« A la recherche de Glitter Faraday » : Il était une fois les Black Panthers et l’Algérie révolutionnaire !

C’est un roman à lire sur les sons du jazz, Archie Shepp ou Charles Mingus de préférence, une contrebasse qui vous transperce la peau nappée d’un langoureux saxophone empreint de nostalgie ; les joies et les peines d’un peuple qui a traversé l’esclavage et l’oppression. « Jazz is a black Power ! ».

A la recherche de Glitter Faraday, dernier roman de Kébir Ammi, nous plonge dans l’histoire des Black Panthers, ce célèbre groupe d’auto-défense américain qui avait fait un détour par Alger entre les années 60 et 70 lorsque celle-ci était « la Mecque des révolutionnaires ». C’est Amilcar Cabral, héros de la lutte bissau-guinéenne, qui avait baptisée la ville blanche ainsi lorsqu’il avait dit lors d’une conférence en 1968 que « les musulmans vont en pèlerinage à La Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger ».

Jamais une ville africaine n’avait réuni autant de résistants, d’exilés et de militants anticolonialistes. « Alger n’était pas n’importe quelle ville. Alger était le sanctuaire de tous ceux qui voulaient vivre debout. Alger était le seuil de toutes les promesses ». Miriam Makeba y avait chanté en arabe « Ana horra fi El Djazaïr » (je suis libre en Algérie), Archie Shepp faisait valser son saxo avec les Touaregs du désert, Nelson Mandela déclamait la lutte des peuples et Franz Fanon la condition noire… Le séjour des Black Panthers à Alger restera gravé dans l’histoire de cette ville même si on n’en garde que d’infimes traces dont ce roman dévoile l’existence.

Il en reste ainsi un bar mythique, « les exilés », tombé en décrépitude, honni par les gardiens de la bonne morale, « une route qui monte » au milieu de la Médina et où un crime abject avait été commis il y a bien longtemps, des pensions au charme ottoman où avaient séjourné des résistants noirs et puis surtout un manuscrit, écrit de « sang et de larmes », et qui fera le voyage jusqu’aux confins de l’Amérique. Du Montana au Nouveau Mexique, en passant par Detroit, la Nouvelle Orléans, le Nebraska…le fameux manuscrit, déjà trempé dans le sang de la lutte des peuples, s’est mêlé au sang de la violence raciale américaine. Car malgré les combats menés par le célèbre pasteur qui avait fait un rêve, malgré la fin officielle de la ségrégation aux Etats-Unis, dûment édictée par une loi en 1964, les noirs n’avaient toujours pas les mêmes droits que les blancs. Et il n’est pas interdit de penser que cela perdure jusqu’à aujourd’hui…  

Tout commence et tout s’achève à Alger

Au moment de succomber aux coups de la police algérienne dans la sinistre rue en dédale de la Médina, un poète contestataire, Sellam, confie un mystérieux manuscrit à son ami Black Panther, Glitter Faraday, qui l’embarque avec lui aux Etats-Unis. Ce dernier, accusé d’avoir séjourné dans le pays des ennemis communistes, finira défiguré par les blancs et à moitié fou. Mais son document passera de main en main, comme une parole biblique sacrée, jusqu’à arriver chez un jeune réalisateur qui en fera un film décrivant le périple de ces noirs américains brisés chez eux et rêvant d’atteindre la terre promise algérienne.

L’histoire nous est raconté par un écrivain algérien- dont on découvrira le lien avec les autres acteurs bien plus tard- qui part à la quête de ce fameux manuscrit aux Etats-Unis. Il suit d’abord les traces de Glitter Faraday, ensuite tous ceux qui l’avaient connu de près ou de loin, tous militants de la cause noire et autochtone, tous ayant expérimenté leur combat dans leur chair. Nous plongeons dans l’Amérique des suprémacistes blancs où les Noirs sont chassés comme des chiens, pendus aux arbres, condamnés à fuir et à se cacher dans des motels coupe-gorge au milieu des déchets et des crachats. Les regards les guettent avec méfiance. La plume de l’auteur prend tout son temps pour décrire les expressions des visages, les silences comme les demi-mots. Ambiance western. Et puis, au milieu de la fumée glauque, des barmaids maquillées comme un camion volé balancent un nom. Et c’est reparti pour un tour ! Notre narrateur explorateur tient une nouvelle piste à la quête du manuscrit. Hit the road Jack !

Les terres des grandes promesses non advenues

Si le roman décrit des tranches de vie qui s’emboitent les unes dans les autres dans cette Amérique profonde sonnée par la chaleur et les courses-poursuites, au fond, ni le personnage de Glitter Faraday ni ses compagnons de lutte, ni même ce trésor convoité qu’est le manuscrit, ne sont des buts en soi. Kébir Ammi décrit en réalité une trajectoire initiatique à la recherche de soi et de la fraternité qui lie les humains. Il livre une longue complainte, très jazzy, d’une Amérique et d’une Algérie qui s’offrent en miroir malgré la distance qui les sépare. Toutes les deux ont mal tourné après les discours des leaders d’antant. Toutes les deux n’arrivent pas à offrir un avenir meilleur et équitable à leurs enfants. Ce sont des terres de grandes promesses non encore advenues : « Je continuais à fredonner le poème de Ted Joans, sur la route qui longe l’océan et je me souvenais de Sellam qu’on n’arrêtait pas de coffrer pour rien, parce qu’il dénonçait un régime militaire forcené et brutal, qui n’avait rien à envier à celui qui avait prévalu pendant plus de cent ans. La révolution a été un vrai gâchis : elle a été détournée de ses fins. L’Algérie méritait mieux qu’une bande de trouffions, ivres de leur force, des soudards galonnés, qui avaient confisqué le pouvoir et qui ne reculaient devant rien pour préserver leur prébende ».

Or, lorsque les portes de l’espoir demeurent fermées, que reste-t-il ? « L’humanité est notre seul bien, l’unique rempart, le seul destin de tous les peuples », dira Sellam le poète algérien.  

Note sur l’auteur

Fils d’un père algérien et d’une mère marocaine, Kébir M. Ammi est un écrivain dont l’œuvre s’inspire des questions identitaires, de l’exclusion et des appartenances culturelles. Il vit en France et a longuement résidé aux Etats-Unis où il a fait connaissance avec le parcours des Black Panthers. Auteur prolifique, il confronte l’Histoire avec les problématiques des sociétés actuelles à travers les portraits de personnages qui ont marqué leurs temps comme l’Emir Abdelkader, Saint Augustin, Ben Aicha ou El Hallaj, Il est notamment l’auteur des « Vertus immorales », « La Fille du vent », « Mardochée » et « Un génial imposteur».

Kébir M. Ammi, « A la recherche de Glitter Faraday », Editions Project’iles, 2023, 17 euros

Mythes, technologies, humain et non humain…Achille Mbembé en méditation sur la communauté terrestre

Avec la « Communauté Terrestre » (2023, la Découverte), Achille Mbembé clot sa trilogie sur le devenir du Vivant entamée avec « Politique de l’inimitié » (2016, la Découverte) où il a décortiqué la figure de l’ennemi dans un chaos de guerres et de ségrégations et ensuite « Brutalisme » (2020, la Découverte) qu’il a consacré au devenir artificiel de l’humanité et à son pendant, le devenir-humain des machines. 

Depuis la publication des premiers travaux de ce philosophe, nous suivons une pensée évolutive à la quête d’une harmonie dans « un monde en combustion » et qui, à chaque ouvrage, nous livre un nouveau maillon qui se greffe à la chaîne symbiotique du vivant. A chaque lecture, nous voyons interagir des savoirs humains et non humains, visibles ou invisibles, à priori éloignés, parfois même en guerre (Science vs Mythes) et qui accomplissent sous nos yeux des mouvements d’harmonisation longs et précis- la ressemblance avec le Tai Shi est frappante- pour atterrir sur une matrice fluide qui respire profondément. C’est cette matrice ou cette lecture de différentes combinaisons que nous propose le philosophe pour continuer à habiter la Terre. « Aujourd’hui, la question centrale consiste à s’interroger sur la manière dont les formes complexes de vie pourraient être reproduites, soutenues, rendues durables, préservés et universellement partages à l’ombre d’une catastrophe cosmique potentielle », explique Achille Mbembé dans son nouvel ouvrage. 

Tout au long de son parcours, ce philosophe camerounais a été porteur d’une quête : Il nous a d’abord livré une analyse de la condition noire, du « postcolonialisme » à « la raison Nègre »[i], qui a mis en exergue les blessures traumatiques et transgénérationnelles occasionnées par le capitalisme impérialiste des anciennes puissances. Dans une seconde étape de son cheminement, Mbembé nous a dévoilé les déchirures d’un monde brutalisé, porteur de balafres profondes appelés Frontières, traversé de haine et de rejet de l’autre et, pour finir, transmuté dans l’ère computationnelle des machines et des biotechnologies. Dans cette ère artificielle, on ne sait plus qui de l’homme ou de la machine est le sujet ou l’objet, Les deux s’incorporant tels des avatars et formant un pouvoir mutant[ii]. On serait ainsi tenté de penser ces machines comme la nouvelle religion de l’homme, son joli miroir qui lui sert de support pour admirer son intelligence mais qui, sans conscience, pourrait hélas l’engloutir. 

Puiser des mythes africains 

Dans « la Communautés Terrestre », Achille Mbembé ajoute à son assemblage les mythes ancestraux africains pour démontrer, sur un ton plus poétique que d’ordinaire, à quel point l’homme fait partie d’un Tout et que ce Tout doit être appréhendé d’une façon systémique pour affronter la crise écologique. Cette pensée a de quoi déranger les héritiers du scientisme philosophique occidental. Il y a cinq siècles, Descartes et Bacon avaient raison d’imposer la Science (et donc l’Homme) face à une Nature omnipotente, dominée par des superstitions aussi sinistres que délirantes. Mais de nos jours, alors que la pensée occidentale a réussi à déconnecter l’homme de toute spiritualité pour le soumettre au joug exclusif du mental, est-il toujours opportun de continuer à dénigrer les mythes animistes ? Est-il sensé de priver l’humanité d’une partie de ses archives ancestrales et qui concourent à nous éclairer sur les combinaisons du vivant ? 

Si nous voulons continuer à habiter la Terre, il est peut-être opportun d’aller voir comment les peuples anciens faisaient communauté avec des entités non humaines et de s’en inspirer au même titre que les autres ressources actuellement à notre disposition, conseille le philosophe. L’Afrique laboratoire du devenir humain nous livre à ce titre d’insondables gisements, notamment chez les Dogons[1] et les Bambaras[2], choisis par Mbembé comme corpus d’étude. 

