Reine Pokou est un petit ouvrage de 90 pages, édité chez Actes Sud, mais très grand par son originalité, sa structure, la symbolique qu’il véhicule et dans le courage que prend Véronique Tadjo pour réinventer la légende fondatrice du Royaume Baoulé de Côte d’Ivoire.
Il faut en avoir de l’audace pour revisiter ces mythes africains. Dépasser le cadre de la simple narration pour questionner. Oser dire non. C’est une dimension que j’avais déjà trouvé dans Sia, le mythe du Python une œuvre cinématographique de Dany Kouyaté et sa relecture de la légende de Sya Yatabaré concernant la chute de l’Empire du Ghana (Wagadu) et ses conséquences sur les Soninké.
Une histoire de sacrifice humain pour que l’abondance demeure dans le pays. Sacrifice rompu. Dans son film, Dany Kouyaté transforme les sacrificateurs du dieu Python en une bande de violeurs de la jeune et belle femme promise à la divinité reptile…
La légende de Pokou se construit sur une trame différente avec la même finalité : le sacrifice humain. Dans un premier volet, Véronique Tadjo raconte ce conte que chaque élève ivoirien a assimilé dans son parcours scolaire. Suite à une succession qui tourne mal, une princesse Ashanti –Abraha Pokou- fuit avec ses fidèles l’armée régulière qui à ordre d’éradiquer toute forme d’opposition au nouveau souverain. Elle se retrouve face au fleuve Comoé, limite naturelle qui demeurera infranchissable –selon les oracles- si elle ne donne pas son fils en sacrifice. Elle donne son fils unique. Le fleuve s'ouvre, l'avale le digère puis le peuple traverse et se place sur l'autre berge à l’abri de la furie de l’armée sanguinaire à leurs trousses.
" Ba-ou-li ! ", "Ba-ou-li ! " dit la désormais reine Pokou : l’enfant est mort.
D’où le nom de Baoulé associé à ce groupe de populations de Côte d’Ivoire en hommage à cet acte.
Seulement, alors que la Côte d’Ivoire a connu une période très trouble qui faisait suite à une crise identitaire larvée à savoir l’ivoirité, la romancière pense que le temps du questionnement est venu. D'abord parce que cette légende nous parle d'une migration. Et elle propose pas moins de quatre scénarios différents pour tenter d’offrir une autre alternative au sacrifice de l’enfant et au traumatisme enduré par la mère.
Aucun royaume ne vaut le sacrifice d’un enfant
Car c’est de cela dont il est question. Quoi de mieux que de questionner les légendes et mythes communs dans ce qu’ils ont de retors, dans l’interprétation non renouvelée de leur message et dans le conditionnement de nouvelles générations d’élèves.
La romancière s’attèle à réécrire l’histoire, refonder le mythe ou lui donner une issue moins convenue. Je dois dire que les différentes approches de Véronique Tadjo sont inattendues et vraiment déboussolantes. Juste pour vous mettre l’eau à la bouche, elle imagine une situation où arrivée avec ses troupes devant la Comoé et devant la proposition des prêtres de sacrifier l’enfant, Abraha Pokou oppose un refus, qui entraînera sa perte et celle de son peuple, sa vente à des marchands d’esclaves et par la cale d’un négrier son arrivée avec son fils en Amérique… Il reste quatre autres scénarii à découvrir…
Pourquoi les avoir vendus ? Pourquoi les avoir ainsi condamnés à la détresse pour quelques fusils et pacotilles ?
Ayant fait sa scolarité en Côte d’Ivoire, elle s’est construite avec ce conte. Mais a-t-il un sens encore aujourd’hui :
Aujourd’hui, la légende a perdu sa force magique pour ne plus être que d’une beauté froide et creuse. Certes, les paroles restent plaisantes, mais elles sont aussi devenues dangereuses, tournant dans l’air ici et là, sans savoir où se poser. Elles sont tranchantes. Elles pénètrent dans la tête des écoliers récitant, sans bien la comprendre, l’histoire de cette mère qui a sacrifié son fils.
Enfant dans la guerre. Demain, enfant-soldat.
Ainsi dans les profondeurs de notre inconscient, le mythe dépouillé de sa sève suit son chemin.
Une invitation brève mais intense à la réflexion.
Bonne lecture,
Véronique Tadjo, Reine Pokou
Actes Sud, 90 pages – première parution en 2004
Grand Prix de Littérature d’Afrique noire