Aujourd’hui, l’Afrique fait l’objet de prises de position sur son développement. Ces prises de position se font à travers un discours qui peut prendre plusieurs formes comme le témoigne la multitude de rapports, d’ouvrages et d’événements organisés au cours des dernières années d’abord pour décrire un continent sans espoir et ensuite pour la présenter comme un continent d’avenir. L’évolution du titre de la revue The Economist qui passe de « The hopeless continent » en 2000 à « The hopefull continent » en 2011 illustre le changement de paradigme dans le discours sur le développement de l’Afrique. Ce changement de paradigme, fondé sur des observations empiriques, ne met pas toujours en lumière les causes profondes des fortunes de l’Afrique. Pourtant, deux principales raisons militent pour une meilleure connaissance de ces causes afin de mieux accompagner le continent dans son processus de développement.
Il y a une demande de production d’idées pour éclairer les perspectives de développement de l’Afrique
En effet, le niveau de développement actuel de l’Afrique soulève de grandes questions auxquelles très peu de réponses ont été apportées, de sorte qu’il est difficile d’afficher un optimisme béat sans craindre un retournement de la tendance actuelle du progrès économique. Les taux de croissance sont certes élevés depuis plus de dix ans ; mais ils sont encore fortement liés aux termes de l’échange et donc de l’exploitation des ressources naturelles. Des progrès ont été enregistrés en termes de gouvernance économique et politique ; mais nous en savons actuellement très peu sur l’ampleur de ces progrès et la part de leur contribution à la croissance économique observée jusqu’ici.
Le maintien de cette dynamique de la croissance économique nécessite de lourds investissements dans les capitaux physiques tels que les équipements agricoles, les infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transports. Dans le même temps, il est aussi nécessaire d’investir dans le capital humain à travers l’amélioration de la santé et de l’éducation des populations. Cette conjonction des besoins d’investissement soulève la question de savoir comment trouver les financements nécessaires à ces projets d’investissements et dans quelle proportion les allouer aux investissements en capitaux physique et humain pour générer une croissance forte et inclusive. Il en est de même pour les dépenses dans le cadre des programmes sociaux tels que l’assurance maladie ou les transferts sociaux. La prise en compte du cadre de gouvernance politique, des contraintes réglementaires notamment sur le droit de la concurrence, de l’intégration régionale complexifie davantage l’analyse de ces questions. Par ailleurs, les réponses à ces questions requièrent la prise en compte de contraintes extérieures telle que le dérèglement climatique et la préemption de l’industrie manufacturière par la Chine.
Toutes ces questions sont posées dans un contexte particulier caractérisé par un niveau de vie moyen africain qui décroche par rapport au reste du monde et une augmentation du nombre de pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde ayant connu une baisse de son PIB par habitant relativement à celui des Etats-Unis. Alors que les autres régions en développement tendent globalement à rattraper le niveau de vie des pays développés, l’Afrique sub-saharienne décroche avec un PIB par habitant qui chute de 4% du PIB par habitant américain en 1960 à 2% en 2012.
Aussi, en dépit d’une légère baisse de la proportion de pauvres au cours des dix dernières années, le nombre de pauvres, quant à lui, a doublé en 30 ans, passant de 205 à 413 millions de pauvres entre 1981 et 2012. Contrairement aux autres régions en développement, l’Afrique sub-saharienne est là encore la seule région au monde ayant connu une augmentation du nombre de pauvres. En ce qui concerne les inégalités, les dernières estimations fournies par la Banque Africaine de Développement place le continent en deuxième position des pays les plus inégalitaires dans le monde après l’Amérique latine.[1] Il ne s’agit là que des inégalités de revenus. Nous en savons encore très peu des inégalités de patrimoines qui sont généralement plus fortes que les inégalités de revenus.[2]
Tous ces éléments placent l’Afrique face à un grand défi : celui d’assurer le bien-être de chaque composante de sa population dans un monde globalisé. Loin de l’afro-pessimisme des années 90 et loin aussi de l’afro-optimisme actuel, le think-tank L’Afrique des Idées (ADI) propose l’afro-responsabilité comme nouveau paradigme. Celui ci consiste à entamer une démarche de réflexion pour comprendre les défis auxquels font face l’Afrique afin d’œuvrer à ce qu’elle puisse les relever.
Contrairement aux décennies précédentes, il existe aujourd’hui des leviers pour satisfaire cette demande d’idées
Certes, il existe déjà des groupes de réflexions qui travaillent sur certaines des questions évoquées plus haut. Cependant, ces groupes restent à l’échelle nationale alors que la plupart des défis qui se posent aux pays africains dépassent les frontières nationales. Par exemple, les questions de développement économiques ne peuvent plus se poser à l’échelle nationale dans la zone CFA dont les pays partagent une monnaie commune depuis plus de 50 ans. L’approche nationale occulte très souvent la perspective régionale dans l’analyse des problématiques identifiées à l’échelle nationale. Typiquement, la gestion de l’environnement ne peut être appréhendée dans un pays, ou même une région, sans prendre en compte ce qu’il se passe dans les autres régions du monde. En outre, la plupart des initiatives nationales courent le risque de se transformer très vite en un mouvement de lutte pour le pouvoir politique, perdant ainsi de vue l’objectif initial qui est de rester une force de propositions de nouvelles idées indépendamment du processus politique en cours. Il s’agit donc d’un engagement strictement intellectuel qui vise une compréhension rationnelle des enjeux de tous ordres qui se posent à chaque pays africain.
Par ailleurs, le contexte actuel se prête bien à la déclinaison opérationnelle de l’afro-responsabilité. Il est caractérisé par un nombre plus important de jeunes africains qui vont étudier dans les meilleures universités. Selon les statistiques de l’UNESCO, le nombre d’étudiants africains en mobilité a augmenté de 40% en dix ans passant de 205 à 288 mille entre 2003 et 2012.[3] Cette accumulation de la connaissance a besoin d’être employée au service de la compréhension des défis de l’Afrique plutôt que de conduire principalement à accentuer la concurrence politique avec les conséquences que l’on observe actuellement dans certains pays africains. Cette dynamique de l’accumulation de la connaissance par les jeunes africains vient s’ajouter au stock de connaissances accumulé par les aînés et complétée par un nombre croissant de personnes originaires des pays développés qui s’intéressent à l’Afrique notamment lors de stage d’études.
C’est fort de ces circonstances que L’Afrique des Idées ambitionne d’opérationnaliser l’afro-responsabilité en s’appropriant le discours sur le développement de l’Afrique. Cette opérationnalisation s’est traduite par la réalisation d’études sur des sujets tels que la croissance inclusive, les choix de carrières des africains de la diaspora en Afrique et l’économie verte. En particulier, l’étude sur la croissance inclusive qui a déjà été présentée à l’Université des Nations Unies à Helsinki, vient d’être retenue pour être présentée lors de la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris. De même, nos publications sur l’économie verte en Afrique ont fait l’objet d’une synthèse distribuée aux participants du Forum International sur le Green Business organisé par la Chambre de Commerce de Pointe-Noire. Parallèlement, L’ADI dispose d’une équipe de rédacteurs qui publient quotidiennement des articles d’analyse et des chroniques dans des domaines aussi variés que l’économie, la politique, la culture, le développement durable et l’histoire.
Georges Vivien Houngbonon, article initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin (23 – 27 juin 2014)
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