Roger Dehaybe est un homme de culture et un haut diplomate de nationalité belge. Il a présidé le « Comité de réflexion pour le renforcement de la Francophonie » dont les conclusions ont fourni la base du nouveau cadre institutionnel de la Francophonie. De 1999 à 2005, Roger Dehaybe était l’administrateur générale de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF). C’’est donc un homme du sérail longtemps au cœur de l’action de la francophonie qui nous livre son regard sur cette organisation et sur cet espace international.
Bonjour M. Dehaybe. Vous avez piloté la réforme de la francophonie. Quel rôle peut jouer cet espace de coopération dans les relations internationales ?
Il faut d’abord dire qu’est ce que c’était que la francophonie avant et qu’est ce qu’elle est devenue aujourd’hui. La francophonie telle qu’elle a été imaginée dans les années 1960 était pour beaucoup un instrument néocolonial, mais qui, en quelque sorte, a bien tourné. Plusieurs avaient une vision nostalgique et espéraient que, grâce à la langue française, les gens garderaient un même système de pensée. Mais à côté, heureusement, des personnalités ont développé une réflexion plus politique et plus élaborée. Je pense surtout à Senghor et Césaire. Dans les années 1930, des africains, des antillais, des afro-américains, développent, à Paris, une réflexion sur leur identité. C’est de cette réflexion que naitra le concept de « négritude »: nous les Nègres sommes porteurs de culture, de valeurs, et entendons apporter notre pierre à l’édifice de la culture mondiale. Ainsi, ils étaient dans une démarche de refus du modèle culturel dominant européen. Quand Senghor devient chef d’Etat, il milite pour créer une francophonie qui soit un espace à l’intérieur duquel des cultures différentes pourront communiquer grâce à une même langue en commun. Ainsi, quand je parle de ma culture à des Vietnamiens qui me parlent des leurs, grâce à « la langue de partage » on parvient à communiquer, et dans cette démarche, nous renforçons nos spécificités. Dans cet esprit, la francophonie est sans doute la seule organisation internationale qui se propose de développer et de renforcer les différences appréhendées comme une valeur ! Alors que l’UE veut supprimer tout ce qui est différent entre les Européens, la francophonie, elle, est un espace qui veut permettre à chaque culture et à chaque peuple de s’affirmer comme différent de l’autre. C’est assez paradoxal : grâce à une langue de communication internationale, on donne la possibilité à des cultures de s’affirmer et de se renforcer.
A ce propos, il y a un concept avec lequel je ne suis pas d’accord : c’est le terme de « culture francophone ». C’est un contresens. Comme de dire par exemple que la langue française est la « langue des droits de l’homme » : au XII° siècle, les Mandingues avait déjà fait leur propre charte des droits de l’homme. Toutes ces affirmations, ce sont les séquelles de la francophonie des années 1960. Heureusement, elle n’a pas duré longtemps, c’est celle de Senghor qui a gagné.
De manière plus particulière, en quoi la francophonie peut participer au développement de l’Afrique ?
On peut utiliser la langue française comme un outil de développement. Il y a eu une mauvaise lecture de la francophonie qui a longtemps considéré que sa seule finalité c’était la langue française en soi. La langue française est un outil, non un objectif. Quand nous nous battons pour maintenir le français dans l’UE et à l’ONU, c’est pour que les pays francophones ne soient pas marginalisés diplomatiquement, donc on protège des intérêts stratégiques. La défense de la langue française c’est aussi un moyen pour que les pays du Sud francophones puissent garder toute leur place dans les organisations internationales et continuent à se faire entendre sur la scène internationale.
En tant qu’outil de communication, d’échanges, le français est un facteur de développement pour les populations qui le partagent. Ainsi, par exemple dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, 5% des pages internet au niveau mondial sont en français, alors que les francophones représentent 2% de la population mondiale. Les francophones ont donc une visibilité plus forte que leur place réelle.
Est-ce que la francophonie ne se construit pas à l’encontre des cultures des pays qui en font partie ?
Dans toute organisation internationale, vous avez un problème de rapport de forces : la francophonie est principalement portée par la France. La première image qu’on en a, c’est celle de la puissance de la France. Ce n’est pas une critique que je porte, c’est un constat : tous les pays utilisent une organisation internationale pour faire avancer leur propre agenda. Je ne reproche pas à la France de peser sur la francophonie, mais il appartient aux non-Français de faire en sorte que ce rapport de forces reste équilibré.
J’aimerai prolonger votre question sur un aspect qui me tient particulièrement à cœur, la question de l’éducation. A mes yeux, une des raisons de l’échec des politiques d’éducation dans les pays francophones, c’est le fait qu’on alphabétise en français. 95% des enfants en Amérique latine sont alphabétisés dans leur langue maternelle, 70% en Asie et 13% seulement en Afrique francophone. Tout le système francophone d’éducation est resté sur le modèle néocolonial qui ignore les langues locales.
Pour l’enfant européen, sa formation c’est : l’école, la famille, la télévision, internet. En Afrique : l’enfant n’a pas internet, la télévision par intermittence, il lui reste l’école, mais il n’a pas la famille, car quand il rentre de l’école, ses grands-parents ne savent pas lire des livres écrits dans une autre langue. Cessons de croire ou de dire que tous les citoyens des pays francophones connaissent le français. Le dernier et passionnant rapport sur l’état de la langue française réalisé par l’OIF est éclairant : ainsi, par exemple, ce rapport donne pour le Niger, pays fondateur de la Francophonie (Traité de Niamey) le chiffre de 12% de francophones ! On perd l’impact de l’éducation familiale dans la formation scolaire des enfants. L’enfant africain est le seul enfant du monde qui n’a pas la possibilité d’apprendre avec ses grands-parents.