Au fur et à mesure que l’auteur dévoile l’héritage de ces deux cultures, des liaisons insoupçonnées commencent à faire sens. Comme par exemple, la conception de « la force vitale » de l’homme chez les Dogons qui, pour se nourrir ou guérir, a besoin d’entrer en contact avec les végétaux. Il est fascinant aussi de voir comment les Dogons s’imaginaient le cosmos, ses forces vivantes et comment ces dernières entraient en résonnance dans un mouvement de « correspondance biologique » : Chacune des parties de l’univers se projetant dans l’être humain qui est, lui-même, l’une des expressions privilégiées du microcosme. 

La Terre, une entité globale, une utopie

La Terre, dans ce contexte de résonnance, est la condition de notre survie. C’est grâce à elle que nous pouvons exister. Elle est un corps vivant, elle nous génère et se regénère mais elle ne nous appartient pas (Exit tout dogme juridique de la propriété !). Nous n’en sommes que les habitants, les gardiens, les passants. « Par terre, il ne faut pas entendre le sol, la parcelle, mais une vie qui se renouvelle dont la valeur est littéralement incalculable et qui échappe à tout pouvoir absolu de maitrise. Il s’agit d’un corps vivant, animé, dont l’une des propriétés est par ailleurs d’être une matière susceptible de rendre possible la vie ».

Ainsi définie, la Terre est une circulation des flux entre les communautés qui l’habitent et qui ne se limitent pas uniquement à l’humain. Ces communautés terrestres, il faudra distinguer des universalismes pensés par l’homme pour l’homme[iii]. La Terre n’est plus que « universelle », elle porte en elle toutes les manifestations de la vie, par conséquent toutes les traces de l’en-commun : Du « Tout Monde » défendu par les pères de la philosophie africaine, l’auteur nous propose de passer ainsi à un « Tout Planétaire » relié aux formes du cosmos : les fleuves, l’air, les microbes, les virus, les minéraux, les planètes, les montagnes, les énergies souterraines…viennent faire corps avec le « nouvel animisme » qu’incarnent les technologies et les dispositifs artificiels. Ce passage se fera en gardant à l’esprit que s’il y a bien une constante dans cette communauté terrestre interreliée, c’est la finitude des espèces. Nous devons désormais faire la paix avec notre mort.  

« Si nous avons su vivre avec constance et tranquillité, nous saurons mourir de même. Les philosophes se vanteront à ce sujet tant qu’il leur plaira, mais il me semble que la mort est bien le bout, non pas pour autant le but de la vie. C’est sa fin, son extrémité, non pas pour autant son objet ». (Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre XII)


[1] Les Dogons sont un peuple du Mali à l’origine animiste et croyant en un seul Dieu créateur : Amma. La légende voulait que Amma se tenait dans un œuf. Il créa la parole avec sa salive et la première graine apparut. Elle contenait tout ce dont le monde avait besoin : la terre, l’eau et le feu. Amma créa alors des couples de jumeaux avec à chaque fois un mâle et sa jumelle.

[2] Les Bambaras sont une éthnie mandinque originaire du Mali mais qui s’est étendue sur l’Afrique sahélienne. A l’origine, l’esprit Yo a engendré Faro, le dieu de la parole et de la pluie bienfaisante, qui, à son tour, créa Mousso Koroni, la mère nourricière. 


[i] Achille Mbembé, De la Postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, 2000, Karthala, Paris et Achille Mbembé, Critique de la raison nègre, 2013, la Découverte, Paris. 

[ii] Pour comprendre la supervision permanente de nos comportements de nos émotions par les différents algorithmes et la big data, lire l’excellent Shoshana Zubbof, l’âge du capitalisme de surveillance, 2020, Zulma, Paris. 

[iii] Voir à ce niveau l’évolution des concepts d’universalisme depuis le siècle des lumières européen jusqu’aux mouvements de décolonialisme (notamment « l’universalisme de surplomb » de Merleau Ponty, le « Tout-Monde » de Aimé Césaire, « l’universalisme pluriel » de Bachir Diagne…). 

Restitution des biens culturels africains : l’immense défi

Le mercredi 4 novembre 2020, le Sénat français a adopté le projet de loi restituant au Bénin et au Sénégal des biens culturels amenés en France à l’époque coloniale : 26 œuvres réclamées par Cotonou, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892. Le Sénégal, de son côté, est maintenant propriétaire d’un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure religieuse et résistant sénégalais du XIXème siècle. 

Cette restitution, intervenue suite à un engagement du président français Emmanuel Macron lors d’une visite à Ouagadougou en novembre 2017- visite qui a été suivie d’un éminent rapport commandé à Bénédicte Savoy, professeure au Collège de France et historienne de l’art, et à Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais- reste cependant un premier pas d’un parcours plus long: « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique», avait assuré le président français sous les applaudissements.  

Dans leur rapport de 232 pages, intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain : Vers une nouvelle éthique relationnelle », Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont clairement expliqué que le sujet des restitutions soulève des questions plus profondes. Ils évoquent la nécessité d’une révision des paradigmes hérités de la colonisation pour rendre justice à une mémoire africaine profondément blessée.

« Parler d’œuvres d’art et de restitutions du patrimoine africain en Afrique, c’est ouvrir un chapitre, un seul, dans une histoire plus vaste et certainement plus difficile. Derrière le masque de la beauté, la question des restitutions invite en effet à mettre le doigt au cœur d’un système d’appropriation et d’aliénation, le système colonial, dont certains musées européens, à leur corps défendant, sont aujourd’hui les archives publiques », est-il souligné dans le rapport.

Une restitution au cas par cas

Malgré le signal fort qu’il envoie, le projet de loi restituant les œuvres d’art au Bénin et au Sénégal est donc loin d’être à la hauteur des enjeux. Juridiquement parlant, il s’agit d’une dérogation au code du patrimoine français qui impose d’une façon claire et absolue l’inaliénabilité des collections publiques françaises, leur imprescriptibilité et leur insaisissabilité. En clair, les objets d’art français ne peuvent être destitués/ôtés du domaine public et donnés à d’autres. Une des seules manières de les faire circuler passe par des échanges ou des dépôts-prêts. Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont donc eu raison de souligner que le véritable défi de la restitution des œuvres patrimoniales africaines reste la réforme de ce Code. Ils proposent d’y introduire une procédure ad hoc adaptée pour les besoins de la restitution des objets africains.

Près de 88.000 œuvres d’art d’Afrique subsaharienne sont détenues dans les collections publiques françaises, dont 70.000 au seul Musée du Quai Branly. Dès le lendemain des indépendances, plusieurs acteurs africains n’ont eu cesse de réclamer leur restitution. Ils se sont toujours heurtés au mur de l’inaliénabilité et du silence, tant ces sollicitations exhumaient des sévices coloniaux encore inavoués à l’époque. En 1970, l’Unesco allait cependant briser ce silence en adoptant une convention qui interdit le commerce de biens spoliés pendant la période coloniale. En 1978, dans un discours historique, son directeur, Mahtar Mbow, lançait un appel aux anciennes puissances coloniales « pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable ».

« Du British Museum (69 000 objets d’Afrique) au Weltmuseum de Vienne (37 000), du musée Royal de l’Afrique centrale en Belgique (180 000) au futur Humboldt Forum de Berlin (75 000), des musées du Vatican à celui du quai Branly (70 000) en passant par les nombreux musées missionnaires protestants et catholiques en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne : l’histoire des collections africaines est une histoire européenne bien partagée », rappelle le rapport Savoy-Sarr.

Les restes humains, une mémoire douloureuse

Avant l’adoption du projet de loi instituant la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, les rares restitutions ayant échappé au principe de l’inaliénabilité étaient les restes humains, mais toujours via une loi d’exception dérogeant aux textes applicables en matière de patrimoine et de domanialité publique. En 2002, la France a ainsi restitué la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, appelée la « Vénus hottentote», à l’Afrique du Sud. La même année, elle a envoyé à la Nouvelle Zélande une vingtaine de têtes maories.

En juillet 2020, trois ans après le discours d’Emmanuel Macron à Alger où, battant campagne pour la présidentielle, il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », Paris a restitué les crânes des 24 résistants ayant été décapités dans une bataille près de la ville de Constantine en 1849. Auparavant entreposés dans le Musée de l’Homme, ces crânes seront dignement inhumés dans leur terre d’origine en Algérie.

Quels critères pour la restitution ?

A chaque fois qu’il est posé, le sujet de la restitution des biens culturels rouvre une plaie mémorielle qui n’a jamais été pansée. Il pose aussi des questions d’applicabilité qui sont loin d’être tranchées.      La recherche d’une plus grande sécurité juridique constitue certes un préalable indispensable pour mener à bon port tout projet de restitution. Mais au-delà d’une réforme du Code du patrimoine français, la difficulté sera, comme le font remarquer plusieurs experts, de retracer l’itinéraire des œuvres pour pouvoir statuer sur des questions sujettes à controverses. A titre d’exemple, ces biens proviennent-ils d’un butin de guerre confirmé comme celui des trésors béninois et sénégalais ? Ont-ils atterri en France via des réseaux de pilleurs ou de marchands peu scrupuleux qui les ont acquis à des prix dérisoires ? Ou est-ce plutôt le résultat de transactions justes et équitables et dans ce cas pourquoi parler de restitution ?

De la même manière, il sera nécessaire d’aller creuser l’origine géographique des biens- l’Afrique des frontières étant une donnée coloniale contemporaine- et veiller à mettre en place des mécanismes pratiques qui permettront de faire rayonner ces biens restitués aussi bien au sein de leurs communautés d’origine que parmi d’autres peuples qui en exprimeraient l’envie (libre circulation).     Ce projet multiforme ne pourrait aboutir que dans le cadre d’un projet commun franco-africain, estiment les experts, où seront définis les critères de restitution et une expertise conjointe qui se penchera sur l’origine (ou les origines) supposées des objets en question pour arriver à un consensus scientifique.

Un nid à polémiques

Une telle conjugaison des efforts entre l’Afrique et la France sera d’autant plus salutaire qu’elle permettra d’aplanir de nombreuses résistances idéologiques soulevées par la restitution des biens culturels. « Les musées ne doivent pas être otages de l’histoire douloureuse du colonialisme », dénonçait M. Stéphane Martin, ancien président du Musée du quai Branly, sur les colonnes du journal Le Monde diplomatique (Août 2020).

Depuis la publication du rapport Savoy-Sarr, l’opinion publique a en effet eu droit à tout type de questions, les plus légitimes comme les plus farfelues : Les gouvernements africains sauront-ils préserver ces trésors ? Ont-ils des infrastructures convenables qui vont les protéger de la déperdition ? Et s’ils se mettaient à les revendre ?

