Le vingt-et-unième siècle a vu de plus en plus de femmes se lever, être à la tête de grosses entreprises, comme Sheryl Sandberg la numéro 2 de Facebook, auteure du best seller En avant toutes, (Lattes, 2013), un livre où elle expose ses secrets de réussite; ou encore Michelle Obama qui est loin de la posture passive de la traditionnelle ‘femme de;’ et qui, bien au contraire est un élément-clé de la réélection de son célèbre mari. Le girl power, le féminisme revisité ou 2.0 de ces dernières années, avec les chanteuses américaines aux courbes aguicheuses, l’empowerment, si vous voulez encore, déifient une image de femmes fortes qui sont de la nouvelle espèce. Chimamanda Ngozie Adichie a pu écrire Nous sommes tous des féministes, suivi des Marieuses; et poser la question suivante :
Pourquoi apprend-on aux petites filles à vouloir se marier? ( Paris, Gallimard, 2015)
Il semblerait que la malédiction ou la fatalité, en tout cas quelque chose qui veut du mal aux femmes, leur donne l’injonction permanente de se lier à.
Les femmes de nos jours voient encore que la réussite de leur vie passerait ‘nécessairement’ par le mariage. Nous parlons ici de nécessité et non d’opportunité ou de projet. L’idée de ‘nécessité’ signifie que celles-ci se sentent obligées de se marier, car leur vie même ou le sens de leur vie en dépendrait. Ici, il s’agit d’un besoin vital. Ainsi, elles peuvent vivre sans un travail, sans la dernière chaussure Louboutin, mais jamais aucune n’oserait même déclarer ne pas avoir envie de se marier!
Une telle affirmation serait accueillie par un éclat de rires de l’assistance ou même de reproches sanglants, la qualifiant d’”égoiste” comme si ceux qui mettaient des enfants au monde étaient des modèles de vertu.
Pareil débat a occupé les questions des Black Women Studies lorsqu’en 1970, sous la houlette de Barbara Smith, elles ont choisi d’orienter leurs luttes non seulement d’un point de vue de l’égalité des races, de l’oppression mâle ou du patriarcat; mais aussi sur celui de l’autonomie sexuelle. “Le genre est politique” pouvait-on entendre dans les rangs des femmes de ce mouvement, et pour beaucoup d’entre elles, le sexuel passait par une affirmation claire, il ne s’agissait plus de nier ce fait; tant qu’à dénoncer, elles avaient donc décider de tout mettre sur la table. (références: B; Smith: Ain’t Gonna Let Nobody Turn Me Around, Forty Years of Movement building with Barbara Smith, State University of New York, 2014).
Il faut dans le domaine du célibat des voix qui se lèvent afin que le diktat du ‘mariage à tout prix’ cesse; mais que ce domaine, certes noble, devienne le résultat d’un libre consentement et non d’une pression. Le regain des études féministes est dû au fait que certaines, surtout des femmes célèbres comme Beyoncé Knowles (ne rigolez pas, les chansons de la chanteuse ont permis à des étudiants américains de s’intéresser aux matières sur le féminisme, si vous ne croyez pas, repartez écouter Single Ladies, Put a ring on it; Run the world…Grils), et Chimamanda Ngozie ont commencé à parler des conditions des femmes dans leurs écrits; et ont ainsi apporté un renversement du regard porté sur le mot même de ‘féminisme’. Ce mot avait été marqué au fer rouge et plusieurs féministes ne se revendiquaient plus comme telles qu’à demi-mots. La faute à cette vague de filles de Simone De Beauvoir, ces ‘laiderons’ qui ne savaient qu’étudier, et qui cachaient, disait-on leurs frustrations derrière leurs revendications. Cette interprétation excessive avait eu pour but de défocaliser les femmes sur la lutte qu’elles menaient de front, et de les maintenir sous dépendances. Certes les femmes ont cherché à revendiquer une liberté que d’aucuns jugeront trop prégnante; mais le fond de leur combat résidait dans la simple liberté de leur choix, et du maintien et respect de leur corps. Les violences masculines, et le contexte social phallocrate n’aidaient pas ces femmes à se sentir rassurées, et elles ont donc utilisé le dernier recours: la rébellion.
