Quel serait l’intérêt d’une union africaine structurée ? Trois objectifs semblent aujourd’hui primordiaux : construire un vaste marché intérieur réglementé, à même de produire la richesse nécessaire pour sortir l’Afrique du sous-développement économique ; pacifier les relations entre Etats et consolider les liens entre les différentes sociétés internes au continent africain, à travers des institutions politiques représentatives et intégrantes ; ancrer l’Afrique dans l’espace mondial et le processus de globalisation.
Pour répondre à ces défis, l’espace continental africain est pertinent à plusieurs égards : en plus de sa cohérence géographique, il existe une communauté de destin historique que l’on ne peut ignorer. Encore plus qu’au passé, l’Histoire africaine se conjugue au présent et au futur : le défi du développement socio-économique et du vivre-ensemble s’impose à l’ensemble des pays du continent.
Ceci étant dit, quel chemin vers l’union africaine ? J’ai déjà indiqué ma préférence pour la stratégie « gradualiste » par rapport à la vision « maximaliste » de l’unité africaine ; j’en expliquerai les raisons en me référant aux trois objectifs identifiés précédemment.
L’histoire des économies de marché et du capitalisme nous enseigne que les réussites se construisent sur des espaces intérieurs intégrés et dynamiques, espaces qui ne répondent pas forcément aux strictes frontières nationales. La puissance économique des différents pays de l’UE s’appuie avant tout sur le commerce et les échanges intra-européens, de même que la croissance économique américaine et portée par le dynamisme de son vaste marché intérieur. Il s’agit là de ce que des auteurs comme Fernand Braudel ou Immanuel Wallerstein appellent des économies-mondes : des espaces économiques qui se structurent à partir de certains types d’échanges (commerciaux, humains), d’institutions (bancaires, législation commerciale commune), d’intérêts (soit intérêts commerciaux comparatifs du type théorie de Ricardo, soit situation structurelle commune).
Prenons des exemples concrets : un industriel sénégalais à tout intérêt à pouvoir écouler sa marchandise au-delà des frontières du seul Sénégal, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso ; cela lui créerait de nouveaux débouchés, donc de nouveaux profits, lesquels lui permettraient de se développer. Au niveau de la compétition productive et commerciale, les industriels ou agriculteurs sénégalais ont tout intérêt à rentrer en concurrence avec des maliens ou ivoiriens plutôt que des chinois ou des français, et cela pour plusieurs raisons objectives, parmi lesquelles ont peut citer le plus haut degré de perfectionnement technologique atteint par ces pays, ou les très larges subventions gouvernementales reçues par certains de leur producteurs. Ainsi, l’évidence indique que pour les pays les moins avancés, le libre-échange ne doit pas tant se pratiquer au niveau mondial, où les distorsions sont trop abondantes, qu’au niveau régional.
Il se trouve cependant que l’Afrique est extrêmement vaste, ce qui pose un problème d’écoulement des marchandises, et que les institutions communautaires économiques se sont historiquement tissées au niveau sous-régional. Ainsi, la situation structurelle du Sénégal, du Burkina et de la Côte d’Ivoire, le type de relations qu’ils sont amenés à tisser, n’a pas grand chose à voir avec celles partagées par l’Afrique du Sud, le Mozambique et l’Angola, par exemple. De plus, historiquement, les pays d’Afrique de l’Est ont une tradition commerciale avec les pays du golfe arabique, et leur économie-monde aurait plutôt tendance à se structurer dans ce sens que dans celui du reste du continent (de même entre le Maghreb et l’Europe). D’évidence, à une hypothétique économie-monde africaine, l’urgence de la situation impose de concentrer tous les efforts d’intégration économique en développant les acquis sous-régionaux (CFA, banques centrales sous-régionales, circulation des populations). Dans ces ensembles, les dernières barrières à l’échange doivent tomber, la législation commerciale, le contrôle budgétaire et les stratégies de développement économique doivent s’harmoniser, et l’effort de solidarité s’imposer.