Le débat a donné lieu à certaines polémiques biaisées, mais il a tout de même ouvert quelques pistes qui poussent à réfléchir : les musées africains sont-ils obligés de suivre le modèle de leurs pairs occidentaux en matière d’exposition et de préservation ? S’était exprimée aussi, la plus grande crainte des acteurs culturels français : Va-t-on vider les musées en France ? Comment s’adapter face aux retombées économiques de ces restitutions ? Ces questions sont directes, réelles mais surtout politiques, vu la quantité de trésors dont regorgent les musées hexagonaux. Et il va sans dire que tout alignement en faveur d’une restitution plus importante envers l’Afrique nécessitera un courage politique loin d’être gagné à la veille de l’échéance présidentielle de 2022.

Du côté des marchands d’art et des collectionneurs privés, fief de la part la plus importante des œuvres africaines, souvent intraçables et non recensées, le projet de restitution fait grincer des dents même si le milieu se réserve d’exprimer une franche opposition au principe. Certains galeristes de bonne volonté, comme Robert Vallois, ont même créé un collectif de marchands d’art pour financer le nouveau musée de la Récade au Bénin, où sont exposées des œuvres africaines tirées de leurs collections. « Ça n’a coûté rien à personne, à part à nous », précise-t-il à l’agence AFP. 

Un contexte qui pousse à l’action

En s’engageant solennellement dans la restitution des biens culturels à l’Afrique, la France a posé la première pierre d’un chantier historique. Mais l’approche d’une restitution au cas par cas, fragmentée et jonchée d’obstacles, ne pourra pas tenir longtemps face à la pression exercée par des débats militants liés aux décolonisations ou au rééquilibrage des rapports Nord-Sud. La France pourrait même se faire devancer par certaines anciennes puissances coloniales comme l’Allemagne qui semble avoir saisi le sens de la séquence historique en cours bien avant le discours de Macron à Ouagadougou. Sensibilisée à la question des spoliations juives sous l’ère nazie, Berlin n’a pas eu de mal à aborder la question de la restitution des biens africains et avait entamé plusieurs démarches envers la Namibie, le Togo ou la Tanzanie. A contrario, c’est en Belgique où le débat est le plus enflammé en raison d’une colonisation congolaise particulièrement sanglante. Quant à la Grande-Bretagne, elle semble tâtonner, le British Museum rechignant encore à se prononcer sur la question des restitutions bien qu’il soit saisi de plusieurs demandes venant d’autres pays.

Pour mener à bien ce projet de restitution, il va sans dire qu’un autre tabou doit être levé : celui d’éveiller les consciences politiques africaines, là où les politiques publiques ont échoué malgré une implication de plus en plus forte de la société civile. Dans les musées africains, la valeur originelle des objets est oubliée au détriment de sa valeur esthétique…

Nadia Lamlili, Nadine Mbaïbedje Mogode

Membres du Think Tank « L’Afrique des Idées »

Références

Manuel Valentin, 2019. « Restituer le patrimoine « africain » », Les nouvelles de l’archéologie [En ligne], mis en ligne le 06 septembre 2019, consulté le 21 octobre 2020. http:// journals.openedition.org/nda/5953 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nda.5953

Sarr F. & Savoy B. 2018. Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle : rapport commandé par le Président de la République, rendu le 23 novembre 2018.http://www.icom-musees.fr/ressources/rapport-sur-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain-vers-une-nouvelle-ethique

Article du spectacle « Machin la Hernie » adaptation du roman de Sony Labou Tansi par Jean-Paul Delore et interprétation de Dieudonné Niangouna

         Nous sommes accueillis face à une scénographie épurée au centre de laquelle se dresse un écran vertical diffusant en une sorte de boucle un corps noir filmé hauteur poitrine. Il apparaît dos au spectateur, le crâne rasé et luisant. L’image est en noir et blanc. Sur le côté de l’avant-scène, un homme (le guitariste Alexandre Meyer) joue une note monocorde et vibrante de sa guitare électrique. L’introduction, plongée dans une pénombre à peine éclairée de ce dispositif lumineux et investie par ce musicien dont on ne distingue pas le visage, semble d’emblée nous dire que l’histoire dans laquelle nous nous plongerons sera dissonante et convoquera la transe par effet d’hypnose. Cette histoire sera profondément moderne et donc néocoloniale. Elle sera à l’image du symptôme vivant qu’est Martillimi Lopez (joué par le puissant et écorché vif Dieudonné Niangouna), dictateur mégalomaniaque à la logorrhée mitraillante, seul et unique personnage de la scène. Lopez est condamné à un monologue qui le pousse à interpréter ses opposants, ses conseillers, ses proches, lui-même, dans un élan transi appuyé par des dialogues entremêlés, obscurs, métaphoriques et difficiles d’accès pour le spectateur qui ne souhaiterait retrouver au sein d’une œuvre d’art qu’une mimesis simplificatrice.

         Au fur et à mesure que le récit progresse, cet écran vertical et central change via un de ces « effets-neige » que font nos télévisions sans antennes pour nous diffuser régulièrement des portraits du dictateur tour-à-tour imberbe et barbu. Sa pose fait (af-)front. Son regard, bas et sombre, convoque l’adversité et la folie du pouvoir. Martillimi Lopez est abandonné au sein de son palais déserté et tire, si je puis dire, ses dernières cartouches. Le sexe masculin parcourt la problématique du récit. L’usage du « zizi » qui sert tout autant à pisser qu’à asseoir son pouvoir sur les femmes, les testicules sont associées à des ministères (« ministre de la couille »), mais ce n’est pas tellement pour pointer le stéréotype du masculinisme que pour désigner l’hystérie qui structure majoritairement les dictatures africaines. Cette hystérie réside dans ce cas de figure dans l’incapacité du colonisé à dépasser la rivalité mimétique envers ses semblables, dans son impuissance à s’extirper d’un occidentalisme qui le plonge dans une schizophrénie se faisant tour-à-tour culturelle et manifeste, schize renforcée par le jeu polyphonique et anarchique de l’acteur. Nous assistons aux torsions corporelles du comédien, à ses crispations, à ses tremblements, à sa voix criarde souvent bègue, le tout conjugué à un écran qui diffuse comme image finale un danseur grimé d’une peinture blanche exécutant un pas dont le caractère saccadé est renforcé par « l’effet-boucle » de la vidéo. Et tout ceci fait inévitablement écho aux diagnostics psychiatriques d’un Frantz Fanon, théoricien de ce qu’on appelle aujourd’hui dans les postcolonial studies la décolonialité, lorsqu’il officiait à l’hôpital de Blida en Algérie en 1953. Pour Fanon, la manifestation de la domination coloniale est essentiellement corporelle. La crispation des muscles, la torsion des membres, l’incohérence du discours et sa violence révoltée voire pré-révolutionnaire sont les symptômes les plus efficients de l’aliénation. Le psychiatre martiniquais évoque également dans ses écrits politiques le néocolonialisme né de ces pseudo-révolutionnaires indépendantistes qui ne font, pour paraphraser le Capitaine Sankara, que dévoiler leurs tares de petits-bourgeois en réalité contre-révolutionnaires. A ce titre, Martillimi Lopez est ce cadavre exquis de tous ces chefs d’Etat qui se succèdent lors des indépendances africaines des années soixante en trahissant sans ménagements les idéaux ayant servi à infuser leur démagogie. Ces personnalités finissent toujours par se maintenir coûte que coûte dans l’absence d’autocritique et dans l’externalisation incessante de leurs conflits qui sont essentiellement internes.

 Pour le dernier acte, le comédien sort non pas de la scène par les coulisses mais en traversant lentement l’allée menant vers l’entrée des spectateurs, lieu par lequel il est entré. Tout au long de sa marche, il continue à proférer ses répliques hors-scène. Nous autres spectateurs, nous sommes invités à le rejoindre un par un pour recevoir sa « bénédiction » avant de quitter la salle. Nous sommes alors détachés du cadre rassurant de la salle de théâtre, accompagnés par cette prestation encore longtemps après la sortie…

Audio-livre, e-books, le champ des possibles non exploité du livre africain

Ecoute-t-il un audio-livre ? Peut-être...

Il y a peu, je commentais ma première expérience avec un audio-livre par le biais à partir de la plateforme Audible. Le géant du e-commerce et de la vente du livre en ligne a lancé depuis l’été dernier une campagne extrêmement offensive en France pour développer cette nouvelle expérience de l’audio-livre. Une manière différente d’aborder le livre, d’avoir accès aux textes des auteurs. Pour m’appâter, Amazon m’a proposé une première écoute gratuite. J’ai pendant quatre heures écouté Home, un des récents romans de Toni Morrison, lu par Anna Mouglalis. Pourtant, je n’ai pas souscrit à l’abonnement mensuel. Du coup, dans sa démarche commerciale d’acquisition, Audible me propose quelques mois après un nouveau crédit et naturellement, j’en profite. La gratuité n’existe pas dans ce bas-monde, surtout pour Amazon, la démarche est avant tout de créer un besoin, de faire découvrir cette nouvelle approche, une autre manière de consommer le livre et croyez-moi, si ce second livre audio m’est offert, Audible versera bel et bien les droits d’auteur à l’écrivain dont j’ai téléchargé la version audio de son livre.

Alain Mabanckou ou le désert de la littérature francophone en audio-livre

Alain Mabanckou, écrivain et enseignant

Cette nouvelle sollicitation d’Audible m’a encouragé à explorer l’offre de cette plateforme, en particulier en matière de littérature africaine en langue française. J’ai pu trouver plusieurs romans d’Alain Mabanckou, lu par lui-même. Et en dehors de lui, c’est le désert complet. Même le Sahara est un peu habité. Il y a longtemps que je voulais lire Petit piment, le dernier roman de l’écrivain congolais. J’ai donc passé commande et j’avoue que je savoure l’expérience. J’aurais l’occasion de revenir sur cet audio-livre et la lecture d’Alain Mabanckou. Comme cela a déjà été le cas dans le passé, l’auteur congolais est à l’avant-garde. Sauf erreur de ma part, Demain, j’aurai vingt ans a été disponible au format audio dès sa parution, il y a plus de six ans. On ne peut pas mieux anticiper un mouvement.

J’aimerais revenir sur cette absence de fictions africaines en audio-livre. Elle est révélatrice d’un constat déjà fait avec les auteurs francophones : le peu de préoccupation de ces derniers sur les avancées technologiques et les nouvelles possibilités qu’offrent le numérique pour avoir accès à leur univers. Planqués derrière leurs éditeurs respectifs, leur argument répété, régulier comme s’ils s’étaient concertés consiste à dire que ces aspects ne les concernent pas.  Elles touchent avant tout les éditeurs. Ainsi, que leurs livres ne soient pas numérisés ne leur posent aucun problème. Qu’une rupture de stock arrive quand un livre se vend bien ne les interpelle pas. Car, un livre numérique ne connait pas de rupture de stock. Peu se renseignent sur le livre audio. Peu posent des conditions sur l’exploitation de leurs droits numériques. On me dira que cela vaut pour les écrivains français aussi. J’objecterai qu’ils évoluent dans un écosystème où le livre circule. Toutefois, pour échapper à la dure loi du pilon, là encore le livre numérique est une possibilité de faire vivre le livre plus longtemps. L’écrivain africain qui a envie d’être lu sur le continent, étudié par des universitaires ne peut décemment évacué ce type de questions.

