A l’heure où le FMI préconise à la France de modérer sa politique de réduction du déficit, comme il est curieux de regarder l’envers du miroir. Le film « Bamako » réalisé en 2006 par Abderahmane Sissako traite justement de cela, de la dette impayable et insoutenable qui a écrasé et écrase encore les pays africains et leurs économies et les a obligé notamment -et pas juste accessoirement- à brader leur service public.
Le « Bamako » de Sissako, c’est l’histoire d’un procès, celui que mène la société civile contre les institutions financières qui écrasent le pays, FMI et Banque mondiale. C’est l’hypothèse de la quasi-impunité de ces institutions que le film conteste. Abderahmane Sissako installe la cour de justice dans la cour de maisons que se partagent des familles. Cette superbe trouvaille donne à ce film des résonances toutes particulières.
La justice délaisse son abstraction pour s’ancrer dans le quotidien de ces familles.
Parmi ces familles, le couple de Mélé et Chaka. C’est dans les pas de Chaka qui se rend sur un chantier déserté et par le chant de Mélé que le film commence et c’est par le chant de Mélé pleurant qu’il se termine. Cet encadrement donne au procès cette tonalité de drame intérieur et nous place dans une situation difficile à exprimer.
D’abord, affaire publique dans l’intimité de ces familles, le procès est retransmis ensuite par haut-parleur et le public se presse aussi autour de la cour. Public et privé, l’indistinction est totale. Elle pourrait correspondre de façon toute métaphorique à ces processus de privatisation exigés par le FMI et la Banque Mondiale qui brouille la frontière et affaiblit l’intérêt général. L’Afrique aurait été ainsi le premier laboratoire de ce mouvement de destruction étatique. Elle pourrait être aussi le lieu de réflexion des nouvelles façons de modéliser l’économie…
Dans ce film-plaidoyer, la parole est fleuve. C’est celle de la société civile qui ne peut plus se taire face au hold-up organisé par les institutions financières internationales. Des complices pour sûr, il y en a. Les nuances existent et le renversement de point de vue aussi.
Formidable Aminata Traoré dans ce film. Elle apparaît dans « Bamako » dans son propre rôle. Ecrivaine, militante, il faut préciser le rôle politique qu’elle a pu avoir, ancienne Ministre de la Culture et du Tourisme du Mali de 1997 à 2000. Ici, c’est une écrivaine à la barre appelée à témoigner sur l’oppression qu’exercent ces institutions financières sur l’économie du pays. Et comme l’oppression économique passe aussi par les torsions du langage, cette femme de lettres fait surgir un remède : l’inflexion symétrique du langage ou la stratégie du roseau, pas le roseau qui plie face au vent, mais celui qui, coupé, se transforme en chant.
Aminata Traoré à la barre
« L’Afrique n’est pas victime de sa pauvreté, elle est victime de ses richesses » L’annulation d’une partie de la dette n’est pas un cadeau, « c’est une supercherie »
Aminata Traoré n’est pas la seule personnalité publique à apparaître ainsi dans ce procès, de vrais avocats comme Me Roland Rappaport ou Me William Bourdon aiguisent leurs plaidoiries.
A la barre, un candidat malheureux à l’exil économique qui n’a même pas atteint l’Europe et qui est déjà pourchassé au Maroc et en Algérie, laissé avec ses compagnons anonymes à la sécheresse du Sahara, promis à une mort certaine et pourtant encore là, à témoigner pour ceux qui ne sont jamais revenus… La mondialisation, le monde ouvert, oui, mais pas pour tout le monde.
A la barre, le chant puissant de ce paysan Zengué Semba qui se désole de ne pouvoir récolter ce qu’il a semé.
Le film d’Abderahmane Sissako nous montre de formidables réquisitoires contre ce marché de dupes Ces citoyens avides de justice exigent la condamnation du FMI et de la Banque Mondiale à de vrais travaux d’intérêt général.
On est si transporté par ces vibrants réquisitoires qu’on croirait à un documentaire, délaissant la fiction. Mais on se surprend vite à conclure « ce n’est qu’un film », oui mais un film qui ouvre la brèche…
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Ce film est original. Dans sa forme. Bien que je sois un peu réticent aux postures victimaires d'Aminata Traoré, je pense que, Linda, tu présentes des aspects qui me redonnent envie de voir ce film. Je rajouterai juste que la prestation d'Aïssa Maïga, chanteuse d'un film, est magnifique.
oui et la chanson de Christy Azuma "Naam" est si belle ! malheureusement, je n'ai pas réussi à trouver les paroles traduites…
salut Linda,
J'ai eu le plaisir de revoir ce film en rentrant des vacances à la télé, et je partage ton analyse.
Aurais-tu par hasard une petite biblio de la chanteuse Christy Azuma, je n'arrive pas à trouver quelques traces sur le net
amitiés
Salut Benjamin,
Je n'ai moi-même pas trouvé grand chose et c'est bien regrettable. J'ai l'impression qu'on ne trouve certaines de ces chansons que sur des compilations… Si quelqu'un peut nous éclairer, j'en serais ravie