Dans les pays d'Afrique francophone, on s'est aperçu au cours des années que l'utilisation exclusive du français dans l'enseignement causait de graves difficultés. En effet, les personnes scolarisées en français se retrouvaient déculturées par rapport à leur milieu d'origine et, lorsqu'elles avaient bien réussi leurs études, elles voulaient quitter le village pour la ville afin d’obtenir des postes de fonctionnaires. On s'est aperçu que l'utilisation exclusive du français comme langue officielle et d'enseignement est un facteur de sous-développement : elle provoque l'exode rural et détruit l'économie locale. En fait, les personnes bien scolarisées sont très souvent improductives (que ce soit des fonctionnaires ou des chômeurs) ; les véritables producteurs (paysans, pêcheurs et artisans) sont soit illettrés, soit mal scolarisés. L'éducation vise en principe à apporter à l'enfant des connaissances et une formation qui lui permettront de devenir un adulte responsable et autonome. Mais l'éducation scolaire en Afrique francophone, bien souvent, ce n'est pas ça. C'est essentiellement apprendre la langue française, et réciter ses leçons par cœur sans les comprendre. L'ensemble du système éducatif est copié sur le modèle français et il forme des personnes qui veulent ressembler à des Français, mais non des personnes qui font évoluer leur milieu de l'intérieur en se fondant sur les réalités locales. Le but pratique des études scolaires est essentiellement d'obtenir des postes de fonctionnaires, et vu que désormais il n'en reste plus, l'Afrique noire est remplie de chômeurs diplômés.
Les pays africains qui sont les plus scolarisés et où l'on connaît le mieux le français sont en fait les plus déséquilibrés. C'est le cas du Congo-Brazzaville qui a connu des guerres civiles et des massacres inouïs ces dernières années (notamment en 1999). Il faut encore remarquer que la non-utilisation des langues africaines empêche les notions modernes de pénétrer dans la vie de tous les jours, contrairement aux pays asiatiques où la modernité s'intègre dans les cultures locales. Par exemple, les programmes visant à filtrer l'eau, les campagnes de lutte contre l'excision ou le sida, ou les actions en faveur de la protection de l'environnement sont totalement inefficaces si elles sont menées en français et non dans les langues locales. Elles apparaissent aux yeux des populations comme une lubie des étrangers, et on dit « oui-oui » pour ne pas avoir d'histoires et obtenir une aide financière.
Il est vrai maintenant que les Africains souhaitent eux-mêmes connaître des langues européennes afin de s'ouvrir sur le monde. L'idéal serait donc d'associer les langues africaines et une langue internationale telle que le français. C'est une idée qui est souvent évoquée dans les pays francophones. Il y a eu des tentatives dans ce sens dans certains pays africains. En particulier au Mali, pays où il y a des programmes d'alphabétisation en langues africaines et des classes primaires expérimentales. Cependant, ces projets sont, en partie, des échecs pour des raisons rarement évoquées, qui sont exposées ci-dessous.
Des alphabets modernes en caractères latins ont été conçus depuis une trentaine ou une quarantaine d'années pour écrire les langues africaines des pays francophones (notamment au Mali). Or, ces alphabets ont été conçus par des personnes ayant une triple caractéristique :
– C'étaient des spécialistes de linguistique, qui utilisaient systématiquement l'alphabet phonétique international pour transcrire les langues africaines, comme on leur avait appris durant leur cursus universitaire. Alors que cet alphabet a été conçu pour faire des recherches de phonétique et non pour créer des alphabets. Le résultat est que la majorité des langues africaines des pays francophones sont écrites avec des caractères phonétiques spéciaux qui sont absents de la plupart des polices de caractères en usage chez les imprimeurs et sur Internet.
– Ces linguistes étaient généralement dénués de tout sens pratique. Ils ne connaissaient rien aux techniques de la presse, de l'édition et de l'imprimerie, et ils s’imaginaient que les industriels allaient construire du matériel d’impression conforme à leurs désirs et leurs directives.
– C’étaient souvent des nationalistes culturels qui voulaient totalement rompre avec l'influence française, et qui donc ne se posaient pas le problème de la coexistence du français et des langues africaines (paradoxalement, ils furent soutenus par certains milieux politiques qui voulaient entraver l’usage écrit des langues africaines et les cantonner dans le simple domaine de la recherche universitaire).
