Les médias ont principalement retenu du récent sommet de l’Union africaine, du 1er au 3 février dernier à Addis-Abeba, l’élection du leader libyen Mouammar Kadhafi à la présidence de l’UA, fonction essentiellement protocolaire d’un mandat d’une année. Fidèle à ses lubies, ce dernier a précisé au parterre de chefs d’Etat africains venant de l’élire qu’il convenait désormais de l’appeler “roi des rois traditionnels d’Afrique”. Les observateurs n’ont pas manqué de souligner le ridicule de la situation, qui ne rehausse pas l’image de cette institution, et plus largement du continent africain. Mais au-delà de cet évènement qui reste, somme toute, anecdotique, la 12e Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA s’est révélée autrement plus importante concernant un sujet essentiel : la stratégie à mettre en place pour un gouvernement d’union fédérale africaine.
Il a été décidé lors de cette 12e Assemblée de remplacer le statut de l’actuelle Commission de l’UA dans le courant de l’année 2009 par une nouvelle instance exécutive, censée préparer l’avènement d’un gouvernement d’unité continental. Reste à connaître exactement la nature de cette nouvelle instance, mais on peut préjuger qu’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction, celle d’un renforcement du pouvoir de la Commission de l’UA. Permettons nous cependant de douter qu’un tel renforcement conduise à court terme sur un gouvernement d’unité continental. Permettons nous même de douter de l’utilité d’un tel gouvernement, à court terme, pour l’Afrique.
Le projet d’une Afrique fédérale unie est vieux comme l’histoire politique moderne du continent, à savoir l’ère des décolonisations. Il est peuplé de figures tutélaires idéalisées, tel Kwamé NKruma. Il n’y a là rien d’étonnant, puisqu’un tel phénomène de mythification se retrouve dans tous les projets d’union continentale : on peut penser à Simon Bolivar pour l’Amérique latine. Il est toujours utile de se référer à des pères fondateurs à l’idéologie et au comportement gommés de toute aspérité pour populariser ses propres idées, pour créer autour un halo de communion et un terreau de mobilisation. Le problème qui se pose est la récupération démagogique de ces projets mobilisateurs. Aujourd’hui, il ne coûte rien de s’affirmer panafricain et cela rapporte beaucoup. Mais ce genre de facilité est très peu propice à la réflexion sur le « que faire ? ».
Le dernier congrès de l’UA a souligné les dissensions quant à la stratégie, à la feuille de route menant à l’union africaine. D’un côté, ceux qu’on a appelé les “maximalistes” : ils veulent tout, tout de suite. A leur tête, l’actuel président de l’UA, Mouammar Kadhafi, épaulé par de brillants tribuns panafricains, comme le président Abdoulaye Wade. La plupart des pays d’Afrique de l’Ouest apportent leur soutien plus ou moins tacite à ce camp, sans que l’on sache si c’est par conviction ou par fidélité envers le parrain Kadhafi. L’union fait la force, disent-ils, et l’Afrique a plus que jamais besoin de s’unir pour peser sur les relations internationales et défendre ses propres intérêts. Le « peuple » africain est prêt à un tel changement, mais ce sont les élites et les chefs d’Etat qui s’accrochent à leur souveraineté nationale, à leur pré-carré de pouvoir. Une fois ce blocage levé, tout irait bien dans le meilleur des mondes. Quand l’on connaît le rapport au pouvoir de chacun de ses “maximalistes” pris individuellement dans son propre pays, on se prend à rêver avec eux d’une Afrique aux chefs d’Etat aussi désintéressés.
La deuxième stratégie d’union africaine est défendue par le groupe dit des “gradualistes”, qui rassemble la plupart des Etats d’Afrique Australe, de l’Est ou des grands Lacs. Ces derniers penchent pour un renforcement des structures sous-régionales, du genre de la CEDEAO et de l’UEMOA en Afrique de l’Ouest, avant de penser à un gouvernement fédéral. Pour les “maximalistes”, ce genre d’idée ne peut être tenu que par des tièdes, des « faux patriotes à la cause africaine ». Pour ma part, je penche entièrement du côté des “gradualistes”, et je pense qu’une vision aussi simplificatrice du processus d’union africaine que celle défendue par les “maximalistes” ne lui rend pas service. J’essayerai de défendre mes idées dans un prochain article sur ce même sujet.
Emmanuel Leroueil
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