Aujourd’hui, petit à petit les choses commencent à changer. La désertion de certains hommes de leurs responsabilités a profité à certaines femmes; et les études pour tous ont permis à certaines filières d’accueillir certaines femmes qui se distinguent de manière tout à fait remarquable. Les femmes comme Oprah Winfrey ont leur propre maison de productions de films et d’émissions de télévisions; d’autres encore sont des chefs d’Etat. Cela change les paradigmes et certains hommes doivent ne plus savoir où ils en sont. Il est vrai que cela modifie considérablement les règles du jeu, car on a l’impression d’une ‘masculinisation’ de la femme, et une perte des valeurs sacrées de celle-ci comme la douceur, la fragilité, la dépendance à l’homme. Bien que ce constat puisse être vrai et même faire peur, il est cependant de l’ordre de notre époque; où les valeurs d'autonomie et de débrouillardise sont louées et enseignées dès l’enfance. L’école y a considérablement contribuée en mettant les jeunes garçons comme les petites filles sur le même pied d’égalité.
Les femmes ne font donc que suivre l’ordre immuable du temps, si bien qu’avec les demandes trop pressantes de notre époque le mariage devient ainsi, une option.
La femme vivant en Occident aura cette tendance à l’autonomie, et ne craindra pas de vivre seule. Le contexte peut considérablement orienter les attentes d’un individu; c’est dans cette optique que les femmes d’Afrique subsaharienne, les femmes d’Afrique du nord en second et certaines asiatiques vont mettre le mariage en tête de liste; là où une Européenne mettra cela en second après l’obtention de son diplôme ou de sa promotion au boulot.
Cette mutation, avant même d’être vue par les hommes est d’abord très fortement ressentie par les femmes elles-mêmes qui se voient ‘différentes’ du mode de pensée de leurs mères (et par rapport à leurs grands-mères, il y a un monde!)
La femme contemporaine est consciente d’être une sorte d’être hybride entre ancien et modernité, écartelée entre deux visions de la vie; et même pour elle, cela est complexe. Les générations futures, les jeunes filles de l’an 2000 auront résolu la question; mais il reste chez les femmes de notre époque une culpabilité enfouie, celle d’être différente de leurs mères. Nombreuses sont celles qui n’assument pas encore le fait de vivre seules, sans homme ni enfants, de payer leurs factures par elles-mêmes ou même de faire de très bonnes études. Elles choisissent toutefois de voir dans les opportunités de travail et de liberté individuelle un asile pour elle.
La femme actuelle est en construction et en affirmation identitaires. Elle doit se construire d’après le passé, ce dernier la contraignant par rapport à ses convictions issues du monde moderne. Toutefois, certaines réussissent l’entre-deux avec maestria, prenant de l’ancien et ajoutant du nouveau. Cet exercice est fragile car de toute façon, les mentalités changent vite; malgré tout, nombreuses sont les femmes qui ont décidé de sortir des carcans de la culture phagocytée, née d’une pensée dominante mâle. Il faut donc aussi que ces hommes-là, puissent accepter la naissance de nouveaux genres de femmes. Mais il faut aussi que les femmes elles-mêmes s’aident. Personne n’est plus critique à l’égard d’une femme qu’une autre femme. Beaucoup trop s’offusquent de voir ‘certaines’ se refuser à une vie maritale ‘avant 25 ans’ (l’âge du Graal), ou même s’y refuser tout court.
Le célibat en définitive peut être une magnifique transition, pleinement assumée; ou un état et un arrêt permanent. Il ne s’agit finalement pas d’être engagé ou pas; mais de rester dans l’état qui nous convient le mieux, qu’importent les sirènes. L’affaire du mariage n’est pas affaire de thiases; c’est une affaire avant tout personnelle.
Pénélope Zang Mba
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C'est un article passionnant que tu nous offres, Pénélope. Si cette problématique est universelle, elle tuche beaucoup les femmes africaines comme tu le soulignes avec une modification des références. Je suis assez conservateur sur ces questions. Mais j'entends le reproche qui est fait aux sociétés patriarcales africaines qui ont besoin de se repositionner sur ces questions. Si nous sommes d'accord pour souligner que nous sommes tous égaux en droit, je ne crois pas cette égalité dépasse le cadre juridique. Je ne crois pas non plus à la supériorité de l'homme ou l'infériorité de la femme, argument qui est tout de suite renvoyer à ceux qui refusent les revendications identitaires de toute sorte. Je crois en la complémentarité. L'homme est lié et s'accomplit avec son partenaire de vie, idem pour la femme. Ils se complètent dans le cadre d'un projet commun avec des rôles différents.