Le résultat est que le système graphique conçu pour les langues africaines est parfois si éloigné du français, qu'un bachelier est incapable de lire sa propre langue maternelle, qu'il n'arrive pas à reconnaître. Pour qu'il y ait un développement des langues africaines, il faut des systèmes graphiques plus proches des conventions habituelles de l'alphabet latin, de façon à ce que les personnes scolarisées puissent avoir accès directement à ces langues sans nouvel apprentissage, et de façon à ce que les éditeurs et imprimeurs locaux puissent travailler sans problème. Quant aux paysans qui ont suivi des programmes d'alphabétisation dans leurs langues maternelles, ils peuvent être capables d'écrire des lettres personnelles ; mais ils n'ont aucun livre à lire, vu que les éditeurs et les imprimeurs ont trop de difficultés à publier dans ces langues. L’une des raisons du succès du swahili en Afrique orientale est justement que sa graphie ne crée pas une rupture insurmontable avec celle de l'anglais. Il est facile d'être alphabétisé en swahili et de passer ensuite à l'anglais. En ce qui concerne les langues africaines, un pays anglophone tel que la Tanzanie montre la voie à suivre.
Dans les années 1990 au Mali, sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré, il y eut une tentative de réformer le système d'éducation primaire, selon deux principes :
— Faire un enseignement adapté aux réalités locales et fournissant des connaissances pratiques utiles, qui ne soient pas purement livresques.
— Associer la langue africaine locale et la langue française, avec passage progressif de l’une à l’autre.
Cette réforme a été un échec complet. D'abord pour les raisons que l’on vient d'expliquer (l'incompatibilité entre les alphabets officiels africains et le système français). Ensuite, pour d'autres raisons :
– L'opposition des instituteurs qui avaient le sentiment que leur profession était rabaissée, si on leur demandait d'enseigner les langues africaines. Cela les remettait totalement en cause.
– L'opposition des parents d'élèves pour qui le but de l'école était effectivement d'apprendre le français, moyen de promotion sociale (même illusoire).
– Le fait que simultanément Alpha Oumar Konaré essayait d'introduire Internet un peu partout, alors qu'il est impossible d'écrire les langues africaines sur un email avec la transcription qui avait été choisie.
– La difficulté d'imprimer dans les langues africaines avec le système officiel du Mali.
Si, dans l'enseignement scolaire, l'on veut associer le français et les langues africaines, de façon harmonieuse, il est indispensable de repenser le système graphique de ces langues et il faut cesser de les considérer avec mépris. Mais actuellement, la situation est totalement bloquée. En fait, elle ne fait qu'empirer. Partout, on dit qu'il faut plus d'éducation pour sauver l'Afrique. Mais si le système scolaire n'évolue pas, plus il y aura d'école, plus y aura de chômeurs diplômés. Et plus il y aura de chômeurs diplômés, plus il y aura de guerres civiles, pour s'emparer des quelques malheureux postes de fonctionnaires (comme on l'a vu au Congo-Brazzaville, et comme on le voit maintenant en Côte d'Ivoire).
Conclusion
La conclusion à laquelle nous arrivons est évidente. Il est indispensable d'associer le français et les langues africaines dans l'éducation scolaire comme dans les autres secteurs. Mais, pour que cela soit possible, il est nécessaire que l'on réforme légèrement les alphabets des langues africaines en supprimant les caractères phonétiques et en les remplaçant par des caractères latins normaux. Par ailleurs, il est probable que si les langues africaines se développent dans l'usage écrit, il y aura de nombreuses publications avec des mélanges de langues (européennes et africaines). Il ne faut donc pas créer des systèmes graphiques trop antagonistes. Si l'on arrive à simplifier la graphie des langues africaines, il sera possible de créer une interface entre elles et les langues européennes, et de développer une collaboration mutuelle. Tout le système scolaire s'en trouvera amélioré. Il sera alors possible d'avoir une éducation scolaire qui ne coupe plus l'enfant de son milieu.
Les seuls pays africains où il existe actuellement une utilisation réelle et généralisée des langues locales dans l’éducation et l’administration sont les Etats anglophones de la zone bantou. Leurs langues nationales se contentent des caractères latins normaux et, grâce à cela, elles sont aussi largement présentes sur des sites Internet. Il s’agit de pays tels que la Tanzanie, le Kenya, le Zimbabwe ou le Botswana. Espérons qu’ils serviront de modèles aux pays francophones.