De la sous exploitation des droits numériques des auteurs francophones

Si les choses ont tendance à progresser, la numérisation des œuvres d’auteurs comme Sami Tchak, Gaston Paul Effa pour ne donner que ces exemples évoluent, force est de constater que beaucoup auteurs francophones talentueux et publiés parfois dans de grandes maisons d’édition parisiennes ont  de nombreuses œuvres n’existant pas numériquement parlant. Et au détour de certaines conversations, on peut entendre ces romanciers se plaindre que des étudiants en Afrique ne peuvent pas travailler sur leurs textes parce que ces derniers ne sont pas présents. Aussi, certains chargent leurs bagages de livres lourds, paient des excédents de kilos à Air France ou Ethiopian Airlines. Disons-le, tout ceci est absurde et à mettre sur la délégation ou les pleins pouvoirs que ces auteurs accordent à leurs éditeurs quant à l’exploitation de leur trésor. Malheureusement, intentionnellement ou par méconnaissance du sujet, ces maisons d’édition ne font pas de ce  sujet une priorité. Aujourd’hui, des bibliothèques numériques se développent comme Babelthèque, Cyberlibris ou NENA, des universités et autres institutions s’y abonnent de plus en  plus. Permettant aux œuvres littéraires numérisées d’être accessibles à tous les étudiants de la planète et les auteurs commissionnés modestement mais régulièrement en fonction de la consultation de leurs livres. La question est de savoir combien de romanciers francophones trouvera-t-on dans ces bibliothèques d’un nouveau genre ?

Livre papier VS Audio-livre / e-books

L’an dernier j’animais un débat passionnant à l’OIF sur ce passage du papier au numérique. Et un jeune romancier haïtien défendait avec emphase et âpreté les joies de la lecture du livre papier. Au fond de moi, j’étais consterné que de jeunes auteurs ne comprennent pas mieux que les anciens les enjeux de la révolution digitale, que le livre papier est condamné à mourir à moyen terme et – même si ce n’est pas le cas – le livre numérique et  le livre audio ouvrent un accès à de nouveaux publics, de nouveaux lecteurs. Le livre papier est un luxe. Il maintient des barrières géographiques. Sa diffusion, sa distribution dans la Francophonie du sud n’ont jamais réellement marché comme le téléphone fixe a toujours été l’apanage de quelques familles nantis à Brazzaville ou à Bamako là où le téléphone portable me permet de joindre mes cousines qui habitent le village ancestral, quelque part sur les plateaux Batékés. Le livre papier est une prison à ciel ouvert pour les romanciers produisant depuis le continent africain.

Alors pourquoi prendre un abonnement sur Audible, pousser plus la découverte des audio-livres, si les auteurs que je souhaite lire n’y figurent pas, s’il faut encore leur expliquer que leur éditeur fait au plus simple et que c’est avant tout aux écrivains de croire à ses nouvelles formes de lecture ? Bon, je n’ai rien dit.

LaRéus Gangoueus

Copyright photo : Henry Be et Alain Mabanckou auf der Frankfurter Buchmesse 2017

 

Le paradigme de l’éducation en Afrique

Fac des lettres DakarL’éducation en Afrique souffre d’une dépendance significative du fait d’un paradigme social qui n’est pas resté figé dans le temps mais qui s’est trouvé un nouveau visage que nous nommons, la mondialisation.

L’éducation est un droit fondamental de la personne humaine inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Elle est un moteur de croissance économique. Les études rétrospectives sur les différentes régions du monde en développement ont clairement établi que la croissance ne peut s’installer de façon durable sans une production préalable suffisante de capital humain. Elles ont également mis en évidence l’impact positif des dépenses d’éducation sur la réduction de la pauvreté et les inégalités ; l’éducation rend les populations moins vulnérables et favorise leur participation au développement, l’exercice de la citoyenneté et la bonne gouvernance. L’éducation a, enfin, des effets positifs incontestables sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles, la démographie, l’hygiène et l’état sanitaire. Elle est une condition du développement durable. Nous sommes ici à la croisée des droits fondamentaux et des enjeux globaux.

En abordant ici les problèmes de l’éducation en Afrique, nous n’avons pas la prétention de définir ce que devrait être « la bonne » politique pour l’Afrique : elle est de la responsabilité de ses gouvernants. Nous essayons de faire ressortir son importance sur les grands enjeux mondiaux.

En Afrique, l’éducation est considérée comme la clé qui permet d’établir une bonne conduite au sein de la société et le respect de la hiérarchie. L’éducation avait un caractère collectif prononcé, une globalité au niveau des agents. Tout le tissu social sert de cadre d’action. L’éducation est globale et intégrée à la vie. L’éducation traditionnelle se fait partout et en toutes occasions, dans le contexte habituel du travail et des loisirs.

Depuis le triomphe du capitalisme et la faveur du développement prodigieux des moyens d’information et de communication, le monde vit une mondialisation néolibérale aux conséquences dramatiques pour l’Afrique. Le faible niveau de développement de l’Afrique d’une part, la dynamique et les règles de fonctionnement de la mondialisation d’autres part, condamnent 750 millions d’africaines et d’africains à l’arriération la plus abjecte avec la paupérisation massive et continue, avec l’analphabétisme, avec des endémies et épidémies de maladies ; avec l’explosion de diverses formes de violence dont des guerres civiles fratricides.

L’Afrique a été violée à partir du 17è siècle quand les Occidentaux ont commencé à visiter les côtes africaines. Sur le plan économique, il y a au sein des groupes sociaux, des échanges qui se limitent à la communication des biens et des marchandises. Une économie de subsistance qui se réalise sans problème au sein des groupes sociaux, se basant sur les échanges matrimoniaux et les obligations de parenté. Du politique, le chef, dans l’Afrique traditionnelle, a une autorité charismatique lui permettant d’imposer le respect et l’écoute dans la vie communautaire. L’éducation dans l’Afrique traditionnelle est assurée par la famille, le clan et le lignage ; une éducation qui n’est pas détachée de la société. Avec la colonisation, le continent se voit imposer la civilisation occidentale avec tous les problèmes au niveau de la société africaine. Et le constat fait par presque tous les historiens et sociologues qui étudient les sociétés africaines est amer : l’importation des modèles étrangers sur le continent depuis sa rencontre avec l’Europe, ont entraîné un grand séisme sur les plans politique, économique et social. Cette situation a fait que, les élites africaines soient accusées de l’opprobre et du déshonneur qui frappent l’identité africaine. Aussi, après les ravages du colonialisme, la mondialisation enfonce le clou car se charge de déconstruit et reconstruit les États africains selon des modalités qui favorisent la libre circulation des capitaux, des marchandises et de la technologie. Exemple de la domination culturelle des Français dans leurs ex-colonies par la dégénérescence des langues locales marquées par le français ; celles-ci ont perdu leur originalité avec déformation des patronymes africains et interférences linguistiques. Et dans le quotidien africain, se développent de nouvelles relations sociales. Par complexe devant la civilisation occidentale, les Africains perdent leur « authenticité » par mimétisme. Les adolescents découvrent une autre image de la sexualité à travers l’audiovisuel et la littérature pornographique. Avec le choc des cultures (occidentale et africaine), les jeunes paient un lourd tribut dans l’aliénation culturelle. Ils délaissent le vêtement traditionnel et s’habillent comme le Blanc. Complexé par l’image du Blanc, le Noir africain se blanchit la peau, ignorant les conséquences néfastes de cette pratique. À cela, il faut ajouter l’impact négatif de la musique moderne africaine dans la société. Considérée comme vecteur des valeurs morales pour conscientiser le peuple, elle est bradée par des musiciens qui valorisent le sexe et l’argent.

Il est vrai, que l’Afrique est inondée par l’écrit, l’image, et le son, de produits culturels en provenance de l’Occident qui dispose de puissants canaux de diffusion de ces produits pour atteindre les villages et hameaux les plus reculés dans la brousse africaine. Si l’on y ajoute les gammes du multimédia et de l’Internet, on mesure à sa juste valeur l’ampleur destructrice de l’invasion culturelle du continent qui semble démuni pour y faire face. On aurait eu peu à réduire si ces produits culturels avaient des contenus plus enrichissants et valorisants au lieu de toujours mettre en relief les bas instincts de l’homme. Or, force est de reconnaître que chaque production culturelle véhicule évidemment une vision du monde, des valeurs, des croyances et des comportements qui sont susceptibles de conditionner puissamment et de changer les attitudes « du consommateur ». Il est en effet, prouvé dans l’histoire que toutes les dominations politiques durables, tout comme les résistances conséquentes à la domination ont été d’abord bâties sur le socle culturel.

Dans sa dynamique actuelle, la mondialisation broie le corps et l’âme de l’Afrique. Cette situation n’est pas une fatalité. Elle résulte entre autres, du retard considérable que l’Afrique accuse en matière d’éducation. Dans un sursaut d’orgueil voire de survie, l’Afrique doit se forger une nouvelle mentalité : l’afro responsabilité, pour une Afrique plus forte par une attitude de valorisation

L’Afrique doit mobiliser davantage de financements pour développer de façon harmonieuse son système éducatif. Introduire davantage les langues nationales dans le système éducatif. Faire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche un levier d’émergence économique.

L’Afrique peut se ressaisir pour se repositionner favorablement dans la mondialisation. Des alternatives existent pour cela, il ne manque pour le moment que l’expression forte de la volonté politique des Etats et de la prise de conscience des peuples africains de leur responsabilité dans le combat pour une mondialisation de la justice, du progrès social dans le respect des identités de chaque société.

Wilfried Koikson

SOURCES :

  1. Essé Amouzou, L’impact de la culture occidentale sur les cultures africaines, L’Harmattan, Paris, 2009, 190p.
  2. Anthony Stephanie, Civilisation (niveau débutant), CLE International. Deslandres, Paris: (2003)
  3. Simeon Olayiwola, Initiation à la culture et civilisation Françaises et
    Francophones. Agoro publicity company. (2005) (2ème édition)
  4. Source photo Serigne Diagne 

Le FIFDA 2017 se place sous le signe de la mémoire et de l’identité

Gurumbe. Copyright

Pour sa cinquième édition, le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA), qui aura lieu du 8 au 11 septembre dans plusieurs cinémas parisiens, célèbre la mémoire et l’identité. Mémoire des Africains du continent vue de l’intérieur, mémoire de leur diaspora située entre deux rives : de ces deux faces de l’Histoire découlent les questionnements identitaires que vivent au quotidien les milliers d’Africains, locaux ou immigrés, et d’afro-descendants de la diaspora.

