Les migrants africains paient cher pour envoyer de l’argent chez eux

transferts_migrantsSelon les nouvelles données de la Banque mondiale, les migrants africains paient plus cher pour envoyer de l’argent à leur famille que n’importe quel autre groupe migrant dans le monde. 

Les migrants de l’Asie du Sud paient en moyenne 6 dollars pour chaque tranche de 100 dollars qu’ils envoient à leur famille, tandis que les Africains paient souvent plus de deux fois ce montant. En Afrique du Sud, où le coût des envois de fonds est le plus élevé du continent, près de 21 pour cent de l’argent mis de côté pour les membres de la famille restés au pays est consacré au paiement de la transaction.

Environ 120 millions d’Africains dépendent des fonds envoyés par des membres de leur famille qui vivent à l’étranger pour leur survie, leur santé et leur éducation. La Banque mondiale soutient que les coûts élevés des transactions limitent l’impact que les transferts de fonds pourraient avoir sur les niveaux de pauvreté.

Pour remédier à ce problème, la Banque mondiale s’est associée à la Commission de l’Union africaine et à certains États membres afin de mettre sur pied un Institut africain pour les transferts de fonds (African Institute for Remittances, AIR), dont l’objectif sera d’abaisser les coûts des transferts de fonds vers l’Afrique et entre les pays africains et d’utiliser les envois de fonds pour favoriser le développement économique et social.

« La Banque mondiale apporte son soutien aux réformes réglementaires et politiques qui favorisent la transparence, la concurrence et la création d’un environnement propice aux technologies de paiement novatrices et aux produits de transfert », a dit Marco Nicoli, un analyste financier auprès de la Banque mondiale qui se spécialise dans les envois de fonds. 
Difficile et coûteux 

Owen Maromo, un ouvrier agricole de 33 ans qui vit à De Doorns, une région viticole de la province sud-africaine du Cap-Occidental, a dit à IRIN que sa famille, qui est restée au Zimbabwe, dépend de l’argent qu’il envoie chaque mois. 

« J’ai une maison là-bas et je dois payer le loyer. Je dois aussi prendre soin de la famille de ma femme et de mon plus jeune frère, car ma mère est décédée il y a quatre ans. » 

« Presque tous les Zimbabwéens qui vivent ici font un budget pour pouvoir envoyer de l’argent chez eux », a-t-il ajouté. « S’ils le pouvaient, ils enverraient de l’argent chaque semaine. » 

Un rapport publié en 2012 par l’organisation non gouvernementale (ONG) People Against Suffering Oppression and Poverty (PASSOP), basée au Cap, et présentant des interviews réalisées auprès de 350 migrants zimbabwéens a révélé quelques-unes des raisons qui font qu’il est à la fois difficile et coûteux d’envoyer de l’argent depuis l’Afrique du Sud. 

Le cadre réglementaire strict qui régit les transferts transfrontaliers depuis l’Afrique du Sud est un obstacle majeur. La législation sur le contrôle des changes exige par exemple que les opérateurs de transferts d’argent s’associent avec des établissements bancaires. Selon PASSOP, cette règle a pour effet de limiter une concurrence qui permettrait d’abaisser les coûts des transactions. 

En vertu de la législation visant à mettre un frein au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, les clients doivent fournir une preuve de résidence et une attestation d’origine des fonds qu’ils souhaitent transférer pour obtenir des services financiers. Cette mesure a pour effet d’exclure les nombreux migrants qui vivent dans des établissements informels et ceux qui sont payés en espèces. 

PASSOP a par ailleurs découvert que, même parmi les migrants qui ont accès aux banques et aux opérateurs de transfert de fonds comme Western Union ou MoneyGram, nombreux sont ceux qui n’ont pas les connaissances financières pour utiliser ces services. 