Aussi j'aime beaucoup ta conclusion qui définit le célibat comme un lieu d'épanouissement, de construction, d'accomplissement et… de transition. Ce lieu doit être choisi, naturellement et doit conduire au choix (oui, oui, oui) ou pas du conjoint en toute liberté non par nécessité, et contrainte de la société.
J'aimerais soulever un dernier point. Tu t'appuies beaucoup sur l'exemple du féminisme en Amérique du Nord et si je ne me trompe sur la communauté afro-américaine. Je crois qu'il y a des spécificités qui ne sont pas transposables aux réalités des jeunes femmes de la middle class africaine. Mais c'est un autre sujet.
Comme nous en avons déjà parlé, je vais juste faire un petit rappel: pour moi le célibat est plus qu'une étape; il peut être un état permanent, selon le choix de chacun.La femme est plus que l''aide' de l'homme, dans le cas où celle-ci choisit de vivre seule. Dans ce cas, (qui est de plus en plus choisi, n'en déplaise à certains 'conservateurs') elle est SA propre complétude. Point besoin d'un homme pour se sentir vivre, et épanouie!
Bonjour,
Très bel article ! Je suis toujours ravie de voir de plus en plus de femmes Noires surtout Africaines penser que le mariage n'est plus une quelconque validation. N'en déplaise à ces messieurs qui crient à une occidentalisation des femmes et nous souhaitent une longue de vie de solitude et d'aigreur.
Néanmoins, je rejoins Gangeous sur certaines problématiques des Noir(e)s Américain(e)s que nous avons tandance à s'approprier alors que nous n'avons pas la même histoire. Du moins en tant qu'Africaine je ne me sens pas toujours concernée sur certains faits de société. Exemple banal: La culture des Baby Mama et le child support.
Bien à vous !
Merci pour votre réponse! Oui, c'est vrai, nous ne sommes pas des afro-américains, mais au moins avons-nous en commun la mélanine, et celle-ci nous lie bien plus qu'on ne le pense…sans parler d'une histoire qui nous concerne tous (à des degrés divers, voir The Black Atlantic de Paul Gilroy). Je pense qu'effectivement, comme vous le soulignez, un équilibre est cependant de mise. Mes théories me viennent plus de mes lectures, et de ma formation. Bien à vous.
Petite correction : Sa partenaire de vie…
Votre article laisse entendre que le célibat est plus toléré chez les hommes (en Afrique). Je n'en ai pas l'impression. Après la question physiologique fait se manifester cette pression plus tôt chez la femme.
Mais aucun homme ne sera respecté (en Afrique) s'il n'est pas père de famille (nombreuse de préférence).
Pour les reste, le contexte culturel et l'ouverture sur le rôle plus profond de la femme dans la société en tant qu'être disposant de qualités différentes manque un peu.
Merci bien. J'ai réagi par rapport à ma situation de femme, ne vous privez pas d'écrire sur le cas spécifique à l'homme, ce sera passionnant. Pour le reste aussi je vous ai écouté.
Bonjour Zang,
Tout d'abord merci pour cet article, que je salue en tant que femme mais aussi en tant que lectrice. C'était, à mon sens, courageux d'écrire sur un tel sujet. La seule chose qui me gène lorsque je vous lis, et sauf mécompréhension de ma part, est que vous avez pris le partie de décrire la femme contemporaine comme un être social indépendant possédant le libre arbitre et le choix de décider d'un mariage ou d'un non-mariage de manière consciente et libérée. Or, ce choix, n'en est, selon moi, pas un et reste largement déterminé comme vous le soulignez par l'éducation et le caractère patriarcal de nos sociétés mais aussi et surtout par la condition de la femme au travail (grade, salaire…). Ce problème touche toutes les femmes quelles soient européennes, africaines, asiatiques, que sais-je… et se retrouve, sous des formes différentes mais incroyablement comparables, dans les sociétés occidentales et orientales. La seule différence est que pour les femmes noires occidentales le plafond de verre est double. Un article très intéressant en parle sur cairn : http://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2011-4-page-92.htm. Le sujet de l'employabilité et de la discrimination des femmes au travail est, à mon sens, intrinsèquement lié au statut de ces dernières. Une femme, selon moi, se marie pour acquérir un statut qui lui permet de mieux vivre, d'être stable. Il ne s'agit pas de la réalisation d'un rêve de princesse, mais plus d'un échappatoire à la précarité. Qu'en pensez-vous?