Des mémoires enfouies ou niées  

Après Tango Negro, de Dom Pedro de Angola, qui remettait au goût du jour les origines africaines du tango, Gurumbe exhume les traces de la présence d’esclaves en Espagne : les racines profondément africaines de la musique andalouse. Independencia nous envoie vers d’autres mémoires ibériques : celles de la lutte angolaise pour l’indépendance, une des plus longues et des plus éprouvantes de l’Histoire. Des vétérans joignent leur témoignage à des images inédites. Dans le registre de la lutte, le Maroc n’est pas en reste : Fidaa relate le dilemme d’un résistant anti-colonial face à un beau-père collaborateur ayant participé à l’emprisonnement et à la mort de nombreux résistants.  Même combat pour les rastafari de la Jamaïque dans The price of memory, qui demandent réparation à la reine Elisabeth II d’Angleterre pour les années d’esclavage qui ont marqué la belle île, s’inscrivant dans la lutte pour la reconnaissance de l’esclavage qui a pris racine dès 1960.

FIFDA
Mariannes noires, de Mame-Fatou NIANG & Kaytie NIELSEN, à l’affiche du FIFDA 2017.

Un présent à réinventer  

Pour les protagonistes des Mariannes Noires, il est avant tout question de liberté. Liberté de choisir à quelle(s) culture(s) on appartient, à quels principes on adhère. La question de la liberté d’être est tout aussi prégnante chez les héros de Dites-leur que nous avançons, sur l’histoire des universités noires aux Etats-Unis, de Mohammed le prénom, ou de Medan Vi Lever, où l’on explore la problématique du retour avec un humour salvateur. S’y ajoute l’effet de miroir en rapport avec le regard de l’autre. Stand down Soldier, qui met en scène une femme soldat témoignant de son expérience en Irak, inscrit les parcours de la diaspora dans un destin détaché des carcans identitaires, et pose la question du rôle de chacun dans la destinée universelle. Chez le réalisateur de N.G.O. (Nothing Going On), c’est l’espoir suscité par l’ ailleurs qui ressort, poussé par la représentante américaine d’ une fausse ONG. Avec, en prime, une réalisation teintée d’humour pour évoquer des sujets d’une extrême gravité. Déroutant, le FIFDA, comme chaque année !

Voir l’intégralité du programme et les dates de projection

Touhfat Mouhtare

  L’immigré (e) en contexte professionnel occidental

immigré-Disguise1. Le contexte

L’arrivée et l’intégration

 Lorsque l’immigré prend pied dans un nouveau contexte de travail, il a toujours ce sentiment étrange de non appartenance et d’usurpation. Il ne s’agit pas d’un complexe par rapport à son niveau intellectuel, plutôt le  sentiment parasite de ne pas être  le visage attendu. Une sensation qui sait toujours s’inviter et contre laquelle l’expérience ne fait rien. L’immigré se sent toujours le choix de second rang : « ils auraient préféré une blonde aux yeux bleus ». Ce sentiment de l’imposteur on peut le porter longtemps, comme un proche parent, pas amical pour un sou, nous accompagnant dans des pérégrinations universitaires ou même professionnelles ; parasitant estime de soi et intégration sociale, dans la belle France. Une intégration par à-coups, éternels recommencements, face à un pays dit-on “ouvert”; mais dont l’expérience du vivre-ensemble demeure problématique, une paroi étanche, difficilement franchissable ; voire impossiblement franchissable pour les plus malchanceux.

La cohabitation

L’immigré se sent souvent en bas des choix préférentiels. Il est le ‘moindre’, celui dont la voix ne compte pas, dont le point de vue est caduque, un être elliptique, un son diffus, un brouillage. Parfois il s’affirme, lors d’une réunion, et là, miracle ! Il suscite des regards, de l’admiration! Enfin ! « Voilà ma valeur affirmée ! » pense-t-il, avant de retomber dans le rythme lent de l’indifférence.

L’invisibilité noire est un sujet fort dans la littérature et les textes théoriques afro-américains, comme l’ouvrage Invivible Man de Ralph Ellison (1952, Random House) ou  des sujets des Blacks Feminists.  Ce thème montre comment les Noirs ont souvent perçu leur vie/présence comme nulle, facilement tue, face à une écrasante visibilité blanche. La couleur noire représente cette invisibilité, elle écarte des lieux de pouvoirs et soustrait du droit à la parole…à l’existence. Cette invisibilité complique les relations entre communautés (surtout blanche et noire). La race blanche ayant résolu la question de son être au monde ; la noire elle, cherche sans cesse à comprendre, justifier sa présence. Ayant un emploi, elle tente de prouver son bagage, et se sent plus que toute autre amenée à combattre des ennemis physiques et invisibles, car intégrés.

Le sentiment d’échec

L’immigré voit l’échec en le mesurant aux réalités socio-économiques de son contexte d’origine. L’origine représente ce lieu qui nous a tirés comme des flèches du carquois. De là-bas à ici, il y a deux êtres, deux réalités quasi irréconciliables. L’immigré évolue avec deux accents, deux rythmes, deux salaires, deux représentations de lui-même. Le contexte d’immigration est donc un écartèlement identitaire, une manière de faire fusionner celui qu’on est et celui qu’on devient. L’échec pour l’immigré est donc de voir les humiliations qui en nouvelle terre d’accueil, vont tenter de nier sa présence, de l’invisibiliser. Il tente alors d’étouffer cette lecture dépréciative, juxtaposant à cet ante-discours, un nouveau cadre de vie.

2. La remontée

Vivre avec le poids de déplaire et de faillir

L’immigré vit avec le poids de déplaire et celui de faillir. Cette peur le tenaille, il la porte comme un vêtement. Ce vêtement est aussi visible que tout autre.  La peur est l’apanage de tous, mais la peur de l’acceptation de soi est particulièrement prégnante chez les personnes qui, parties de chez elles, doivent retrouver d’autres racines. Leur identité, avec le voyage, a été morcelée, éparpillée aux quatre coins du monde. Ils observent avec envie les êtres complets qui gravitent autour d’eux et qu’ils ne sont pas. Ils sentent le manque, cette cassure. La cassure, le sentiment de diffraction, l’écartèlement culturel, le nihilisme de l’ancien-soi.

Car dans le désir d’intégration, il y a le refus de soi, de là d’où l’on vient. On pense que c’est parce que l’on est d’ailleurs que les choses ne fonctionnent pas comme elles devraient. On veut donc éradiquer complètement ce soi dangereux, cet accent, ces vêtements, ces épices, ces manières de parler. L’on flirte alors bien vite avec la honte de soi, la colère d’être soi. On en veut à la vie le hasard de sa géographie d’origine.

On peut mettre des années avec cette peur. On peut mettre des années à mettre des mots sur son malaise, on appellera cela immaturité, mal chance, racisme (sans ignorer que cela pourrait être le cas). On trouvera des termes pour comprendre la différence de sa situation et cela ne fera que nous rappeler notre isolement.

Revenir ou pas

Immigrer c’est choisir, par choix ou par obligation, à un moment donné, de rentrer dans un système. Ce système offre des privilèges à ceux qui très souvent, doivent oublier le passé. La mort de l’ancien renouvelle l’espérance dans le nouveau. L’Occident demande alors une intégration totale, un abandon à sa cause. Adhérer à ce système c’est entrer dans des modes de fonctionnements idéologiques, faire ce qu’on doit faire parce que tout le monde le fait. Connaître une nouvelle norme. L’immigré choisit alors de re-centrer sa vie dans ce nouveau contexte. S’y sent-il chez lui ? Au début il y arrive, il essaie de s’en convaincre.  L’ambition, la peur du retour, le rejet, la solitude l’y confortent. Il négocie avec lui-même des conditions d’un retour ; sans trop y croire. Mais très souvent pour lui, le chemin (surtout pour les immigrations des pays du sud vers le nord), cette montée-là est sans marche arrière. Elle demande d’aller plus vers l’image de l’Occidental, repartir c’est souvent perçu comme régresser, se pervertir à nouveau.

Le refuge de l’exil

L’exil ou l’immigration ne sont pas toujours des temps de mort ; mais parfois des temps de renaissance. Ils nous changent et représentent,  après la naissance, notre propre choix géographique ou nouvelle naissance. L’exil en tant qu’arrachement représente finalement un départ. Il nous place dans le véritablement lieu, celui que finalement on choisit vraiment. On va s’y établir, construire, donner, mais aussi être détruit.

En fuyant l’autre, l’ancien, on va avoir des blessures, cacher ce que l’on est. On pourra aussi, parfois, le faire revivre. A force de trop le fuir, l’origine rejaillira, et l’on se surprendra à écouter les anciennes musiques, à parler avec de vieilles connaissances, à faire revivre cet accent qui représentait le blasphème. Parce qu’au final, cette soi-disant intégration, vaut-elle vraiment la peine de notre mort ‘définitive’ à nous-même ?

Pénélope Zang Mba

Le regard du professeur Kom

Ambroise Kom est un professeur de littérature reconnu qui longtemps a dispensé son savoir aux Etats-Unis. Il fait partie de ces critiques qui ont beaucoup travaillé sur des auteurs de la trempe de Mongo Beti. Pour le lecteur que je suis, c’est toujours un plaisir d’échanger avec une telle sommité pour confronter une lecture et dans le fond, ouvrir le champ d’une lecture variée d’une oeuvre…


Nous avons donc eu le plaisir d’échanger sur une oeuvre que j’ai rangée dans le rayon de mes coups de coeur 2016 : Racines d’amertume du béninois Landry Sossoumihen.                                                                                                                                                                    

Je ne pense pas que le professeur m’en veuille de rendre public cet échange passionnant. La CENE littéraire a organisé des tables rondes durant le salon du livre de Genève sur les oeuvres qui ont fait partie de la sélection finale du Prix du livre engagé. Je ne sais plus trop comment notre discussion a démarré. Le professeur Kom a relevé le fait que ce premier roman s’il traite de manière relativement intéressante la question du retour des élites africaines sur le continent, il comporte quelques lacunes qui se centrent autour de la récurrente démonstration de la compétence de ce médecin urgentiste béninois basé à Cherbourg dont Landry Sossoumihen relate le combat constant contre la mort. Cette permanence des cas cliniques a été relevée par plusieurs lecteurs soulignant peut être une limite pour l’auteur à fictionnaliser le sujet. Il me semble pourtant dans la lecture que j’ai faite de ce roman qu’il s’agit plus d’une toile de fond importante, un contexte que le romancier propose à ses lecteurs. 

