Vibrations africaines à Angoulême


Dans une chaleur estivale, le festival Musiques Métisses d’Angoulême s’est déroulé du 6 au 8 juin 2014 pour sa 39ème édition, au bord de la Charente, dans l'Ouest de la France. Concerts de reggae, hip-hop, afrobeat, jazz, musique populaire d’Haïti, chanson du Cap-Vert, du Bénin… Un patchwork de styles musicaux variés aux couleurs de l’Afrique, mais aussi du théâtre, des rencontres littéraires… Reportage.

Minuit, 1er soir du festival. Sur la grande scène, le trompettiste Ibrahim Maalouf insuffle une mélancolie planante entre les gouttes de pluie. Pendant ce temps, sur la scène Mandingue, les Haïtiens Boulpik chantent en chœur leur musique populaire, le konpa, et font danser le public à coups de banjos et de percussions. Ici et là, l’ambiance est décontractée, festive : le ton du festival est donné.

Producteur passionné par la musique Noire, Christian Mousset a créé l’évènement Musiques Métisses en 1976, pour faire découvrir ces musiques dites du monde, alors méconnues.

« Je voulais montrer ce que l’on n’entendait pas ailleurs. Ces musiques étaient considérées comme exotiques, dans le sens péjoratif du terme, alors qu’elles sont d’une diversité infinie et d’une grande qualité, capables de s’exporter, de s’écouter ailleurs. »

Ouverte aux musiques de toutes les cultures, la programmation est néanmoins beaucoup construite autour de l’Afrique.

« Elle est la mère de toutes les musiques populaires que l’on écoute en Occident, et de tous les métissages entre les Caraïbes, les Amériques… Et je trouve que c’est là où la créativité et l’intensité dramatique, émotionnelle sont les plus fortes. Il y a une urgence et une énergie extraordinaires. Contrairement aux idées reçues, l’Afrique est un continent en plein devenir, et la musique est à l’avant-garde de ce qui va se passer après. »

Et pour dénicher ces artistes, avant l’époque d’internet et du téléphone portable, Christian Mousset a parcouru tout le continent africain, de Bamako à Johannesburg.

« Dans ces villes au bouillonnement culturel incroyable, je me rendais dans les clubs et les cafés pour écouter les musiciens, car rien ne vaut le spectacle vivant. »

Parmi les concerts marquants dans l’histoire du festival, on trouve ceux de Salif Keita, Cesaria Evora, Rokia Traoré… tous découverts à Angoulême avant d’entrer dans la sono mondiale. Autre temps fort, le concert réunissant des musiciens Blancs et des musiciens Noirs d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, alors ostracisés lorsqu’ils jouaient ensemble dans leur pays.

Si ce festival pionnier n’est aujourd’hui plus le seul à programmer ces musiques en France, il reste pour beaucoup d’artistes africains le tremplin de référence pour les faire connaître en Europe. Yacouba Moumouni, leader du groupe du nigérien Mamar Kassey, se produit ici pour la troisième fois. Sa musique tradi-moderne, qui dénonce des fléaux comme la famine ou le mariage forcé, a remporté le Prix Musiques des Régions Francophones du festival. Pour lui, Musiques Métisses est un lieu d’échanges culturels et de rencontres même pour les Africains entre eux.

« C’est ici que j’ai rencontré Habib Koité, René Lacaille, et que je suis devenu ami avec le grand bluesman Ali Farka Touré.»

Entre deux concerts, on visite le dispositif « Nié qui tamola » – l’oeil voyageur en bambara- qui regroupe exposition, théâtre et bal festif. Conçue par la compagnie de théâtre de rue les Trois Points de Suspension, cette création multiforme pose un regard satirique sur la relation de la France avec l’Afrique. D’abord à travers une exposition déroutante : documentaires ou ludiques, parfois même absurdes (distributeur d’eau non-potable), les œuvres plastiques et installations traquent les idées reçues, les stéréotypes, les mirages, évoquant le regard faussé que se porte mutuellement la France et l’Afrique. Dans cet espace labyrinthique, on trouve par exemple un distributeur de proverbes africains, un jeu quizz sur l’identité nationale, des marionnettes interactives, des témoignages vidéos sur l’apprentissage de la langue française au Sénégal avant l’indépendance… Puis, le spectacle burlesque « La grande saga de la Françafrique » raconte avec le même humour grinçant l’histoire obscure et méconnue des relations France-Afrique depuis 1958 à aujourd’hui. Par la dérision, « Nié qui tamola » nous invite à une réflexion sur l’identité et la construction du regard sur l’Autre et sur nous-mêmes.

Astrid Krivian