Mohamed Ahed Bensouda est un réalisateur marocain avec plus d’une dizaine de films son palmarès. Son dernier film Derrière les portes fermées dépeint une réalité douloureuse du Maroc moderne, le harcèlement sexuel au travail, à travers l’histoire de Samira, jeune cadre dans une multinationale du pays. Ce film fera l’ouverture du 3ème festival international des films de la diaspora Africaine à Paris, le vendredi 6 septembre 2013.
Claudia Soppo : Pourquoi avoir choisi de faire un film sur le harcèlement sexuel ?
Mohamed Ahed Bensouda : Selon moi, il y a une urgence à traiter du harcèlement sexuel. Ce problème est réel, mais il n’y a pas de loi qui permette de protéger les femmes ou de faciliter les procédures juridiques. Ce film est une sorte de cri de guerre pour amener à prendre des décisions sur le harcèlement sexuel. Ma motivation première était donc de mettre à jour une réalité et d’amener le spectateur et la société civile à se questionner sur celle-ci.
En tant que réalisateur, était-ce un défi?
Effectivement, le harcèlement sexuel est un problème qui m’offrait un champ de création large, autorisant de réels moments cinématographiques – de divertissement notamment -, différents de ce qu’aurait permis le viol ou encore les violences conjugales. De plus, je pense qu’en tant que cinéaste engagé, j’avais le droit de réaliser ce film et d’y montrer ma position. Je suis convaincu que de nombreux problèmes que la femme rencontre dans le cadre professionnel sont liés d’une façon ou d’une autre au harcèlement sexuel… Pour moi, traiter du harcèlement sexuel était donc une façon de revenir à la base du problème.
Ce film décrit-il une réalité marocaine actuelle ou est-ce une projection ex-nihilo de votre imagination ?
Ce film est le reflet d’une réalité et d’un problème à résoudre, il est d’ailleurs basé sur des faits réels. Il a l’ambition de montrer un Maroc positif et moderne mais dans lequel la modernité commence à créer de nouveaux problèmes jusque là réservés aux Occidentaux. Je veux parler de cette mixité nouvelle au travail et dans l’administration qui amène la présence de femmes voilées mais aussi non voilées dans des lieux auparavant réservés uniquement aux hommes.
« Derrière les portes fermées » est-il un film est-il féministe ?
Oui. J’ai grandi dans un environnement où les femmes étaient très présentes, j’ai cinq sœurs et aucun frère et également quatre filles auxquelles j’ai dédié ce film. Par conséquent, la femme occupe une grande place dans mes œuvres. Dans Derrière les portes fermées, j’ai choisi de présenter des portraits de femmes différentes. Chacune tente de combattre à sa façon le fléau du harcèlement sexuel qui empoisonne sa vie. On y voit en plus de la femme éduquée qui a un foyer stable et moderne, la femme pauvre qui n’a personne pour l’aider, celle qui au contraire prend sa défense par elle-même ou encore celle qui choisit de s’engager dans la vie associative.
Quel rôle les hommes doivent-ils jouer face à cette question du harcèlement sexuel?
Je pense que l’homme Africain doit évoluer dans sa réflexion face au harcèlement sexuel. Il doit comprendre que le harcèlement n’est pas forcément un acte de violence physique mais peut aussi venir d’une violence psychologique. Quand une femme se retrouve dans cette situation, l’homme doit être à l’écoute pour l’aider à la surmonter. Or, trop souvent dans nos sociétés, l’homme se met à douter de sa femme et à imaginer qu’elle est quelque part, à travers des gestes ou comportements, responsable de son malheur. Il faut apprendre à faire la démarche inverse et surtout ne pas tenter de résoudre le problème par la violence. Vous abordez également la question de la cooptation à travers le personnage du nouveau directeur et on imagine aisément que c’est une réalité courante au Maroc.
Souhaitiez-vous là encore diffuser un message ?
En effet, il est regrettable que les personnes nommées à des postes hauts placés se trouvent toujours être des membres de la famille au pouvoir. Nos dirigeants doivent apprendre à faire confiance à des personnes compétentes et responsables. C’est un message adressé aux gouvernements africains. Le spectateur qui regarde votre film ne peut manquer d’être frappé par sa technicité (à travers les décors, les jeux d’acteurs, les techniques cinématographiques) et vous soulignez vous-même que c’est un aspect qui est régulièrement absent dans les films africains. Comment l’expliquez-vous ? Selon moi, nombre de films Africains ont tendance à négliger des étapes importantes de la réalisation cinématographique, soit par inexpérience ou par faute de moyens. Prenons l’exemple du casting, il est à la base d’un bon film car il détermine la relation des spectateurs avec les personnages. Pourtant, beaucoup de films africains sont encore réalisés sans directeur de casting. Cela nuit au film et le spectateur le ressent. Je suis pour une industrialisation du cinéma africain avec des professionnels dédiés à chaque fonction car c’est là la base d’un film réussi. Vous avez choisi de situer votre film dans un Maroc moderne et en développement, loin des images de cartes postales.
Pourquoi ce choix ?
Je désirais m’éloigner des images folkloriques que le grand public peut avoir du Maroc et j’ai donc porté une attention particulière aux décors. Je souhaitais montrer un Maroc moderne car c’est cette réalité que je vois aujourd’hui et je pense qu’elle représente l’Afrique du futur. Je refuse le cinéma africain qui montre exclusivement une Afrique de la misère et qui est essentiellement financé par les européens. Ces films africains qui se font avec des fonds européens enlèvent aux réalisateurs une partie de leur liberté d’expression -à cause du cahier des charges qui leur est imposé contre le financement – et de fait peinent à montrer une image positive de l’Afrique. Ils deviennent des instruments subtils de propagande pour une Afrique négative.
Bande d'annonce de Derrière les portes fermées
Quel rôle doivent jouer les gouvernements dans le développement du cinéma Africain ?
Les gouvernements doivent prendre leur responsabilité pour le cinéma africain, ils doivent l’aider, notamment en le finançant. A ce moment là, la liberté d’expression pourra exister et nous pourrons également sortir des clichés et proposer un cinéma de qualité.
Un mot de la fin pour convaincre les lecteurs de Terangaweb d’aller voir ce film ?
A travers ce film j’offre un divertissement. Je vous invite à regarder un film africain qui représentera l’avenir de l’Afrique et un divertissement positif. Il vous amènera à prendre position pour le combat des femmes et à l’élaboration de textes juridiques qui défendent les femmes. Propager des idées positives et promouvoir la culture Africaine mais également se questionner sur des problèmes réels.
Derrière les portes fermées a reçu le «Prix spécial du jury au REMI AWARD » au 40ème festival de Houston aux Etats-Unis. Il sera projeté en ouverture du du 3ème festival international des films de la diaspora Africaine qui débute ce vendredi 6 septembre à Paris. S’en suivra un débat avec Mohamed Ahed Bensouda et l’équipe du film.
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