Et si le racisme, cette fâcheuse tendance dont nous aimons tant blâmer les autres, prenait racine chez nous, en nous, dans nos foyers ? Il s’agit, dans cet article, non pas de ce que Frantz Fanon nomma plus justement « haine de soi », mais d’une forme de racisme qui se rapproche de la xénophobie. J’ai choisi de parler de celle qui sévit encore aux Comores, archipel connu pour son brassage multiculturel, et dont les mœurs sont encore, malgré un léger progrès, bien loin d’atteindre l’idéal du melting pot. Comme tout cas de xénophobie, ce cas a sa propre histoire.
Washenzi, ou les barbares d’Afrique de l’Est
Les missionnaires Européens arpentant l’Afrique de l’Est se sont heurtés à une curieuse dénomination destinée à ce qu’ils appelaient une « mystérieuse tribu » rejetée par les habitants de la région : Washenzi. Depuis, Shenzi, un terme Swahili signifiant « sauvage », « barbare », a fait son petit bonhomme de chemin vers l’archipel voisin des Comores. Le terme fut d’abord attribué aux esclaves Makuwa importés de la côte mozambicaine. Ceux-ci, installés dans des cantons selon un système proche du féodalisme européen, étaient relégués vers l’intérieur des îles, soumis aux descendants d’Arabes venus de Zanzibar et constituants de la noblesse comorienne. Aujourd’hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne toute personne aux habitudes sales, indécentes, ou, dans les accès de colère, une famille ou un village dont la physionomie des habitants rappelle les ancêtres Africains…Une connotation qui agit encore aujourd’hui sur les choix de mariage.
Sabena, les rescapés de Madagascar
Une compatriote me racontait un jour l’histoire houleuse de son mariage avec un jeune homme dont sa famille ne voulait pas. Les raisons du refus étaient motivées par un argument simple : ce jeune homme était un Sabena.
La compagnie aérienne belge éponyme a joué un rôle majeur dans les années 70s, et son nom est resté dans les mémoires comme un hommage à l’un des conflits les plus destructeurs entre deux populations. Cette période, qui fut celle des indépendances et d’une toute nouvelle fragilité économique et identitaire aux Comores et à Madagascar, fut également le théâtre d’une haine latente entre les Comoriens immigrés sur la Grande Ile et les habitants de celle-ci. Le 20 décembre 1976, l’année suivant l’indépendance des Comores, un incident apparemment minime donne lieu à une escalade de violence qui coûtera la vie à 2000 Comoriens. Le gouvernement comorien fait alors appel à la compagnie belge Sabena pour rapatrier ses ressortissants. Démunis, traumatisés par l’expérience, certains ayant adopté les habitudes et la langue de leur pays d’accueil, d’autres étant des métis Comoriens-Malgaches, les rescapés hériteront du nom de la compagnie qui les ramena sur l’archipel. Aujourd’hui, comme une sangsue laissée par l’histoire sur une identité nationale qui se cherche encore, les « Sabena » sont encore méprisés par une partie de la population.
Beau comme un Arabe, un Indien ou un Blanc
Aujourd’hui, le résultat de ces préjugés est encore visible, même s’il s’est fondu dans des mœurs de moins en moins marquées par la division raciale de la société. On dit spontanément d’un nouveau-né qu’il est beau dès lors qu’il a la peau plus claire que la moyenne ; on se moque « gentiment » quand il naît avec les oreilles foncées, prélude à une pigmentation prochaine. On dit d’un homme bien habillé et plus basané que foncé qu’il est « beau comme un Arabe », d’une femme aux cheveux lisses et à la physionomie évocatrice qu’elle est « belle comme une Indienne ». Et si les parents rechignent moins à laisser leur enfant épouser la personne de son choix, quelle que soit sa couleur dominante, le changement dans le mode de pensée n’est visible qu’à l’échelle insulaire. Car entre les quatre îles qui composent ce petit archipel de quelques 700 mille habitants, les clichés ont, comme en n’importe quel pays, la vie dure. Ainsi, les habitants de l’île d’Anjouan sont des « travailleurs acharnés », mais des « fourbes dont il faut savoir se méfier » ; ceux de l’île de Mohéli de « simples paysans qui reculent sans cesse face au progrès » ; ceux de l’île de Mayotte les « traîtres » (parce qu’ils persistent à rester dans le giron Français) et des « incultes » ; les trois groupes sont nommés avec condescendance Wamassiwa, « Gens des îles », par les habitants de Ngazidja, et le nom français de cette île, Grande-Comore, n’offre qu’un aperçu de l’image que certains habitants gardent de leur terre (la plus grande île, celle dont la langue est mère des « dialectes » parlés dans les autres îles).
Touhfat Mouhtare
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Cette question du racisme est très présente dans la littérature comorienne. Enfin, je ne la lisais pas comme un racisme, mais ton commentaire m'y incite et elle nous renvoie à ces stratifications qu'on retrouve dans toutes les sociétés où l'esclavage a connu ses heures de gloire. La littérature permet d'observer la prise de conscience ou pas de ces aliénations culturelles. Dans le roman de Fathia Radjabou, cela apparait dans la nouvelle Zahara. Dans le recueil de nouvelles Les âmes suspendus on retrouve des expressions métaphoriques extrêmement présentes en littérature haïtienne quand les auteurs de cette île veulent marquer les différences dermiques. J'ai trouvé très intéressant de constater qu'une auteure comorienne aie dans son traitement, les mêmes images. Miel. Ebène. Caramel. Café crème. Les haïtiens sont extrêmement forts sur ce sujet. Et finalement, j'en arrive à penser que c'est surement l'île francophone où le racisme est le plus violent.
Ici, ton article est intéressant parce qu'il prend le parti de déconstruire ces schémas.
On parle des Comores. Mais, il y a une vingtaine d'années, les burkinabé en Côte d'Ivoire étaient des sous-hommes. Dans l'inconscient des congolais de Brazzaville, entre un zaïrois et un serpent, la préférence allait pour le serpent. Ikwérékwéré est l'appelation péjorative par laquelle les sud-africains désignent les africains noirs immigrés dans leur pays. Karlouch dit-on avec mépris aux subsahariens en Algérie…
Il est de bon ton de crier au racisme en France à l'endroit des noirs, des arabes. Mais, si on devait faire une focale sur les pays d'origine des discriminés et dénoncer racisme, xénophobie, tribalisme dans ces pays, notre humanité se porterait mieux.
Très bel article et très bon commentaire de Gangoueus
Merci de faire ressortir ces traits de racisme ou de xénophobie qu'on oublie souvent.
Merci pour ton commentaire Gangoueus. Il est en effet essentiel de sortir des schémas, à la fois ceux basés sur la couleur et ceux qui mettent en avant les problèmes d’un pays comme étant plus graves que ceux des autres. Une fois les noms effacés et les langues unifiées, on s’aperçoit que l’on rencontre partout la même architecture …
Commentaire: Ça fait partie de notre Histoire plus que Douloureuse. Un Hetitage qui comporte des bonnes comme des mauvaises choses. Il ya aussi l'Alienation Mentale de certains Comorien(nes) l'igorance fait dire n'importe quoi à certaines personnes. Nous devons lutter contre les préjugés pour construire un vivre ensemble à chacun aura sa place sans distinction. Le statut social ne défini pas la qualité d'un Homme.
Tres belle analyse! J'avoue que j'ai les poils qui se hérissent lorsque j'entend quelqu'un se faire traiter de mchendzi.