Gérard Galtier, "Les langues africaines, l'éducation et l'édition"
NDLR : Terangaweb a publié la première partie de cet article sous le titre : Panorama des langues africaines
Crédit photo : http://www.abcburkina.net/ancien/photos/alfa_peul/alfa_p_55.jpg
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Je pense que cet article fait partie d'un ensemble qui serait plus argumenté sur certains points – j'espère – car certains raccourcis sont regretables…
1 – "En fait, les personnes bien scolarisées sont très souvent improductives (que ce soit des fonctionnaires ou des chômeurs) ; les véritables producteurs (paysans, pêcheurs et artisans) sont soit illettrés, soit mal scolarisés"
Pourquoi mettre le poids de ce constat sur la langue française et non pas sur le système éducatif qui tend à dénigrer les métiers "populaires" – artisanat – au profit des statuts de rond de cuire ?
Comme le dit l'article nous avons hérité d'un système EDUCATIF français, et en France même il y a eu – il y a – le même phénomène de desertion des métiers de l'artisanat quand on fait des études. Je ne vois donc aucun rapport avec le fait de parler exclusivement français ou non, mais plutôt le système de valeur qui est véhiculé.
Ne pas oublier également que pendant des années, le système colonial a mis en avant les "administrations", qui étaient synonyme de pouvoir et de richesse, et les africains (francophone) ont gardé longtemps dans leur inconscient le fait "fonctionnaire = réussite"
2 – "Les pays africains qui sont les plus scolarisés et où l'on connaît le mieux le français sont en fait les plus déséquilibrés. C'est le cas du Congo-Brazzaville qui a connu des guerres civiles et des massacres inouïs ces dernières années (notamment en 1999)"
Là encore, le raccourcis est malheureux. Le Congo Brazza a été pendant longtemps l'un des pays au monde (oui, monde) le plus alphabétisé, en français, et cela expliquerait les guerre civiles !? Que dire alors de la RDC ou l'utilisation du français est pendant moins prégnant, notamment dans l'EST du pays ? Que dire de la Tanzanie, de l'Angola avec ces 20 ans de guerre civiles, etc… Encore une fois, que vient faire la langue la dedans ?!
Pour revenir au Congo Brazza, le français est la langue officielle mais il y a 2 langues nationales (lingala et kituba) qui sont parlé peu ou prou dans les grandes villes, du sud notamment. A la télé il y a toujours eu des journaux d'information dans les 2 langues en plus du mythique journal de 20h, en français. En RDC c'était le lingala et le swahili (le tshiluba ? je ne me rappelle plus). Le lingala est également enseigné à la fac de Brazza.
Donc le Congo Bazza, où le français est largement répandu, a tout de même gardé ses langues dans l'usage courant, même si, comme beaucoup de pays francophone, le français était largement imposé.
Autre point que l'article ne soulève pas, sur le Congo, le pays compte à peine plus de 3 millions d'habitants, pour près de 200 langues vernaculaires (!). Et même si le choix du lingala et du kituba ont été imposé par les gourvenant post-décolonisation, je laisse imaginer ici les disputes fratricides qu'il y aurait si l'on décidait d'imposer ces 2 langues là dans tout le pays. L'utilisation du français permet une neutralité "ethnique" dans la langue
3 – Et d'une manière générale, cet article néglige cet aspect; le français reste LA langue officielle dans beaucoup de pays d'Afrfique (et l'anglais pour les anglo) simplement parce qu'il permet une neutralité dans le patchwork ethnique que sont nos pays artificiellement créé. Dans l'exemple que l'auteur donne (le Mali), cet aspect est négligé. Imposer le Bambara aux Malinké ou aux Peuls…
A de rares exception près (Swahili, Wolof), les langues parlé ne touchent pas de grands bassins de population. Même le lingala en Afrique central ne touche – grosso modo – que Brazza, Kinshasa et quelques rares personnes à Bangui. Comment voulez-vous l'imposer aux autres populations ?
