Une saison au Congo au Théâtre des Gémeaux

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Marc Nzinga dans le role de Lumumba, copyright Michel Cavalca
Je ne laisserai pas s’évaporer le souvenir de cette belle soirée au théâtre des Gémeaux de Sceaux. Frisquette, la soirée. J’ai failli me perdre dans les méandres de cette ville des Hauts de Seine qui recevait sur les planches larges de son théâtre, une interprétation inédite de la pièce d’Aimé Césaire, Une saison au Congo, mise en scène par Christian Schiaretti.

Je découvre ce théâtre et la très belle salle qui va recevoir la grande troupe de comédiens. Un mercredi, à 20h45, la salle est comble. Premier étonnement. Est-ce l’effet du centième anniversaire de la naissance du poète et dramaturge martiniquais ? Est-ce l’écho d’un plan média efficace ? Difficile à dire, quand on sait après coup que Télérama seul a fait un très bon papier sur le spectacle. Peu importe. Le public est là, fidèle et il a le profil habituel. Ce qui dénote d’une certaine ouverture d’esprit quand la scène est envahie par les comédiens. Africains pour la plupart. Une trentaine tout de même.

Après La Tragédie du Roi Christophe,  Une saison au Congo est la deuxième grande pièce de théâtre de l’auteur martiniquais. On retrouve dans cette œuvre, la volonté du dramaturge de mettre en scène des grandes figures qui ont fasciné l’homme de lettres qu’il est. Deux figures haïtiennes historiques, Toussaint Louverture et Christophe, une figure contemporaine africaine, Lumumba. Pas à pas, il raconte les dernières saisons de vie du leader congolais mettant en perspective pour la première fois sur scène les enjeux complexe de l’indépendance d’un pays aussi riche que le Congo Kinshasa. Dans le théâtre de Césaire, la figure idéalisée de Lumumba écrase les autres personnages importants de cette période que furent KasaVubu, Mobutu, Tshombé ou Monseigneur Malula.

Christian Schiaretti réussit une remarquable mise en scène de cette pièce vieille de pratiquement quarante ans. Sans forcément touché au texte. Il en fait d’abord une sorte de comédie musicale bien rythmée.  Quelle justesse. Car, peut-on aborder cette indépendance sans la musique, sans la danse, sans la rumba, sans le cha-cha-cha, sans la Polar et la Primus ? Des décennies d’oppression lourde et d’exploitation sauvage semblent désormais derrière les congolais, et il faut fêter cela en grande pompe. Le Congo va faire danser l’Afrique. Lumumba le premier. Mais les tableaux sont multiples. Tandis que les uns dansent, les autres manigancent. Les enjeux sont trop importants. L'emboîtement des discours respectifs est remarquable et permet au spectateur de pénétrer cette saison troublante avec une forme de désamorçage et d’autodérision des différents acteurs. Des anachronismes réussis se glissent dans le spectacle. Comme cette séquence hip-hop mettant en scène les décideurs belges qui ferait penser à une parodie des Inconnus.

La pièce est avant tout une mise en scène de Lumumba remarquablement interprété, non, remarquablement habité par Marc Nzinga. Les intonations de voix, le profil, la coupe, les lunettes. Si dans les images d’archives, Emery Patrice Lumumba est un personnage qui semble timoré, flegmatique et réservé, ici il est un tribun charismatique qui chaque jour de cette saison congolaise prend le pas sur KasaVubu. Mobutu n’est alors qu’un collaborateur ambitieux. Et naturellement, ces choix surprennent par leur audace et leur folie. Une prise de parole lourde de conséquences dont parfois on se demande si elle était mesurée. Mais c’est cette folie et cette volonté d’imaginer un Congo libre qui a inspiré cette tragédie à Césaire. Folie à laquelle il n’a pas cédé. 

Au-delà du folklore congolais, la célébration de la bière que Césaire avait bien capté et qui demeure l’une des grandes batailles actuelles à Kinshasa comme à Brazzaville, en évoquant Lumumba dans cette saison difficile du Congo, l’antillais porte avec recul, un regard distant sur ces indépendances octroyées avec la conscience que les élites n’étaient pas prêtes. C’est aussi, d’un point de vue humain, la fougue de ces héros africains qui se sont refusés d’avancer masqués orchestrant une forme de suicide ou de sacrifice de leur personne. On voit Lumumba. Mais comment ne pas penser à Sankara ? Certains tournent « mal » comme Sékou Touré, mais une forme de paranoïa finit par saisir le héros congolais tellement le terrain sur lequel il avance est mouvant, l’entourage branlant, l’édifice fragile et les puissances dominantes agissant comme de formidables marionnettistes. 

La mise en scène illustre aussi la tragédie actuelle congolaise avec ses guerres à répétition à l’est, triste héritage des intrigues belges des années 60. Sous un éclairage assombri, le pas cadencé, envoûtant des troupes en treillis et armés, l’œil enflammé fait défiler dans mon esprit les millions de morts qui jonchent l’histoire du Congo…

Terrible saison qui ne s’achève pas. 

 

Une saison au Congo, d'Aimé Césaire

Mise en scène de Christian Schiaretti

Troupe du Théâtre National Populaire de Villeurbanne