentales et celles des pays sous-développés, les Africaines en tête. En particulier parce qu’il est difficile d’exprimer la lutte en termes de revendication individuelle dans des sociétés dont beaucoup de traits culturels consistent précisément à nier l’individu au profit de la collectivité, à préférer la recherche du consensus à la liberté de choix personnel.
Un fait est certain, notait Catherine Coquery-Vidrovitch en 1994, la femme demeure inférieure à l’homme, même si elle a acquis à peu près partout le droit de vote. Que dire de l’émancipation économique ? Le degré d’autonomie des femmes demeure variable à travers le continent. Sauf peut-être chez les Hausa et les Swahili islamisées où la notion de « femme au foyer » n’existait pas. On cite comme encore exceptionnelle la réussite d’une remarquable « entrepreneuse » malienne, sociologue et ancienne responsable politique, Aminata Traoré ; ou Mme Fatou Sylla qui a fait la « une » d’Ivoire-Dimanche en tant que chef d’entreprise de fabrication de cahiers. Mais ce n’est qu’un début… Alors, émancipation ? Oui. Mais la nécessité du développement par les femmes se posent d’abord pour les femmes. Avec une seule voie possible : l’éducation. Bonne nouvelle : la parité du droit à l’école est en voie d’être acquise à peu près partout aussi bien pour les filles que pour les garçons.
Près de vingt ans après ce constat en demi-teinte, avec cette réédition Catherine Coquery-Vidrovitch se demande dans quel sens la situation des femmes africaines a évolué ? Scrutant de près les études publiées sur ce sujet depuis les années 1990, Catherine Coquery-Vidrovitch relèvent de nettes évolutions. Par exemple, de nouveaux aspects de l’histoire des femmes sont apparus : histoire de la sexualité, de l’amour, voire de l’homosexualité. Des sujets restés jusqu’alors tabous en Afrique. Autre évolution majeure : l’intérêt porté au rôle économique désormais tenu par des femmes chefs d’entreprise. Certes, reconnaît l’auteure, le courant « afro-pessimiste » demeure (voir notamment le livre de Teresa Barnes, We Women Worked so Hard, 1999), mais la tendance est devenue plutôt « afro-optimiste » en ce qui concerne la place des femmes.
Benoît RUELLE
benoit.ruelle@yahoo.fr
LES AFRICAINES, Catherine Coquery-Vidrovitch, Editions La Découverte, Paris, 2013.
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Aux temps anciens les femmes furent traitées par l'homme comme un sous-être et elles n'avaient même pas droit d'être instruite.Aujourd'hui elles sont instruites mais se liguent contre ceux qui ont désormais compris -ou tout au moins accepté- que nous sommes tous égaux. La non instruite exploitée est maintenant coupable de sa rébellion. Il faut que toutes les femmes soient instruites.Mais faut pas qu'elles aillent à l'amphi ou en classe ou au bureau en bikini, en tenu de soiré ou en décolleté. Il faut que la femme aussi travaille pour aider à l'entretien de la maison et de la famille.Mais faut pas que son travail nuise à sa responsabilité de gérante de la famille.
Les femmes ont un énorme potentiel à mettre au profit de la société. Mais elles risquent de nous en priver si elles continuent de se mesurer aux hommes dans tout. Ce n'est qu'en se vouant exclusivement à ce qu'elles peuvent faire le mieux qu'elles pourront arriver à une réelle émancipation.Aux Jeux olympiques le pires des hommes dans sa discipline performe mieux que la meilleure des femmes dans cette discipline.la femme dans l'armmée, imaginez la au front, une femme avec une pelle creusant un puits imaginez..Nous sommes différents et devons accepter et faire avec la différence.
Nos africaines sont braves et s'activent dans tout ce qui peut leur apporter profit.Il faut juste qu'elles soient plus instruites pour éviter de toujours s'engager dans des luttes qui les exposent plus qu'elles ne les servent.Qu'elles luttent pour l'égalité et non pour l'égalisation(parité). Je suis un féministe.
L'Afrique n'est pas pauvre, nous le savons tous, vue les différentes potentialités que regorge notre continent. Mais les différentes voient que nous empruntons aujourdhoui soit disant voie de developpement conduirait nous véritablement au developpement? Faudrait qu'on ne se trompe pas car les pays n'ont pas d'amis, mais ils n'ont que des intérêts
@ Oumar:
Ne te demandes-tu pas parfois pourquoi les femmes africaines sont toujours privilégiées dans le cadre de projets de développement par les organisations internationales? C'est parce qu'il a été constaté qu'en Afrique ce sont elles les principaux acteurs du développement. Aussi, si les hommes africains étaient aussi fiables que les femmes, peut-être que leur fardeau serait allégé et qu'elles ne seraient pas obligées de tout supporter.