Ce contexte brosse une forme de réussite, le portrait de cette élite africaine qui tente de s'intégrer en France. Une place saisie par le mérite et l'application d’un savoir chèrement acquis. Un renversement d’un certain rapport de force. En effet, si le challenge de Vandji – personnage central – est avant tout de maintenir ses patients en vie, de repousser les affres et offensives de la mort, le lecteur lit aussi une quête passive chez Vandji de la reconnaissance du patient. Je ne serais pas naïf en sous-estimant ce regard à rebours où la question raciale ne peut être expurgée. Toutefois les rapports de force s’expriment dans ce regard premier. D’ailleurs ce regard est proposé sous trois formes différentes dans ce roman. Celui d'un milieu socio-professionnel pédant, se cachant derrière des statuts et des lois pour refuser à Vandji la reconnaissance de ses pairs. Celui d’une vieille dame affable et sans intention trouble qui souligne à Vandji de manière douce qu’il n’est pas indispensable en France et que le vrai challenge pour lui est de répondre aux attentes en terme de santé des Béninois. Enfin, il y a celui de François Pesnel qui offre par sa folie, l’expression d’un discours franc et sans équivoque : vous êtes en France un sous-médecin, un médecin esclave. Ambroise Kom souligne que ce regard dans la sphère publique est beaucoup plus important à analyser que ce qui est exprimé dans les salons ou dans le secret du lit conjugal.

Dans le fond, la réussite sociale est finalement dans le rapport à ce regard. La discussion prend une tournure passionnante. On sent dans les mots que la réussite des élites en France est une imposture si ce regard est sous-pesé. Et d’une certaine manière les démonstrations en compétence de Vandji ne font que souligner un mensonge qui ne dit pas son nom. Produit du système américain, j’ai le sentiment qu'Ambroise Kom à une lecture outre-Atlantique du sujet. Mais il rappelle qu’aux Etats Unis, le rapport à l’autre est différent. Dans le fond, si le job est bien fait, on se fout du regard de l’autre. La condescendance ne s’exprime donc pas de cette manière. Et pout caricaturer la chose, je dirai qu'en France, avant que la question de la compétence soit posée, il est demandé au Noir en France : "Que fais-tu là ?"

Il y a donc une débauche inutile d’énergie de Sossoumihen selon le point de vue exprimé par Ambroise Kom à vouloir prouver quoique soit à celui qui décide d’accueillir ou pas. De plus, il pousse son analyse plus loin en rappelant que sur la terre d’origine, Vandji n’est pas attendu et le sentiment d’impuissance est criard.  Ce que j’aime dans cette discussion avec cette homme de lettres camerounais droit dans ses bottes, ce sont les partis pris assumés. Et la littérature, c’est avant tout cela. La sphère familiale qui, de mon point d'attaque, est intéressante puisqu’elle est dans le cas de Vandji un lieu de perpétuels questionnements, est relativement secondaire pour l'universitaire camerounais. Tenir debout dans la sphère publique repose pour moi sur cet exo-squelette. Le combat intérieur dans la cellule familiale est essentielle. Il permet de bâtir des hommes et des femmes solides prêts à affronter n’importe quel système, raciste ici, corrompu là-bas. Nayline est la gardienne des rêves de son mari, l’élément non corrompu par le confort et un projet de dissidence. Le discours sur la structure familiale est donc à mon sens tout aussi importante que les combats menés sur la place publique.

Dans le fond, tous les regards sur Vandji sont instructifs et révélateurs de la réussite ou pas de cet homme et de son intériorité. Mais, le plus important est celui qu'il porte sur lui-même. Face au rejet, le sensibilité de médecin urgentiste béninois touchera un grand nombre de lecteurs. Droit dans les yeux, le professeur Kom me regarde.

Lareus Gangoueus

Abdelaziz Baraka Sakin, lauréat du Prix du livre engagé 2017

Baraka Sakin, prix du livre engagé
Abdelaziz Baraka Sakin, prix du Livre engagé de la CENE Littéraire. Photo : Laréus Gangoueus.

Des prix. Encore. Toujours. Le prix du livre engagé de l’édition 2017 a été adressé au romancier soudanais Abdelaziz Baraka Sakin. Une cérémonie riche en émotions fortes en plein cœur du Salon du livre de Genève. Un prix récompensant un texte fort qui livre au reste du monde la singularité des intrigues politico-militaires du pouvoir de Khartoum dans ce pays si vaste, si central que représente le Soudan. Cette terre au carrefour des brassages ou pas entre noirs et arabes d'Afrique, où la question de l’esclavage ne semble ne pas avoir été vraiment affrontée et qui régit encore aujourd'hui le statut des individus et les rapports entre populations de ce pays. Bon, je ne vais pas vous refaire la critique de ce roman.

L’émotion est donc palpable sur le stand de la CENE littéraire. L’écrivain est heureux. Il brandit fièrement le Prix et le dédie à son peuple. Flore-Agnès Nda Zoa, présidente de l’association La CENE littéraire, avocate mécène, auteure d’un discours très volontaire, où elle rappelle les contraintes en termes d’organisation sur le plan matériel et financier d'un tel prix, un investissement garantissant toutefois la liberté totale du choix. Un prix de lecteurs passionnés. Un jury très relevé présidé par Ambroise Kom, comprenant les écrivains Boubacar Boris Diop, Koulsy Lamko, Ken Bugul, ou le Dr Hortense Sime.

L’enthousiasme du soudanais est communicatif. Il faut dire que Timba Béma, artiste, avait introduit la cérémonie par une délicate mélopée par laquelle il nous invitait à prendre le parti de nous souvenir. Se souvenir, une des fonctions de la littérature…

Émotion palpable car les massacres se poursuivent sur le terrain. La question du Darfour n’est pas un épisode passé de l'histoire contemporaine. Les janjawids poursuivent leurs actions criminelles sur le terrain. C’est juste le zoom des médias internationaux qui s'est focalisé sur autre chose. Ce prix a donc une signifcation réelle.

N'hésitez pas à découvrir la présentation proposée  du roman Le messie du Darfour sur le site de la CENE littéraire puis l'intervention du romancier soudanais au Salon Africain du livre.

Un dernier mot pour saluer les lecteurs de la présélection de ce prix littéraire d'une part et encore une fois, d'autre part, le travail de Laure Leroy, directrice des éditions Zulma qui a donné la possibilité à ce texte d'exister dans l'espace francophone ! 

Reflections: From the Misery of Lucid people in a Simple World

lucides les deux fridas"And no doubt our time … prefers the image to the thing, the copy to the original, representation to reality, appearance to being … What is sacred to him, Illusion, but what is profane is the truth. Better still, the sacred grows in his eyes as the truth diminishes and the illusion grows, so that the height of illusion is also for him the height of the sacred.’’

Feuerbach, (Preface to the second edition of The Essence of Christianity).  

The propensity not to be interested in what really makes sense, which is characteristic of our century and many others, however, which is stronger in ours, diverts our attention from the questions we should ask ourselves in order to guarantee our progress in the long march of humanity. Yet to believe that man, although rational, self-conscious and present to the world, spontaneously asks questions about what is the basis of his existence, is only an additional illusion. To interrogate oneself in this way presupposes the habit of thinking, thinking hard.Now thought, which only requires time and availability of the mind, is made more and more difficult. The conditions of its exercise at least, more economic, and therefore social conditions, influencing production and dissemination of culture, promote cultural products, which, far from questioning us sternly and illustrating our troubled situation, like the works of the Greek tragedians and their successors (Shakespeare, Corneille, Racine), divert major concerns so that it is even sacrilegious to pay attention to it. Distracted by stupidity and inconsistency, such is the man of our times. Projected in a fictitious world free from the difficult condition of man, the consumer, whose only concern is the passive use of products, has replaced the citizen who, because he is a responsible actor, endeavours to understand his society and participate in its progress.

Spared from the frightful wars that seventy years ago were raging on almost every generation, his civil and political freedoms guaranteed by the victory of liberal democracy, robbed of individualism, spared from harsh material conditions through unbridled growth for three decades, The West, a longtime defender of the greatness of man and the fundamental values ​​of the latter (despite the very serious aberrations due to the belief in the inferiority of other races), gives signs of lassitude. The West is no longer the irreverent and fiery thought that, at the cost of bitter fighting, shakes up every idea of ​​enslavement, domination, in short, irrational behaviour. The obscurantism and the tutelage of all kinds conquered by audacious thought have been replaced by another flaw, one of the crux of his economic philosophy: the desire for simplification.

Yet, simplify, simplify! The condition of man, though modern, will remain complex and predominantly tragic! The need to think, to understand will never be replaced by technology and culture. Those who propose the dangerous goals of sparing difficulties without which man does not actualise, are merely quixotic: they take windmills for giants. This loss of sense of reality to shut oneself up in the ideal decreases the ability to face reality, and diminishes the capacity to negotiate in the face of destiny, but rather exposes it to being subjected to it. Indeed, it is not by dodging reality that one gets in front of it and that one finds a modus vivendi, but by getting involved with it.

Merely thinking in a context in which everything is organized to hold reflection at a distance, supposes, when one is not born a philosopher, that awareness has been marked by a phenomenon or an event which refers so deeply into itself. That, confronted with this self, that is questioned and which in turn questions us, births an inner dialogue whose synthesis will form our own apprehension of reality, and therefore our thought. The impressions the world makes on us are reflected upon our consciousness, and from this relation arises our own vision. It is only through the friction of the ego with phenomena or reality that we are able to react. Thus one becomes aware of oneself and hence, the fact that a real relation to the world requires the prior analysis of the latter by self. It is thanks to the frequent trade and practice of thought that one confronts reality, that it is decomposed because thought (logein) promotes an understanding of what binds phenomena to one another. And they are said to be intelligent those who, by by reason of their clairvoyance, readily bind the facts among themselves. The habit of observation, of reflection, of concern for objectivity, truth and rationality, which therefore characterises souls marked by movement and courage to see and accept reality as it is, are melted like a nugget in the crucible of lucidity.

Unlike the romantics who live according to their feelings and their imagination, animated by the hubris. These are characters of tragedies carried to the height and crash in the manifestation of their person, which, accordingly as their extra energy and disorder are tame or not, produce either the very great, the very beautiful, or the pitiful, the lucid.Armed with that light that makes them perspicacious, having the passion of the real to which they have no desire to escape. They accept it because they do not reinvent it, but only modify it by confrontation. Such an ability to analyze phenomena in the details that underlie the relevance of views; the security of judgment assured by prudence and doubt, which refuse the ease of appearances, produce strangeness that always ends up disturbing others. As most humans, driven by their moods, passions, and interests, rather than by sacred reason, do not forget the characteristic, certainly restrictive, but most important, of humans.

This is the beginning of the misery of the lucid. Having abhorred the natural propensity, which marks the history of humanity, to be led by group, national, regional, partisan, religious affinities and any reconciliation based on something other than objective truth, they defeat emotional ties if necessary. They brave the authorities when proven unjust and violate the laws. One would think of such heartless people as they reason and analyse perpetually; who are, on the contrary, when one looks at them well, people of great sensitivity, but who shun all sensibility.