« Certains d’entre eux arrivent des régions rurales du Zimbabwe. Il leur faut du temps pour apprendre ces choses », a dit M. Maromo, ajoutant que l’absence de document d’identité est un autre obstacle important. « Si vous êtes sans-papiers, vous ne pouvez pas faire appel aux banques. » 

Les trois quarts des migrants zimbabwéens interviewés par PASSOP ont dit avoir recours à des canaux « informels », c’est-à-dire qu’ils donnent de l’argent ou des biens à des chauffeurs d’autobus, des amis ou des agents pour qu’ils les remettent à leurs proches. Ce n’est pas beaucoup moins cher que d’utiliser les services des banques ou des opérateurs de transfert de fonds et c’est beaucoup plus risqué. Parmi les répondants qui ont utilisé ces méthodes, 84 pour cent ont rapporté avoir vécu des expériences négatives comme le vol de leur argent, la perte ou la destruction de leurs biens et d’importants retards dans le versement de l’argent aux bénéficiaires. 

M. Maromo a essayé, une fois, de faire affaire avec un agent qui empochait une commission de 15 pour cent pour déposer l’argent sur son compte sud-africain avant de le remettre à la famille de M. Maromo au Zimbabwe. « Il n’y a pas longtemps, j’ai failli perdre 2 000 rands (225 dollars). Je les ai déposés dans le compte [de l’agent], qui disait qu’il ne les avait pas reçus et inventait toutes sortes d’excuses. Nous avons finalement réussi à récupérer l’argent, mais ça nous a coûté presque 1 000 rands (113 dollars) d’appels au Zimbabwe », a-t-il dit. 

« Certaines personnes demandent aux chauffeurs d’autobus ou à d’autres migrants qui rentrent chez eux de donner l’argent à leurs proches. Vous êtes obligés de leur faire confiance parce que vous n’avez pas d’autre choix, mais il peut y avoir beaucoup de problèmes », a-t-il ajouté. « Il y en a beaucoup qui perdent leur argent. On entend ce genre d’histoire presque chaque jour. » 
Abaisser le coût des transactions 

M. Maromo utilise maintenant un service de transfert en ligne basé au Royaume-Uni, Mukuru.com, qui est populaire auprès des Zimbabwéens qui vivent à l’étranger. Il doit fournir une preuve de résidence et une attestation d’origine des fonds comme avec les opérateurs de transfert d’argent traditionnels, mais le site ne facture que 10 pour cent du montant transféré – moins que la plupart des banques – pour les envois de fonds entre l’Afrique du Sud et le Zimbabwe. 

La Banque de réserve et le Trésor sud-africains se sont engagés à ramener le coût des transferts de fonds à 5 pour cent en assouplissant les règles pour l’envoi de petites sommes d’argent, en négociant avec les organismes de contrôle au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC) au sujet des règles de contrôle des changes et en supprimant le règlement qui oblige les opérateurs à s’associer avec des banques. 

Toutefois, au moment d’écrire ces lignes, la Banque de réserve n’avait pas encore répondu aux questions d’IRIN concernant la façon dont elle a l’intention de mettre en oeuvre ces changements et les délais prévus. 

Selon Rob Burrell, directeur de Mukuru.com, il ne sera pas facile d’atteindre l’objectif de 5 pour cent, car les opérateurs de transfert d’argent doivent débourser des sommes importantes, notamment pour rémunérer les entreprises qui collectent et remettent l’argent aux bénéficiaires, gérer les centres d’appels qui s’occupent d’effectuer les transactions et se conformer aux exigences en matière de licence et de diffusion de l’information. « Il faudrait que tout le monde tende ensemble vers un même but », a-t-il dit. 

Selon M. Burrell, la législation britannique, moins stricte pour les opérateurs de transfert d’argent, permet une plus grande concurrence, mais les contrôles anti-blanchiment qu’elle offre sont beaucoup plus faibles. Pour pouvoir opérer en Afrique du Sud, Mukuru.com doit s’associer avec un établissement local titulaire d’une licence bancaire. 

« Il est plus facile d’obtenir la licence au Royaume-Uni. Il existe 4 000 [opérateurs de transfert d’argent là-bas], contre 12 en Afrique du Sud, mais l’inconvénient, c’est qu’il est très difficile de tous les surveiller », a-t-il dit à IRIN. « Mon dernier audit au Royaume-Uni remonte à quatre ans, car les autorités sont incapables de gérer le volume de licences. » 

 

Un article initialement publié par IRIN, le service des nouvelles et d'analyses humanitaire des Nations Unies.