Loin de l’Europe et de l’Afrique, le romancier et essayiste français d’origine congolaise porte un regard sur la condition de l’homme noir en France. Le titre ne manquera pas d’interpeller, d’énerver ou de conditionner le lecteur qui abordera ce texte. Mais il est important de rappeler qu’il fait écho à un essai de Pascal Bruckner, le Sanglot de l’homme blanc où cet auteur s’insurge sur plusieurs décennies d’auto flagellation et de culpabilité européenne sur la question du Tiers Monde. On sent dès le départ que si l’homme blanc pleure à chaudes larmes, l’homme noir n’est pas épargné, lui aussi à un gros chagrin. Il est dans l’ère du temps de pleurnicher sur nos angoisses respectives ou communes, c’est selon.
On trouve également dans ce titre, le premier élément d’une intertextualité dont Alain Mabanckou va prendre du plaisir à se servir pour glisser des références littéraires, renvoyant le lecteur à des œuvres explicitant le cheminement de sa pensée. Dès l’introduction, la lettre adressée à son fils est une indication forte qui bien entendue fait penser à la lettre de James Baldwin à son neveu dans son célèbre essai La prochaine fois, le feu. Ici, les mises en garde concernent le danger du conformisme, des postures victimaires sur lesquelles se fonderait une communauté noire de France. La conclusion de cette note est intéressante et elle lance l'ouvrage :
« Je t'ai adressé cette missive comme une sonnette d'alarme afin que tu ne tombes pas dans ce piège. Tu es né ici, ton destin est ici, et tu ne devras pas le perdre de vue. »
Page 20, édition Fayard
Les différents chapitres permettent à Alain Mabanckou de développer avec des tonalités différentes, son point de vue sur de multiples aspects de son parcours individuel l’ayant conduit de Brazzaville, capitale congolaise, à Nantes ancien grand port du fameux commerce triangulaire avant de devenir par un étrange concours de circonstances le centre administratif des archives des français nés à l’étranger.
Tantôt, il met en scène un dialogue intracommunautaire avec la gouaille et l'ironie qui est sa marque de fabrique pour mieux faire entendre la voix de l’immigré noir diplômé contraint aux tâches de vigiles ou d’agents de sécurité. Tantôt le propos de Mabanckou est beaucoup plus technique, quand il règle quelques points sur la posture de certains écrivains, intellectuels d’Afrique francophone, dont il dénonce les postures dogmatiques et militantes sans que celles-ci ne se traduisent par un jusqu’auboutisme de la démarche. En particulier quand il traite de la question de la littérature africaine en langue africaine, l'idée d'écrire sans la France, là où il n’y a pas de politique de promotion des langues nationales dans les structures de l’éducation nationale des pays francophones.
Alain Mabanckou est un excellent funambule qui distribue ses uppercuts avec efficacité et avec équité, comme lorsqu’il aborde la question de l’identité nationale française en l’illustrant à l'aide d'une rencontre faite quelque part aux USA, avec un franco-normand qui interpelle l’essayiste franco-quelque chose sur ses origines. La réflexion de l’auteur sur le regard que ce français que le commun des mortels qualifierait de souche, qui ne peut terminer une phrase sans placer un « you know ? » et qui ne comprend les esquives du nègre forcément originaire d’ailleurs, parlant une langue française maîtrisée, lui dont les parents sont français nés dans une colonie d’outre-mer, dont Brazzaville fut un temps la capitale de la France libre…
Le romancier français parle du parcours singulier de celui qui fut un étudiant en droit à Nantes venu de l’Afrique équatoriale, puis consultant dans une grande boîte française tout en construisant en parallèle une œuvre littéraire à Paname avant d’enseigner les littératures francophones dans le Michigan puis en Californie à UCLA.
Ce texte pertinent n’est cependant pas exempt de tout reproche. Heureusement d’ailleurs. On peut reprendre l’écrivain français sur certains points comme lorsqu’il dit à propos de la Traite négrière :
« Pourtant, il serait inexact d’affirmer que le Blanc capturait tout seul le Noir pour le réduire en esclavage. La responsabilité des Noirs dans la Traite négrière reste un tabou parmi les Africains, qui refusent d’ordinaire de se regarder dans le miroir. Toute personne qui rappelle cette vérité est aussitôt taxée de félonie, accusée de jouer le jeu de l’Occident en apportant une pierre à l’édifice de la négation. »
Page 117, édition Fayard
Quand on pense que l’auteur insiste sur les spécificités des parcours des hommes noirs en France, dont les sanglots sont différents suivants qu’ils viennent des DOM-TOM, des anciennes colonies, d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale, on est en droit de se demander comment il oublie qu’au moment de la Traite négrière, le concept de Noirs n’existe pas en Afrique, mais que ce continent est une constellation de nations qui se font la guerre et dont les prisonniers de guerre des royaumes côtiers servent souvent de ressources pour les négriers. Peut-on parler de trahison à ce moment, dans ce contexte très précis ? Le noir n’est-il pas une identité occidentale qui ne peut s’appliquer au contexte de la capture de l’esclave, quelque soit sa forme ?
Il y a d’autres petites questions qui méritent d’être scruté à la loupe, mais ici, Alain Mabanckou écrit un texte qui fera forcément réfléchir blancs, noirs, arabes, français, africains. Ma critique est déjà un peu longue. Je vous souhaite une bonne lecture en vous espérant nombreux à donner votre feeling sur ce texte.
Par Gangoueus
Edition Fayard, 1ère parution le 4 janvier 2012
Voir l'article de David Kpelly sur cet essai et rendez-vous ce samedi au Musée Dapper avec l'essayiste congolais.
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Merci pour cet article. J'ai suivi A. M sur "ce soir ou jamais" lors de la parution de ce bouquin, mais disons que je suis un peu resté sur ma faim. Je dirai que la problématique du "sanglot de l'homme noir" est problématique; AM lui même pose la question pour savoir quel est le dénominateur commun entre un Noir antillais, un Africain de l'ouest ; un afro américain et un Noir de l'Afrique Centrale, en dehors de leur peau?
J'ai également suivi cette émission où Eric Brunet fait son show pro sarkosiste et Guy Sorman monopolisait la parole. Il fallait faire preuve de violence pour s'exprimer face à certains interlocuteurs parfois de mauvaise foi.
Alain Mabanckou développe la singularité des parcours et rejète l'idée d'une communauté afro-française qui se bâtirait sur des logiques victimaires fagocytantes (permettez-moi l'expression). Son regard est aussi porté sur la manière dont le français que l'on qualifie souvent de souche reçoit, perçoit le français d'origine quelque chose qu'est Mabanckou. Un renvoi à une origine qui un fait racial. Mais, une des réflexions intéressantes de ce bouquin est l'analyse de la fameuse identité nationale française. A suivre…