Les bouleversements sociaux en Zambie dans les années 70 ont mené à une ère musicale flamboyante, fluorescente et funky connue sous le nom de Zamrock, ère qui s’est évanouie aussi vite qu’elle est apparue.
Ces dernières années, la scène musicale zambienne a gagné en importance, notamment grâce aux succès de chansons à caractère politique telles que « Bufi » ou « Donchi Kubeba », la chanson de Dandy Krazy à qui l'on attribue d'avoir changé le cours de la dernière élection en faveur de l'opposition.
La musique en tant que force politique en Zambie possède une longue histoire, en particulier quand on pense à l’âge d'or du Zamrock qui émergea lors des trouble sociaux qui marquèrent les années 70. Tout comme l'Afrique de l’Ouest, la Zambie a elle aussi traversée une période psychédélique caractérisée par des bouleversements sociaux, des pantalons pattes d’éléphants, des couleurs fluorescentes, des coupes de cheveux improbables, le fossé intergénérationnel et une musique puissante.
Aujourd’hui, cette brillante période du Zamrock a tristement sombré dans l’oubli. Mais avec la réédition prochaine des plus beaux joyaux du Zamrock, on est en droit d’espérer que le mouvement va reprendre sa place dans l’histoire et que l’on s’en souviendra à nouveau.
On ne peut pas toujours avoir ce que l'on veut
Comme bien d’autres choses dans l’histoire de la Zambie moderne, l’histoire du Zamrock commence avec l’exploitation du minerai dans la zone de la Copperbelt. Pendant l’ère coloniale, alors que les royaumes précoloniaux de Zambie fusionnèrent en une seule entité politique centralisée, il y eut des changements politiques, économiques et sociaux qui firent trembler le pays et des migrations en masse vers les provinces richement minières de Zambie ; pour les musiciens, cela fut synonyme d’une soudaine ouverture à une multitude de styles musicaux différents. Aux instruments traditionnels : des percussions telles que la vimbuzza « parlante » à son aigu, aux instruments à cordes, comme le babatone, en passant par le kalimba (un piano portatif), s’ajoutèrent les instruments étrangers comme l’accordéon et la guitare, qui furent apportées dans le pays par les classes dominantes Britanniques.
Puis en 1964, à l’époque où le rock occidental, la musique psychédélique et la rumba congolaise (soukous) étaient populaires, la Zambie devint indépendante. Peu de temps après, la station de radio : Zambia Broadcasting Service (ZBS) était fondée.
Durant ces premiers jours de l’indépendance zambienne, la ZBS fit en sorte de mettre l’accent sur les talents musicaux nationaux et fit un effort concerté afin de recenser les musiques cérémonielles, festives et de travail de Zambie à l'échelle nationale. Le président Kenneth Kaunda, lui-même musicien à ses heures, passa une loi visant à ce qu’au moins 95% de la musique à la radio soit d’origine zambienne. Son intention était d’aider à développer une présence musicale intégralement zambienne. Ironiquement, au contraire, sa politique fut l’instrument de la création de l’une des plus intéressantes fusions de styles métissant l’Ouest et le Sud de l’époque.
Start-me up : et le Zamrock est né
Le style musical qui vint à être connu sous le nom de Zamrock finit par incarner la détresse économique qui suivit la crise pétrolière des années 1973-74 et qui plongea la Zambie dans la récession et raviva une multitude de tensions sociales. Le thème de bien des classiques du Zamrock porte cette idée. Par exemple, « Working on the Wrong Thing », de Rikki Ililonga et Musi-O-Tunya parle d’être un travailleur partit bien loin de son village natal, alors que « I’ve Been Loosing », de Chrissy Zebby Tembo et Ngozi Family aborde les injustices quotidiennes.
Le Zamrock en général aborde aussi les bouleversements politiques globaux en Afrique et dans le monde. L’exemple le plus frappant en est « Black Power », de The Peace. La chanson est portée par une simple ligne de guitare wah-wah et est un titre anti pro-rock qui inclus les paroles suivantes : « des noirs d’Amérique, des Rhodésiens de Rhodésie, des Sud Africains en Afrique – 34 ans pour la terre qui est nôtre, nous sortirons toujours pour hurler : Black Power ! »
En prenant en compte le contexte dans lequel il est apparu, les sons, et la façon dont les musiciens du Zamrock se sont illustrés, il est facile de caractériser le genre comme agressif. Paul Dobson Nyirongo, membre fondateur du groupe Musi-O-Tunya – considéré par beaucoup comme l’un des tous premiers groupes de Zamrock- et membre du groupe Ngozi Family, prit le nom de scène de Paul Ngozi, signifiant « danger ». A la même époque, l’un des groupes les plus adulés s’appelait The W.I.T.C.H., un acronyme pour « We Intend to Cause Havoc » (La Sorcière – On va faire des ravages).