Il existe pourtant une solution alternative : la pédagogie convergente. Les premières années de l’école, on apprend à l’enfant à lire et écrire dans sa langue maternelle, et c’est seulement à partir de l’équivalent du CE1 qu’on lui apprend la langue française. Les expériences pilotes ont prouvé que l’enfant qui a appris le français de cette manière, le connait mieux que les autres : on a un taux de réussite du primaire au secondaire supérieur à celui de la pédagogie traditionnelle. En plus, la pédagogie convergente est moins chère que la pédagogie traditionnelle. Cette approche, qui est celle de l’Amérique latine, de l’Asie, n’est pas mise en œuvre en Afrique francophone si ce n’est de manière extrêmement limitée (expérimental !).
Il y a plusieurs raisons à cela. Le français reste pour tous ces pays la langue de l’unité nationale et territoriale. Si on doit prendre en compte les langues maternelles des uns et des autres, il va falloir faire une politique de décentralisation, alors que le français est la langue de la centralisation. Deuxièmement, il n’y a pas de marché pour les manuels scolaires dans les différentes langues africaines, notamment celles qui concernent des communautés réduites. Les parents ont aussi des complexes par rapport aux langues ethniques, ils préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles classiques. Dans ces cas de figure, la langue française s’oppose en effet aux langues et aux cultures locales, et il y a beaucoup de complices à cet état de fait. Il faut faire attention à ce que le français ne serve pas une politique de répression des cultures et des langues des différents pays. On ne prend pas assez garde à cela.
Propos recueillis par Marwa Belghazi et Emmanuel Leroueil
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Interview très enrichissante, à mon avis à trois égards:
– d'abord parce qu'elle réhabilite Senghor et sa vision de la francophonie, trop souvent décriée alors qu'elle est et reste d'ailleurs très pertinente;
– ensuite parce qu'elle met en perspective la situation de l'Afrique par rapport à d'autres espaces comme l'Asie et l'Amérique latine;
– enfin parce que la solution de la pédagogie convergente est intéressante et mériterait sans doute d'être approfondie. Il reste que la diversité des langues locales au sein de chaque pays demeure une barrière majeure qu'il faudra essayer de contourner…..
Voici d'ailleurs (en complément à l'interview) un lien vers un article publié sur Terangaweb par Thierry Diouf sur l'usage des langues locales à l'école et qui a suscité d'intéressantes commantaires http://terangaweb.com/terangaweb_new/?p=1346
Excellent article ! Bravo Marwa et Manu
Super interessant mais au lieu de toujours limiter les problemes de l'Afrique a la France ou a la langue francaise, peut-etre faudrait-il sortir de notre propre torpeur et endormissement qui fait que nous ne voyons que ce qui nous a ete dit ou montre. Le francais peut-etre mais aujourd'hui la majoorite des pays d'Afrique noire lasses de ce que la France ne leur offre plus des visas aller simples, des credits a n'en plus terminer, et putain la langue francaise refuse de reconnaitre le bon "aloko", "poulet Dg" "cafe-cacao" dans ses dictionnaires, ces pays la disais-je ont tot fait d'embrasser la Chine, la nouvelle mariee, flambante neuve et couverte de tous les bibelots scintillants venus de cet Orient dont hier revaient les Occidentaux. Aujourd'hui dans tous ces pays africains, la langue chinoise prend lentement mais surement l'ascendant dans les moeurs locales. Les Chinois s'inserent dans les differentes couleurs locales, les africains ferment l'oeil et puis demain, on criera apres le francais et la langue francaise, Haro sur le Chinois et compagnie…..Je pense que les pays africains doivent repenser leur politique educationnelle. C'est pas le Francais ou l'anglais, encore moins le chinois, c'est l'Africain qui refuse de penser son avenir puisque de toute facon, dans ce monde metisse, chacun d'entre nous devra absolument parler plus de 2-3 voir 5 langues locales et internationales pour embrasser le monde qui s'offre a tous mais dont les cles ne sont plus seulement le fait d'avoir un billet A/R vers un point X…..
Entièrement d'accord avec TOUS les termes de l'Article. Dans TOUS les Pays qui ont été ou qui sont colonisés par la france, y compris BREIZH (Bretagne, en français), la langue du colonisatuer a été imposée, celle du colonisée, redénommée, pour les besoins de la "cause" "patois", a été écrasée, et, avec elle la Culture locale. Comme le dit un barde BRETON : "quand une Langue meurt, c'est un Peuple qui disparait". Quand on fait disparaître une Langue, volontairement, on commet donc un Génocide "moral". Par contre, pour essayer de sauver de la disparition NOTRE LANGUE, nous avons créé les Ecoles DIWAN, non sans que moultes obstacles soient dressés sur notre route, à l'intérieur desquelles, précisément, nous appliquons la méthode recommandée, à savoir : BRETON en maternelle et jusqu'au CE1, introduction, ensuite, du français et de l'Anglais. Vu, malgré le désintéressant de la france envers notre Langue et notre Culture, pourtant classées "en voie de isparition" au Patrimoine Mondial Immatériel de l'UNESCO, vu donc, le taux de réussite, à tous les niveaux scolaires des élèves DIWAN (Lycée DIWAN classé par le Figaro ET l'Education Nationale 2è lycée de "france", un honte pour cette nation qui nous refuse toute aide) on ne peut que Constater l'efficacité de la "méthode".