Cet effort de solidarité implique que ces sous-ensembles régionaux ne soient pas réduits à la seule dimension économique ; ils doivent également recouvrir un aspect politique. Rappelons l’objectif, qui est double : pacifier les relations entre les Etats africains et consolider les relations entre les différentes sociétés du continent. Le nœud gordien du problème politique revient à créer les conditions d’un véritable pacte social à l’intérieur et entre les Nations africaines. Trop de pays ont été créés à la va-vite, se sont surimposés aux structures sociales précédentes (tribus, ethnies, etc.), sans que les populations se sentent intégrer dans le nouveau système. Les crises au Kenya, en RD Congo, Côte d’Ivoire, ou le vieux problème de la Casamance pour trouver un exemple local, illustrent ce malheureux état de fait. De plus, le découpage arbitraire des frontières nationales par les forces coloniales fait que ce problème d’intégration des populations ne se pose pas seulement à l’intérieur des frontières d’un Etat particulier, mais implique souvent la plupart de ses voisins proches.
Comment, avec ce problème de représentativité et d’intégration des institutions politiques nationales, penser pouvoir sauter directement à l’échelle continentale ? Un gouvernement africain serait extrêmement éloigné des populations, et on se demande quelle autorité il pourrait recouvrir sur des territoires comme la Somalie, où l’échelon national est déjà une coquille vide ?
Il faut aussi se méfier des poncifs du genre « le peuple africain ». Un tel peuple n’existe pas encore, il faut le créer, et cela prendra du temps. Il n’est que de voir les préjugés teintés de sentiment de supériorité des Sénégalais sur les « Niaks », la manière dont les Nigérians sont traités en Afrique du Sud, où comment les Sud-Sahéliens sont accueillis en Afrique du Nord. Il n’est que de voir que le peuple ivoirien se cherche encore. Il ne s’agit pas là d’un handicap définitif ; tout cela peut être dépassé, il faut juste que les beaux discours n’oublient pas cette réalité.
Les ensembles sous-régionaux, CEEAC, SADC, CEDEAO, doivent initier le rapprochement des populations proches à travers des institutions communes politisées, et non pas seulement technocratiques. Ces institutions doivent également former un cadre contraignant visant à rationaliser l’état de droit des Etats membres, ainsi que leur fonctionnement démocratique. Des politiques culturelles et sociales communes doivent servir de ciment à ce rapprochement. Les différentes sociétés civiles devraient alors emboîter le pas, et propulser le mouvement social panafricain, à leur échelle sous-régionale.
Il ressort de tout cela le fil directeur à l’action panafricaine : le principe de subsidiarité. Ce principe affirme que toute décision politique doit être prise à l’échelon d’efficience idoine : le pouvoir doit être réparti selon les compétences au niveau local, régional, national, sous-continental, continental. S’agissant de la scène mondiale, la plate-forme la mieux adaptée reste l’Union africaine. L’Afrique doit dès à présent apprendre autant que possible à parler d’une seule voix au reste du monde. Elle doit aussi continuer à s’accorder sur des principes communs, comme elle l’a déjà fait autour des valeurs démocratiques. Le reproche principal adressé à l’UA est de ne pas avoir les moyens de ses ambitions et de ses beaux principes. Ainsi, si elle a rendu illégaux les coups d’Etat, dans les faits, à part une non reconnaissance diplomatique dans les premiers temps, elle a souvent du plier. Il faut que l’UA s’appuie beaucoup plus sur les instances sous-régionales ; ce n’est pas là diluer son pouvoir, mais le renforcer. Il doit appartenir à l’UA de définir de grands principes et des règles communes, et aux instances sous-continentales de les faire respecter, soit par la concertation, soit par des mesures de rétorsion ou d’intervention.
Voici résumé mon plaidoyer pour une approche gradualiste de l’union africaine.
Emmanuel Leroueil
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Bonjour,
Juste pour vous demander si je peux avoir l'adresse mail des ressources humaines parceque je veux envoyer un mail à ces derniers concernant mon problème.
Merci et bonne journée.