Translated by:

Adaeze Akaduchieme

 

Ultralibéralisme, démocratie et citoyenneté : l’improbable compromis.

démocratie-député JB Belley
Jean-Baptiste Belley, député sous la Révolution française. 1798.
La démocratie est à ce jour, dans ses principes du moins, le régime qui favorise le mieux l’éclosion de l’homme dans toute sa splendeur, mais l’application effective de ses principes n’a rien d’aisé, car elle est un régime des hauteurs. La vivre véritablement suppose de débarrasser l’homme de sa pesanteur, de réduire sa charge d’égoïsme et de mesquinerie, car ce régime exige, pour briller de tous ses feux, des hommes magnanimes. C’est pourquoi elle doit demeurer une quête permanente. Le moindre relâchement, la plus petite négligence quant à ce vaisseau en route vers la félicité, dont la barre et les instruments de navigation doivent être surveillés en permanence mènent à des dérives et des régressions dangereuses auxquelles les gredins n’hésiteraient pas à exposer ceux qu’ils ont la charge de conduire (la démocratie n’est pas pour eux).

Vigilance, une exigence citoyenne

Vigilance, donc ! Tel est le mot d’ordre. En tous instants, en toute circonstance. Au niveau des individus, il s’agit de vigilance envers soi-même, envers son engagement citoyen d’abord, puis vigilance envers le fonctionnement des institutions. Vigilance quant à la force de la loi, sans laquelle les institutions n’ont de sublime que la beauté des murs qui les abritent. Leurs frontons, leurs colonnes, leurs frises, leurs statues, ne cessent pourtant de nous rappeler la grandeur et la noblesse des premiers qui en instituèrent les principes et de ceux qui les portèrent jusqu’à nous.

Démocratie, entre luttes et défense de la dignité humaine

L’aventure démocratique occidentale, hormis son aïeule grecque dont le terreau était une certaine idée de l’homme, mesure de toute chose et par essence libre, n’était pas le fait d’une constitution particulière de l’homme d’Occident, mais elle était fille de l’audace et de l’insoumission, seules capables d’inventer d’autres possibles. Soutenue par une pensée juchée sur une conception élevée de l’homme et par conséquent des rapports sociaux et des institutions qui les régissent, au secours desquels s’étaient plus tard portées des actions militaires ou des soulèvements populaires, la démocratie finit par s’imposer en Occident et être portée en triomphe, dressée sur un char dont l’attelage était fait de la loi, de l’égalité, de la liberté, de la séparation des pouvoirs, du pluralisme, du respect de la dignité humaine. Enracinés, tels de vieux chênes, dans l’esprit et les institutions occidentaux, ayant eu le dessus sur leurs adversaires idéologiques d’hier, les principes de la démocratie, renforcés par leur victoires historiques, furent propagés avec un succès relatif au-delà de leurs limites traditionnelles. Ils furent reconnus et acceptés par des peuples qui, quoique les vivant peu du fait de barrières plus politiques que culturelles comme on veut souvent le faire croire, y aspiraient néanmoins fébrilement. Aussi, même acceptés, dans ces contrées peu habituées à cette façon d’organiser la vie politique, comme la parole de l’Evangile tombant sur un sol rocailleux, ces principes ne purent-ils germer partout où ils furent semés. Elle ne germa pas faute d’y croire, mais elle n’advint pas par défaut de batailles. Aux hommes vaillants les grandes choses, aux sociétés lutteuses le progrès. La démocratie, la vraie, la révolutionnaire, nous dit l’histoire, ne s’instaure que par la lutte. Son avènement menace les pouvoirs, les privilèges, les rentes, les aristocraties, elle fait place à la véritable noblesse celle du partage, de la justice, de l’égalité et de la liberté. Cependant, nous l’avons dit, le progrès est fils de luttes, de dépassements, de privations toujours plus grands pour donner cours à des meilleurs lendemains. C’est pourquoi les plus grands progrès politiques et sociaux sont souvent précédés de périodes plus ou moins longues de souffrance, d’étouffement, de frustrations, de honte. Lorsqu’ils surgissent enfin, ils sont accueillis avec liesse et souvent ébahissement car ils libèrent.

Occident :l’essoufflement citoyen

Or depuis la Libération, la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Occident libéré n’a plus eu à connaitre les hésitations de l’histoire, atermoyant entre évolutions et régressions. Habitué à une paix merveilleusement longue comparée aux détonations que ne manquait pas connaitre toute génération ou presque, et à un progrès technologique époustouflant auquel les masses accèdent sans encombre, l’Occident (et le reste du monde créé à son image), vautré dans son confort, entièrement acquis aux valeurs les plus matérialistes, a perdu le sens du  tragique. En même temps qu’on y crée le progrès tel qu’entendu dans la société ultra libérale, on s’y amuse à un point qui confirme que l’homme, qui y était jadis volonté de conscience y a perdu la tête ; on le croirait devenu volonté d’insouciance. Les préoccupations qui le plongeaient dans de graves méditations sur sa condition et son devenir ont été balayées par un excès d’assurance qui l’a plongé dans une profonde inconséquence. La facilité inouïe de son existence aussi banale qu’insipide en a fait un être désincarné, malléable et dangereusement servile.

C’est preuve que ce progrès-là est malsain. Contrairement au progrès d’antan qui se voulait collectif, affectait la société dans sa globalité et révélait à l’homme sa dignité, celui-ci il est abrutissant. Il produit des imbéciles savants complètement détournés des questions non seulement personnelles nées de la volonté de savoir et de comprendre, caractéristique de l’homme, mais aussi des préoccupations collectives, les seules capables, parce qu’elles révèlent les véritables conditions de l’épanouissement des êtres sociaux, de hisser l’homme au-dessus de la médiocrité.

Sous l’impulsion de ce progrès déshumanisant, qui assèche l’esprit et réduit l’homme à l’état de consommateur en ce qu’il stimule le désir de s’encombrer toujours, le gave sans le tonifier, et favorise un quant à soi si loin de l’individualisme des Lumières, la défense d’intérêts collectifs a perdu son souffle. Adieu syndicats, adieu militantisme ! Effrayé, leurré et surtout occupé par cette société chronophage où faute de temps à soi, on rechigne à en donner pour la collectivité, le peuple s’est vu remplacé par des défenseurs qui roulent bien peu pour lui.

Les libertés individuelles chèrement acquises, dont, à vrai dire, la conscience chez les individus d’aujourd’hui se limite à la possibilité d’aller et venir et d’étendre chaque jours un peu plus l’emprise de la bêtise, sont menacées sous les yeux de ceux-là mêmes à qui elle confère des privilèges. Les libertés publiques maintenues avec une habileté d’artiste ne sont plus qu’un épouvantail, en tout cas tant qu’elles ne serviront pas les buts pour lesquels elles ont été instituées, elles demeureront des armes inefficaces. Tout le monde a ce mot à la bouche : démocratie, mais semble oublier que ce régime implique des citoyens responsables et impliqués dans le devenir de leur société. Il implique également qu’on fasse attention à la conduite des affaires. Confier les rênes à des instances aux mandats importants et peu comptables des choix qu’elles imposent, qui ont réduit le peuple à un rôle de téléspectateur qui donne son avis lors de consultation graves avec la légèreté et la désinvolture qui convient à une élection de miss, est sans conteste une régression démocratique que rien ne justifie. Pourtant, malgré sa tendance moutonnière, ce n’est pas vraiment au peuple qu’il faut en vouloir. Brouillé par le discours des politiques de gauche et de droite qui, défendant moins ses intérêts que ceux des puissants, appliquent à quelques nuances près les mêmes politiques, le peuple d’Occident, jusque-là jouant ce jeu du ni-ni, montre des signes de lassitude et peu à peu sourit aux thèses populistes.

 

 

Le khanga, témoin du patrimoine culturel et historique Swahili

khanga tissu zanzibar
Femmes de Zanzibar portant le khanga. Source : African Fashion Design.

Khanga, c'est le nom swahili de l'un des tissus les plus répandus en Afrique du Sud-Est. Il est orné de motifs d'une beauté impressionnante, mélange surprenant d'Afrique et d'Orient, et porte toujours un message sur l'une de ses bordures, ce qui en fait un véritable moyen de communication entre les femmes. Le khanga puise ses origines dans un passé alourdi par l'esclavage et sublimé par la résilience d'un peuple : il est le témoin, par son histoire, mais aussi par les messages qu'il porte, de l'Histoire et des bouleversements culturels de tout un pan de la côte swahilie, depuis le Burundi et le Kenya jusqu'aux îles Comores, en passant par le carrefour culturel qu'est l'île de Zanzibar. 

Une étoffe d'amour, de politique et d'autres choses

Le khanga est avant tout une histoire d’amour. Les mères l’offrent à leurs filles à l’âge de la puberté pour célébrer leur passage à l’âge adulte. Symbole de féminité, il les accompagne tout au long de leur vie, orné de motifs qui évoluent avec le temps. Leur particularité, c’est le message qu’ils portent, et que les femmes véhiculent en le portant. Une femme blessée peut arborer un khanga porteur d’un message plein d’un esprit de revanche sur la vie ; deux amies peuvent porter le même khanga où est inscrit un ode à l’amitié ; l’amour n’est pas en reste. Lors de la saison des mariages aux Comores par exemple, les familles des mariés commandent de nombreux khanga aux motifs similaires pour que les femmes les portent durant les danses et fêtes au programme, avec un message évoquant l’amour, les vœux de bonheur, le triomphe de l’amour. Chaque khanga véhicule un message, ce qui fait que chaque khanga est unique : c’est ce qui fait la particularité de cette étoffe, héritage de la rencontre violente entre l’Afrique et l’Occident lors de la traite négrière.

khanga obama
Un khanga en l'honneur d'Obama, Tanzanie.

Le khanga est aussi un instrument de propagande politique : il se recouvre du portrait des candidats aux élections présidentielles ou gouvernementales, avec force messages et slogans de campagne. C’est aussi un support religieux : à Zanzibar, il peut porter des versets bibiques ou coraniques, célébrer des personnages hautement révérés tels que Jésus, et inciter les gens à s’en remettre à Dieu.

Une étoffe, plusieurs histoires

Il est difficile de retracer l’histoire du khanga. Le nom khanga, qui signifie pintade en swahili, viendrait de ce qu’en général, les motifs du khanga sont dessinés sur un fond de points noirs, imitation du pelage de la pintage. Chaque élément a son nom : le motif, la bordure, toujours noire, et le message (jina). L’histoire la plus répandue fait état d’une mode qui serait née dans les années 1800 à Zanzibar, après que les négriers aient débarqué des esclaves enveloppées dans des étoffes grossières qu’elles se sont ensuite appropriées en les ornant de motifs. N’ayant pas le droit de s’exprimer, elles auraient pris le parti d’inscrire leur pensée sur ces étoffes. Une autre version relate qu’une comerçante zanzibarite a décidé de se procurer des carrés de tissus venus d’Europe pour les orner avec des motifs orientaux et swahilis. Quoi qu’il en soit, le khanga a fait son petit bonhomme de chemin, et constitue aujourd’hui l’élément central de la garde-robe féminine. On les vend par paires, appelées leso, que les époux offrent à leurs femmes tous les deux mois, et que l’on garde précieusement dans un coffre embaumant l’encens.

