Le site d’analyse Pambazuka News, orienté altermondialiste, a publié récemment un très intéressant dossier sur les enjeux de l’accès à l’eau en Afrique, en collaboration avec Transnational Institute et Ritimo. Ce dossier s’inscrit dans un contexte particulier, marqué par deux évènements. Tout d’abord, le vote le 29 juillet 2010 par l’Assemblée générale des Nations Unies d’une résolution qui reconnait « le droit à une eau potable salubre et propre comme un droit fondamental… » et enjoint à cet effet aux « Etats et aux organisations internationales de fournir les ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, en particulier en faveur des pays en développement ». Il s’agit d’une résolution non-contraignante qui aura sans doute peu d’impact réel à court terme mais dont on peut toujours saluer la portée symbolique. Second évènement, la Journée mondiale de l’eau tenue le 22 mars 2011 à Cape Town, en Afrique du Sud, où des chefs d’Etats africains et des bailleurs de fonds internationaux se sont entendus sur la nécessité de faire de cette question une priorité sur l’agenda politique et économique. En effet, le nombre de personnes vivant dans les villes d’Afrique et n’ayant pas accès à l’eau potable à leur domicile ni dans leur environnement immédiat a augmenté de 43% (de 137 à 195 millions) entre 2000 et 2008.
La « crise de l’eau » est vécue par l’ensemble du continent mais se pose de manière particulièrement aigüe dans les milieux urbains. Aux problèmes génériques de l’inégale répartition des sources d’eau et des problèmes climatiques, se pose en plus le problème des infrastructures de pompage, de transport, de potabilisation, de stockage, de distribution pour des communautés humaines beaucoup plus importantes que dans les milieux ruraux, et en plein boom démographique. La plupart de ces installations se sont vites révélées mal entretenues et obsolètes pour répondre à l’augmentation des besoins en eau dans les villes africaines.
Dans son article, Jacques Cambon retrace l’historicité du processus de privatisation des structures de distribution de l’eau en Afrique. Il en situe l’apparition au début des années 1990, les sociétés françaises Veolia (anciennement Vivendi), Suez et la SAUR (ancienne filiale du groupe Bouygues) rachetant les principaux organismes publics de distribution de l’eau en Afrique francophone mais également en Afrique du Sud, au Mozambique, au Kenya… Cette vague de privatisations, conseillée par les bailleurs internationaux, répondait à la logique suivante : le secteur privé sera mieux à même de répondre aux deux grands défis de la distribution de l’eau courante et potable, à savoir l’investissement dans le pompage et le réseau de distribution, et l’expertise technique pour gérer ce réseau à la place des problèmes de mal-gouvernance et d’incompétence du secteur public.
A l’usage, il s’est toutefois révélé que cette logique ne prenait pas tous les éléments en compte. Tout d’abord, pour rembourser les investissements très importants nécessaires à l’amélioration et à l’extension de la distribution d’eau, les entreprises ont dû augmenter les prix du litre d’eau (+40% à Nairobi). Les consommateurs n’ont pas pu suivre cette hausse des tarifs, leur pouvoir d’achat ne pouvant pas supporter tout seul la charge de ces investissements. De plus, comme le font remarquer dans leur article collectif Mthandeki Nhlapo, Peter Waldorff et Susan George1, « les entreprises privées sont incapables de s’attaquer aux enjeux non-financiers du secteur, tels que les économies d’eau, la protection des écosystèmes ou l’équité – pour les femmes et les filles, entre populations rurales et urbaines, entre travailleurs et chômeurs. Et l’argument selon lequel la concurrence est source de plus grande efficacité ne vaut pas pour un monopole naturel comme le service de l’eau et de l’assainissement en milieu urbain. »
A cette vague de privatisations dans les années 1990 a succédé dans la décennie 2000 les révoltes des consommateurs des milieux urbains africains face à la hausse des prix de l’eau. « Veolia a dû se retirer du Mali, du Gabon, du Tchad, du Niger, de Nairobi,… SAUR a quitté la Guinée », constate Jacques Cambon.
(Cet article sera suivi par un autre, "Les villes africaines en manque d'eau", toujours basé sur le dossier de Pambazuka News)
Emmanuel Leroueil
1: Mthandeki Nhlapo est secrétaire général du Syndicat sud-africain des travailleurs municipaux (South African Municipal Workers Union), qui représente près de 140 000 membres qui assurent la fourniture des services publics à l’échelle des collectivités locales.
* Peter Waldorff est secrétaire général de la fédération syndicale Internationale des services publics, qui représente 20 millions de membres dans 150 pays.
* Susan George est l’auteure de 14 livres traduits dans de nombreuses langues et l’un des ‘fellows’ les plus renommés du Transnational Institute pour ses analyses des enjeux globaux.
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