Cependant, bien que la dimension politique qui fonde le Zamrock soit incontestable, on doit aussi ne pas oublier que son style a aussi une valeur purement divertissante – on pense à la façon dont il poussait dangereusement à danser, en incluant des éléments de funk à la James Brown et des solos de guitares psychédéliques à la Hendrix. De bons exemples illustrant ceci sont « Like a Chiken », de The W.I.T.C.H., une chanson très tranquille portée sans peine par un rythme de guitare saccadé, et « Size Nine », de Paul Ngozi et the Ngozi Family, qui hypnotise avec sa guitare wah-wah entrainante et ses rythmes saccadés, à quoi s’ajoute la voix douce de Paul Ngozi qui murmure à une belle-mère d’arrêter d’interférer dans les affaires de sa fille.
Paul Ngozi est reconnu pour avoir créé le kalindula, un style bien distinct de Zamrock, qui se caractérise par une guitare électrique principale funky/fuzzy, une rythmique rock/rumba et un mélange de paroles en Anglais et en dialectes locaux. Ngozi était aussi connu pour ses frasques scéniques, tel que jouer de la guitare avec ses dents, et il était adoré par les audiophiles zambiens. Grâce à ses textes poignants et pertinents, il gagna de nombreuses récompenses. Il représenta la musique zambienne en Europe et aux Etats-Unis et partit même en une tournée controversée en Afrique du Sud au plus fort de l’ère de l’Apartheid.
Le chanteur charismatique de The W.I.T.C.H., Emmanuel Chanda, était connu sous le pseudonyme de « Jagari » (une africanisation du nom de Mike Jagger). En fusionnant les rythmiques rock des Rolling Stones, les douces guitares de Cream et les rythmes kalindula locaux, the W.I.T.C.H. fit une tournée dans toute l’Afrique de l’Est et du Sud, du Botwana au Kenya, en jouant face à des milliers de spectateurs dans des stades.
Content de te revoir
Beaucoup de groupes de Zamrock se séparèrent à la suite de la crise économique causée par la baisse du prix du cuivre à la fin des années 70, alors que l’inflation et le taux de chômage augmentèrent. Le déclin du Zamrock fut aussi précipité par les nouvelles stations de radio, de télévision et les clips propageant dans le pays des styles musicaux étrangers, comme le reggae, le ragga, le rythm and blues, le hip-hop et le gospel.
Le piratage musical frappa durement le Zamrock, car en absence de garde-fous, les fraudeurs des pays voisins furent en mesure de faire des profits en vendant et en copiant la musique des artistes zambiens. Bien des groupes de cette ère durent donc quitter leurs activités musicales professionnelles pour se tourner vers d’autres métiers afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Jagari, par exemple, devint professeur puis un mineur.
Mais cela ne signifia pas pour autant la mort définitive du Zamrock. Il survécut en marge et tenta parfois d’essayer de revenir au grand jour et à l’attention des amoureux de musique.
Le dernier exemple en date fut quand Now Again Records réédita quelques uns des plus grands tubes de Zamrock. Cela commença avec le brillant album Africa, le seul enregistrement d’Amanaz, qui fut suivit par l’album Lazy Bones !, de the W.I.T.C.H. et par Dark Sunrise, une anthologie des chansons de Rikki Ililonga et Musi-O-Tunya. La dernière parution est une anthologie de toutes les chansons de the W.I.T.C.H., de 1972 à 1977, en 4 Cds, et plus d’albums de Zamrock sont encore attendus pour fin 2013.
Le Zamrock mérite d’être bien mieux considéré qu’il ne l’est aujourd’hui au regard de l’histoire musicale africaine. Par le biais des rééditions, plus de gens seront heureusement en mesure de découvrir le brio des pairs de 5 Revolutions, avec des morceaux tel que « You don’t know me », et Chrissy « Zebby » Tembo, avec des chansons brillantes telle que « Lovely Nights », dans laquelle la guitare torturée s’associe à la triste voix pleurant la perte d’un être cher. Pendant des décennies, le bien aimé Zamrock a été largement oublié, mais il y a maintenant l’espoir que l’on ait plus à pleurer sa disparition. Les enregistrements ont survécus et le Zamrock est de retour. Permettez-moi d’être le premier à le dire : Content de te revoir !
HENNING GORANSON SANDBERG, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press,
Traduction pour Terangaweb par Gabriel Leroueil
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