Une célébration des âges de la féminité

Le khanga sert aussi de relais entre les âges. Tous les khangas n’ont pas la même épaisseur. Toujours en coton, ils sont fins pour les jeunes filles, et s’épaississent et s’anoblissent en fonction de l’âge et du statut social, selon les codes culturels du pays en question. Le plus souvent, on passe à la texture supérieure après trois événements fondateurs d’une vie de femme : la puberté, la maternité, et le mariage de la fille aînée, summum de l’accomplissement pour la mère.

Khanga, 101 uses. Guide de portage du khanga, d'hier à aujourd'hui, par Jeanette Hanby.

Si les femmes se sont davantage tournées vers les vêtements occidentaux, mettant en danger l’économie florissante du khanga, celui-ci revient en force, poussé par l’engouement des jeunes stylistes et de leur public pour un retour à la culture des pays d’origine sur le continent, et par l’avènement de la mode ethnique en Occident. Le khanga, messager silencieux, a encore de beaux jours devant lui. 

Entretien avec Bénédicte Kudiman, fondatrice de Beto academy

L'Afrique des Idées a rencontré Beto Academy, une plateforme d'enseignement en ligne qui veut promouvoir les langues africaines et créer de l'emploi sur le continent africain. Sa fondatrice Bénédicte Kudiman revient sur le rationnel derrière la création de cette plateforme d'entrepreneuriat social et leurs ambitions. 

ADI : En quoi consiste votre initiative, pourriez-vous nous donner un aperçu général de vos activités ?

Beto academy est une plateforme d'enseignement des langues africaines (toutes présentées dans notre catalogue) par des enseignants qui résident dans des pays africains pour un public qui vient des quatre coins du monde. Aussi, depuis peu nous sommes sollicités pour réaliser la traduction des textes en langue européenne vers des langues africaines.

ADI : D’où vous est venue l’idée de fonder une académie des langues africaines ? 

Je fais partie de ces enfants qui ont vu leurs parents se priver pour envoyer des sous dans leurs pays d'origine. À la maison, il y a des plaisirs auxquels nous avons dû renoncer parce qu'il fallait aider tel ou tel membre de la famille au pays. Peut-on leur en vouloir ? Dans la plupart des pays africains, les gens ne sont pas payés à la fin du mois, et lorsqu'ils le sont, les sommes sont ridicules.

Nous sommes partis du constat que les autorités africaines n’ont pas la capacité de fournir à tous un emploi tel qu’elles le suggèrent dans leur programme politique. Le pouvoir politique ne  suffit pas pour assurer à tous un revenu suffisant. Le pouvoir est chez celui qui détient de quoi l'acheter…

Nous sommes en mesure de créer de la plus-value. La première matière première d'un pays c'est sa population. Nous sommes créateurs et sources de revenue. La matière première que nous proposons est inépuisable et d'une valeur inestimable : Les langues.

ADI : Quelles sont les modalités d'inscription et le profil type des adhérents ? 

Pour s'inscrire en tant qu'étudiant à une langue il n'y a pas de profil type. Vous pouvez être germanophone, anglophone, francophone. Les cours ont un coût qui reste très accessible. Il y a plusieurs options disponibles, la plus basique au prix de $15/mois inclut 1h30 d’enseignement, alors que la plus avancée au prix de $40/mois propose 4h d’enseignement. Il faut cependant prendre soin de s’enregistrer durant nos sessions d’inscriptions.

Pour ceux qui souhaitent devenir enseignants, nous recherchons des personnes motivées, qui parle couramment la langue qu’ils veulent enseigner, et bien sûr possédant une connexion Internet !

ADI : Comment voyez-vous l'avenir de Beto academy ?

Nous espérons que lorsqu'une personne souhaite faire des affaires ou immigrer dans un pays Africain que l'équivalent du TEF ou du IELTS soit requis. Nous espérons être amenés à la traduction d'œuvres littéraires en langues africaines, mais aussi de films, documentaires, et de chansons. Et bien évidement devenir une académie de référence et reconnue pour l’apprentissage des langues africaines de façon équitable. 

Mais plus sérieusement nous espérons faire partie des plus grands employeurs en Afrique.

ADI : Quel est votre bilan aujourd’hui : le nombre de personnes à qui cela a bénéficié et ce que cela a apporté en plus dans le plan de carrière de ces gens ?

Nous avons à peine un an et deux mois. Il est difficile de dire ce que cela à apporter en plus dans le plan de carrière de ceux qui ont suivi nos cours. Cela dit nous avons pu voir défiler pas moins de 3000 élèves et engager plus de 70 enseignants, c'est encourageant !

N’hésitez pas à contribuer à la cagnotte du projet :

https://www.leetchi.com/c/projets-de-benedicte-16821845

Plus d’informations sont disponibles sur le site de Beto academy :

http://www.betoacademy.com/

 

 

Les nouveaux agriculteurs : Anturia Mihidjai, la femme qui change la vision de l’agriculture aux Comores

nutrizone-agriculture-anturiamL’agriculture est, avec la pêche, le pilier de l’économie dans l’archipel des Comores. Mais elle est de loin la plus plébiscitée. La société lui préfère les emplois de bureau, les hauts postes politiques, et les fonctions culturelles, plus prestigieux en surface que les métiers de la terre. Pourtant, la donne est en train de changer. Entretien avec Anturia Mihidjai, fondatrice de Nutrizone Foods, qui instaure le changement avec une démarche innovante : valoriser les ressources alimentaires locales.  

Pouvez-vous nous présenter Nutrizone Foods ?

J’ai créé Nutrizone Foods vers fin 2014, dans le but de valoriser les produits alimentaires locaux et d’encourager leur consommation par la population a travers la transformation agroalimentaire.

Comment vous est venue l’idée d’entreprendre ?

L’idée de créer une entreprise m’a habitée depuis mes études universitaires au Kenya. L’environnement entrepreneurial Kenyan m’a vraiment impressionné par son dynamisme. J’ai su, durant mes études, que l’entrepreneuriat était ce que je voulais. De  retour au pays en 2012, je me suis dit que l’agriculture était mon domaine : elle me permettait de commencer avec un capital minimal. Je suis partie avec un avantage non négligeable : celui d’être issue d’une famille d’agriculteurs.

Quelles difficultés avez-vous surmonté pour réaliser ce projet ?

Je n’avais pas fait d’études commerciales : je suis infirmière et prothésiste dentaire. Cela a occasionné quelques doutes. D’autre part, il me fallait convaincre ma famille, ce qui n’était pas simple : culturellement, l’agriculture est vue comme un métier dégradant, « sale », aux Comores. Il était impensable qu’ayant fait mes études à l’université, je décide de m’investir dans une telle activité. Mais à présent, mon entourage l’accepte.

L’autre difficulté est liée à la pénétration du marché, l’environnement entrepreneurial aux Compres étant un peu plus compliqué qu’ailleurs pour un concept nouveau comme le mien. Ce n’est qu’après avoir présenté le projet devant un concours entrepreneurial national en 2013, au cours duquel j’ai été sélectionnée, que j’ai compris que je pouvais bien faire quelque chose.  J’ai commencé a m’impliquer, et à chercher des opportunités de formation.

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Farine de sagou, par Nutrizone Foods.

Et l’environnement entrepreneurial du continent africain, était-il plus favorable ?  

En 2014, j’ai été selectionnée par le Programme Young African Leaders Initiative (YALI) grâce auquel j’ai beneficié de ma toute première formation en entrepreneuriat et affaires a la Clark Atlanta University. J’avais toute la motivation dont j’avais besoin, et tout mon temps aussi : les six semaines durant lesquelles je m’étais absentée de mon travail d’infirmière de pharmacie pour suivre la formation du YALI m’ont valu la perte de mon emploi ! Je n’avais donc qu’un seul choix : exploiter ma motivation et les 150 euros que j’avais avec moi.

Aujourd'hui, l'agriculture est encore vue comme un métier de "paysan", donc forcément dégradant, peut-être à cause des relations féodales qu'entretenaient les grandes cités avec leurs serfs, à qui était réservée l'activité agricole…

Avant, j'avais la même vision que celle que notre culture entretient envers l’agriculture et la pêche. A l’école, j’avais honte de dire que ma mère payait mes frais de scolarité en produisant et en vendant des tomates et des feuilles de feleke*. Ce projet, c’est un hommage à mes parents et à leur noble métier.

 Je me rendais dans les champs de ma famille, je cueillais les sagous*,  les cassais et les séchais. Puis je payais pour le broyage et j’emballais ma farine dans des sachets à fermeture zip que je me suis procurés durant mon séjour aux Etats Unis.

 Je distribuais gratuitement les échantillons a des amis en échange de leur avis sur la manière dont je pourrais améliorer le produit. Apres plusieurs essais, j’ai fini par y arriver. L’étape la plus difficile fut ensuite de convaincre les supermarchés et autres distributeurs d’accepter de proposer ma farine dans leurs rayons. Le sagou est un produit qui d’habitude ne se vend qu’au marche local et non en rayons, et j’avais de bien faibles compétences en vente. Le premier magasin à accepter mes produits fut le supermarché Mag Market.

Les plus grands soutiens que j'ai eu, ont été mes coachs et mentors, et un financement de la fondation Tony Elumelu.

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Le sagou n'est vendu que sur le marché; local. Le commercialiser (ici, sachet de sagou précuit) contribue à changer la vision d'un métier essentiel.

Comment avez-vous fait face aux barrières culturelles ?

Ce qui m'a aidé à continuer, c’est d’abord l’envie de me prouver à moi-même que je suis capable de changer les choses, notamment dans un contexte où la plupart des jeunes sont convaincus que pour réussir dans la vie, il faut soit vivre à l'extérieur, soit s’impliquer dans la politique et les nombreux travers dont elle souffre.

Ayant vécu au Kenya, j'ai été contaminée, si l’on peut dire, par cette niaque entrepreneuriale. Je ne suis pas près d'accepter que ce projet échoue alors que chez mes amis, dans d'autres pays, ce concept fonctionne.

* Le feleke (ou bredy mafana à Madagascar) est une plante dont les feuilles sont appréciées pour leur goût proche de la menthe, et utilisées en sauce. 

** Le sagou est une fécule du sagoutier, probablement un lointain cousin du palmier, connue pour ses qualités nutritives.