Du 6 au 11 février 2011, Dakar est devenue la capitale mondiale de l’altermondialisme à l’occasion de la 11ème édition du Forum social mondial (FSM) qui s’y tenait dans les locaux de l’université Cheikh Anta Diop. Ce rendez-vous annuel des militants et syndicalistes engagés dans les mouvements sociaux, lieu de contestation des effets délétères de la mondialisation néolibérale et de revendication de nouveaux droits sociaux, portait un parfum particulier cette année. Tout d’abord parce que, pour la deuxième fois après Nairobi en 2007, l’Afrique a été la terre d’accueil de cet évènement mondial. Mais surtout parce que le forum a coïncidé cette année avec les soulèvements populaires de la Tunisie et de l’Egypte. En février, l’Afrique a mené la marche progressiste de l’histoire mondiale, et les participants au FSM de Dakar en avaient bien conscience.
Une équipe de Terangaweb s’est rendue sur place afin d’assister aux débats réunissant associations, ONG, think tanks, représentants de partis politiques et simples citoyens d’Afrique et du monde entier. Près de 1500 ateliers-débats se sont tenus autour des grandes questions sociales et politiques soulevées par le modèle de développement économique actuellement en cours à l’échelle de la planète. Les débats ont plus particulièrement porté sur les questions agricoles, le commerce international, la gouvernance mondiale, le féminisme, les nouvelles modalités du progressisme social, avec un focus assez prononcé sur le cas particulier du continent africain.
Deux grandes figures ont particulièrement marqué les débats tenus lors de ce FSM : Samir Amin, intellectuel altermondialiste de renommée internationale, et Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali et intellectuelle engagée de la scène publique panafricaine. A la tête de son centre de recherche, le Codesria (conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique), et de l’ONG principale organisatrice du FSM dont il est l’un des membres fondateurs, Enda Tiers-monde, le professeur Samir Amin a dirigé plusieurs tables-rondes de très grande qualité. Une grande conférence hommage lui a été rendue par ses collaborateurs, amis, disciples venus des cinq continents, chacun expliquant en quoi la pensée de cet intellectuel de 80 ans a marqué les gens de sa génération et/ou de son pays. Quant à Aminata Traoré, c’est à la tête d’une très forte délégation d'une centaine de femmes et de jeunes participant à ses différentes associations au Mali, qu’elle est venue à Dakar. Les questions de la migration des jeunes africains vers l’Europe, du rôle économique et social des femmes ont entre autres sujets été abordés lors des débats qu’elle a organisé dans des amphithéâtres combles.
Terangaweb a profité de l’occasion pour interviewer un certain nombre d’acteurs qui apportent un éclairage particulier à ces différentes questions. Les interviews paraîtront dans les jours à venir sur le site. Nous avons également retenu deux grands thèmes abordés lors du forum, la question agraire et le féminisme en Afrique, qui feront l’objet de deux articles à venir. Le présent article à vocation introductive souhaite retranscrire l’ambiance générale du forum.
L’affluence était au rendez-vous. Les organisateurs ont eu la bonne idée d’installer le FSM sur le campus de l’université de Dakar, impliquant les étudiants aussi bien dans l’organisation que dans le public des conférences et ateliers. A ce titre, le forum n’usurpe pas sa réputation de rencontre populaire des forces vives des sociétés. Beaucoup de jeunes du monde entier étaient présents à la rencontre ; beaucoup de syndicats et coopératives de femmes aussi, du Sénégal, Mali et d’autres pays africains. Toutefois, si les médias sénégalais ont assuré une assez large couverture médiatique au FSM, il faut reconnaître que « l’homme de la rue » n’était pas vraiment concerné par l’évènement. Au-delà du milieu estudiantin et des organisations locales très engagées et bien organisées, le FSM a eu peu d’impact et d’écho auprès de la population dakaroise, a fortiori sénégalaise.
Les débats se sont déroulés pour la plupart sous des tentes, et quelques-uns dans des amphis de l’UCAD II. Soulignons l’aspect contraignant du forum pour les étudiants qui continuaient leurs cours au milieu des sonos assourdissantes, des touristes nombreux et parfois encombrants. Malgré ces contraintes, l’accueil est resté très chaleureux, fidèle en cela à la Téranga sénégalaise.
Autre trait saillant de ce FSM 2011, son aspect joyeusement bordélique : les vendeurs ambulants côtoyant les délégations assermentées au milieu d’une foule disparate mêlant étudiants allant en cours et touristes du FSM ; des débats sans traduction automatique avec répétition toutes les cinq minutes des propos de l’intervenant dans trois à quatre autres langues, rendant les discours interminables ; des changements de salle à la dernière minute ; musiques assourdissantes dans la rue rendant inintelligibles les propos des intervenants sous les tentes ; chaleur, sueur, mais bonne humeur.
Malgré tous ses défauts d’organisation, le FSM 2011 aura rempli son objectif de réunir autour de plusieurs tables des citoyens du monde entier partageant une volonté commune de changer l’ordre des choses en faveur du plus grand nombre. La plupart des débats ont vu la participation, en plus de représentants des différentes régions africaines, d’indiens, de chinois, de sud-américains et d’Européens. Les débats se sont déroulés dans toutes les langues, avec une prédominance pour le français, l’anglais, l’espagnol, l’arabe, le wolof et le bambara. La plupart des débats, même les plus informels, étaient traduits en français, anglais et/ou espagnol. Ce maelstrom de langues a donné un caractère véritablement multiculturel au forum social mondial.
Enfin, pour terminer de planter le décor de ce FSM, il suffit de préciser que son principal mérite consiste à être l’un des lieux les plus riches en rencontres humaines que l'on puisse imaginer, avec des personnes extrêmement attachantes, intéressantes et engagées. Des femmes et des hommes, jeunes et vieux, qui mènent des luttes concrètes pour améliorer le quotidien de leurs semblables et défendre les idées qu’ils estiment justes.
Emmanuel Leroueil
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Bon article. Clair, précis et court.
Pour une fois que je lis un article du début à la fin ! Chapeau et merci pour les infos.