4 – Boubacar Boris Diop a édité en Wolof (Doomi Golo, 2003), avant de re-traduire son ouvrage en français car les personnes qui lisent, en français, n'arrivaient pas à le lire en Wolof (et ça n'a rien à avoir avec les caractère graphique). Il faudrait, comme vous le suggerez, imposer l'apprentissage du Wolof pour éviter ce phénomène ? Je propose à ceux qui le pense d'aller en Casamance et leur dire qu'on leur impose le Wolof…
5 – Il est prouvé que ceux qui comprennent plusieurs langues différentes développent des capacité intellectuelles (adaptation, réactivité…) importantes, de mon point de vue il fuat donc apprendre le plus de langues possibles, les comprend, les parler. Mais le mouvement de convergence vers une langue commune d'échange est inéluctable. Ce ne sera surement pas le français mais l'anglais, et les pays francophones devraient mettre le paquet dans l'apprentissage, dès le primaire, de l'anglais si l'on veut participer au développement économique. L'allemand est à considérer de plus en plus aussi d'ailleurs.
Bravo joss, je suis totalement d'accord avec toi sur tous les points. je suis à yaoundé Cameroun.
L'article souffre en effet de quelques raccourcis, notamment les deux qu'a souligné Joss. Toutefois, ces petits défauts n'enlèvent pas son intérêt à la thèse centrale de l'auteur, qui me semble tout à fait pertinente. Cette thèse revient à accorder toute leur importance aux différentes langues africaines et notamment à l'alphabétisation dans la langue maternelle de l'enfant, tout en soulignant la jonction nécessaire avec les grandes langues véhiculaires que sont le français et l'anglais. Pour cela, l'auteur recommande d'harmoniser l'alphabet sur le modèle des langues internationales, de sorte que l'enfant ne soit ensuite pas perdu et que la langue africaine puisse être plus facilement communiquer avec les autres langues.
C'est en sorte trouver les moyens de faire en sorte que la diversité des langues trouve à s'exprimer dans la cohérence et l'efficacité. L'article ne mentionne pas le fait de privilégier telle ou telle langue au Mali ou ailleurs, et ne récuse pas non plus l'utilité des grandes langues internationales que sont l'anglais et le français. Quant à l'opinion courante comme quoi il y aura progressivement une seule langue qui s'imposera à toutes les autres de manière définitive, je ne la partage pas et ne pense pas qu'il s'agit d'une perspective souhaitable.
Lirashe:
Comme tu as pu le voir, dans mon commentaire je ne remet pas en cause les aspects "techniques" de l'article, n'y connaissant rien en linguistique, mais bien l'interprétation qui est faite de certains constant et qui sont tout de même une part importante de l'article.
Quand tu dis "il n' s'agit pas de privilégier telle ou telle langue…", moi je suis dubitatif. Il y a plus de 200 langues au Congo Brazza, plus de 1000 en RDC, si l'on veut enseigner les langues il faudra bien faire des choix, des priorités et je trouve cela normal. La seule chose, c'est que dans beaucoup de pays, il n'y a pas de langue qui se soit imposée de façon incontournable comme peut l'être (à priori) le Wolof ou le swahili. Au Gabon, en Côté d'Ivoire ou en Angola par exemple.
Quand au fait que l'avenir soit à une unicité de la langue pour les échanges, moi j'en ai la conviction, et j'ai aussi la conviction que cela ne voudra pas dire la mort de la diversité linguistique. Les pays scandinaves (Suède et Norvège que je connais un peu) sont les seuls endroits où on peut discuter avec quasiment n'importe quel taxi en anglais. Ils ont un niveau d'anglais très supérieur aux pays du sude de l'Europe, mais ça n'a pas tué leurs propres langues (en tout cas pas à ma connaissance)
Unicité de langue d'échange veut, pour moi, dire multilinguisme quasi obligatoire car il faudra pouvoir parler SES propres langues en plus des 2 ou 3 langues qui s'imposent au monde.
Encore d'aacord avec ta réponse Joss!! Pour moi le seul point positif de l'article est et je carricature un peu, c'est qu'il ne sert à rien de chercher à s'éloigner des caractères latins (imprimerie, claviers etc…). Moi aussi ici au cameroun j'ai constaté que certains linguistes ont une propension à fabriquer des n avec au dessus des trémas, des virgules etc… ou des cercles.. ça n'a pas de sens a mon avis. car au lieu d'apprendre la langue, les apprenants vont encore passer du temps à déchiffrer des lettres inconnues. Merci à l'auteur.