Concernant le féminisme à l'Africaine (si je puis dire ainsi) Léonora Miano fait un travail extraordinaire pour approfondir cette question et dénoncer les stéréotypes qui entourent la Femme Noire. Un très beau texte est paru dans son essai "Ecrits pour la parole (L’Arche)" que je tenais à partager avec vous, pour compléter votre référence au Black Women Studies. Elle a également publié la première Anthologie du plaisir féminin "Volcaniques, anthologie du plaisir" où 12 femmes, issues du monde noir, évoquent la question de l'autonomie sexuelle.
«Je ne veux plus qu’on m’aime Qu’on me sourie Qu’on m’invite au restaurant Qu’on me tienne la porte Qu’on m’offre des fleurs Je m’en fous Oui Je m’en fous Parfaitement Je ne veux plus qu’on m’aime Si je ne peux pas me loger travailler me réaliser arriver tout en haut Je ne veux plus qu’on m’aime si je ne suis pas dans les livres d’Histoire dans les livres tout court A la tête des institutions et de tout ce qui a une tête Je m’en fous qu’on me Courtise Qu’on me trouve sensuelle avec ma voix grave ma cambrure ma peau ambrée mes fesses rebondies ma peau d’ébène mon port de tête ma peau mes jolies tresses ma peau et tout le reste Qui n’est pas moi d’ailleurs mais c’est un autre débat Je ne veux plus qu’on trinque Qu’on se taille une bavette Qu’on se fasse une raclette Ni rien J’en ai soupé de la fraternité sans égalité Ce serait quoi la fraternité si ça ne marchait pas avec l’égalité Ce serait quoi la fraternité ce serait quoi à part une plaisanterie douteuse La fraternité si ça ne marchait pas avec l’égalité». Extrait de "Ecrits pour la parole (L’Arche)".
Merci pour votre contribution. Pour ma part, je reste convaincue que le mariage reste avant tout un choix personnel. Après, d'autres conjonctures existent comme les mariages forcés dans certaines communautés. Je n'ai pas connu ce contexte, et cet article pêche en prétendant identifier 'les femmes du XXI ème siècle '; car il y a toujours des réalités différentes. Je pense toutefois que l'on peut distinguer une nouvelle ère, à laquelle j'appartiens qui dit non au diktat du mariage. Merci pour vos références.
« Il faut donc aussi à ces hommes-là, accepter la naissance de nouveaux genres de femmes. »_Pénélope Zang Mba
Je pense que ces hommes devront faire plus. Ils devront à un moment donné parcourir le même chemin, pour que nous puissions nous retrouver sur la même longueur d'onde, et vivre ainsi une meilleure complémentarité.
Il y en a qui font ce pas, heureusement! Je crois que les 'jeunes' de ma génération ont commencé à 'casser' certaines barrières, comme le congé paternité et l'égalité des tâches ménagères, ou la prise du nom de la femme par le mari (oulala/il y a débat, je ne suis pas forcément pour), etc. Après, très honnêtement, cet article a surtout pour but de dire aux gens d'être eux-mêmes. Certaines femmes aiment les hommes 'old school'. Je crois qu'on a besoin de tout le monde; 'tous les goûts sont dans la nature', dit le dicton. Je refuse juste l'idée d''obligation' ou de 'nécessité'. Chacun est libre de vivre comme il l'entend (sauf quand cela est contre-nature ou choque les moeurs (moralisons, moralisons!). Je ne suis pour ma part pas une féministe 'radicale', juste une personne qui veut se sentir libre de dire; "Le mariage? Je vais peut-être attendre 36 ans…ou peut-être…jamais!" Cette liberté est précieuse, quoi qu'en disent la pression sociale et la tradition. Merci pour votre aimable contribution!