Wolé Soyinka est un homme de théâtre. C’est un paramètre que je ne maîtrisais pas le jour où je suis tombé sur ce texte, il y a quelques années au détour d’un commerce de livres. Appâté par le format de poche, j’ai sauté sur l’occasion de lire Soyinka. Seulement quand j’ai ouvert mon livre low-cost, le soufflet s’est effondré, réalisant qu’il s’agissait en fait d’une pièce de théâtre…
Si le livre a pris de la poussière depuis, cette pièce de théâtre n’a pas pris une ride, bien qu’elle date des années 60. Le sujet principal est la Route. Une route meurtrière. Une route nigériane qu’emploient chauffeurs de gbaka, foula-foula ou taxi-brousse, les grumiers, les camions citernes, les commerçants en tout genre. La base d’observation de tout ce monde de la route est sorte de tripot où coxeurs, chauffeurs, policiers, businessman se retrouvent. L’action est centrée autour de Kotonou le chauffeur et Samson son rabatteur de clients, le coxeur. Traumatisé par un énième accident auquel il a assisté, Kotonou veut lâcher ce métier extrêmement périlleux au Nigéria.
Le portrait que brosse Wolé Soyinka à la fois de la route et de ses pratiquants est celui d’une hydre se nourrissant d’un gibier disponible à satiété. Les cadavres comme les véhicules accidentés sont dépouillés par des charognards. C’est l’occasion de plonger dans un univers de chargements extrêmes des hommes et des marchandises, une corruption comme norme absolue, un espace où la frontière entre flics et voyous n’existe plus. Les personnages sont malicieux, se battant contre la fatalité et cette route carnassière à coup de gris-gris.
C’est l’occasion de faire un rapprochement avec une autre route, celle de Cormac McCarthy. Si la route tue, détruit, dévore chez Soyinka, il est intéressant de constater que chez McCarthy, malgré l’univers décharné dans lequel évolue ses personnages, elle reste le seulement élément fiable et sur de son roman. A un point tel qu’il ne faut point s’en éloigner, de peur de sombrer dans l’horreur absolue.
Celle de Soyinka est imprévisible. Elle se charge elle-même de démembrer l’individu. Alors qu’elle semble constituer un repère pour McCarthy, elle déboussole et fragilise l’individu chez Soyinka. A un point tel que malgré la noirceur de l’univers de l’américain, le lecteur ressort beaucoup plus pacifié de son texte qu’au travers des élucubrations des personnages soyinkiens traumatisés par la route.
Une dernière remarque. Sur le traitement des langues. Entre le yoruba, le pidgin nigérian et le français, il y a quelques subtilités que je n’ai pas saisies. Comme en particulier, ces personnages qui, s’exprimant dans un français (anglais) soutenu passe au pidgin sans crier gare ! C’est un artifice dont je n’ai pas réussi à saisir la raison. De plus, bien que je l’imagine complexe à réaliser, la traduction du pidgin laisse à désirer. Pour le reste, on a envie de voir cette pièce jouée tant son sujet semble intemporel.
Lareus Gangoueus
Edition Hatier, Monde Noir, Collection Poche
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La photo illustre bien le propos de cette pièce de théâtre. Soyinka mais là le doigt sur un phénomène omniprésent en Afrique et qui a des conséquences qui vont au delà du spectre économique. Merci à Lareus pour ce billet.