A travers cet article, Terangaweb inaugure une nouvelle série dans la rubrique Histoire, dédiée aux conflits qui ont marqué le continent Africain et constituent des moments certes douloureux, mais aussi décisifs. Il s’agira non seulement d’analyser les différentes dimensions de ces conflits, des acteurs impliqués et des conséquences pour les peuples concernés, mais aussi de les replacer dans leur contexte régional et international.
Le Mozambique a connu, durant près de trois décennies, deux conflits particulièrement meurtriers, qui ont non seulement eu un impact fort sur ses habitants, mais aussi sur l’Afrique australe, et au delà, ont constitué un des terrains d’affrontement de la Guerre Froide. Avant de traiter de la guerre civile qui fera rage jusqu’en 1992, il convient de remonter à la lutte indépendantiste, conflit colonial qui dura de 1964 à 1975.
Le contexte : une des plus vieilles colonies du monde
Présents sur le littoral de l’océan Indien dès 1498 à travers les expéditions de Vasco de Gama, les Portugais établirent une présence durable dans la région, d’abord avec des comptoirs commerciaux dédiés au commerce des esclaves, puis remontèrent le Zambèze et explorèrent l’intérieur des terres. Dès le XVIème siècle, des colons s’établirent dans ces territoires, et développèrent la culture du sucre et du coton. En 1752, le territoire du Mozambique sera ainsi doté de sa propre administration, concentrant tous les pouvoirs aux mains des gouverneurs militaires et maintenant les populations locales dans un état de servage.
Néanmoins, et à partir du XIXème siècle, le déclin de leur empire colonial et l’établissement d’autres puissances dans la région (Britanniques et Français), obligea les Portugais à réformer le système. Ils accordèrent à trois compagnies privées le droit d’exploiter les ressources de la majeure partie du territoire pendant cinquante ans. Plusieurs siècles de colonisation maintinrent le Mozambique dans un état de sous développement chronique et sa population dans une situation d’extrême pauvreté.
Le régime dictatorial de Salazar amorça une nouvelle ère, qui visait à pleinement intégrer le territoire à la métropole. Des organes représentatifs furent mis en place, mais réservés aux seuls colons, et des investissements furent consacrés au développement des infrastructures de la région. Parallèlement, l’émigration Portugaise vers les colonies fut encouragée, ce qui fit passer le nombre de colons au Mozambique de 30.000 en 1930 à 200.000 au début des années 1970. En 1951, alors que les premières revendications autonomistes se font entendre, le Mozambique est proclamé province d’outre-mer par le Portugal.
Le déclenchement de la lutte
Encouragés par un contexte régional mondial favorable à la décolonisation, des groupes nationalistes voient le jour pour exprimer les revendications de la population rurale et illettrée qui forme la majorité des habitants du Mozambique, et réclamant la fin du système colonial. Sous l’impulsion de l’intellectuel Eduardo Mondlane(1920-1969), sociologue formé aux Etats Unis, et avec le soutien de Julius Nyerere et Kwane Nkrumah, un Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) est formé le 25 juin 1962 à Dar es Salam (Tanzanie) pour réclamer l’indépendance du pays.
Après deux ans de structuration, et suite à l’échec de tentative de libération pacifique, le FRELIMO décide de déclencher la lutte armée à partir de 1964.Depuis sa base arrière en Tanzanie, il mène des campagnes de plus en plus structurés en territoire Mozambicain. Mais les quelques milliers d’hommes que compte l’aile militaire du FRELIMO demeureront toujours en large infériorité numérique face à l’armée Portugaise, qui déploie jusqu'à 24000 hommes en 1967, et recrute autant de soldats localement.
Les enseignements du conflit
Deux facteurs ont permis au mouvement de se maintenir : le soutien de la population, influencée autant par la perspective de l’indépendance que par l’idéologique communiste du FRELIMO, et le soutien international dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, l’Union Soviétique et la République Populaire de Chine livreront des quantités importantes d’armes au mouvement, alors que l’Algérie assurera la formation militaire des combattants.
La guérilla menée par le FRELIMO a également su prendre avantage du terrain accidenté et boisé, ainsi que du climat de la région, en menant des attaques lors des périodes de fortes pluies pour empêcher l’aviation portugaise d’exprimer sa supériorité aérienne. Les mines anti-personnelles utilisées massivement par la guérilla ont par ailleurs contribué à affaiblir le moral des troupes coloniales et à rendre l’ennemi encore plus insaisissable.
Alors que le conflit s’enlise, le Portugal a su mobiliser ses alliés de l’OTAN pour développer des moyens de lutte anti-insurrectionnelle. En particulier, la mise en place de troupes d’élites rapidement transportables par hélicoptères et l’usage systématique de l’aviation, ont permis aux forces Portugaises de lancer des contre-offensives qu’elles espéraient décisives, telle que l’opération Nœud Gordien en Juin 1970 qui a mobilisé prés de 35000 soldats. Les ratissages de l’armée Portugaise et la politique de regroupement forcée des populations visait par ailleurs à couper la guérilla de son soutien populaire. Cette radicalisation du conflit s’accentue après l’assassinat du leader du FRELIMO Eduardo Mondlane, tué par l’explosion d’un colis piégé déposé dans son quartier général à Dar es Salam.
Le temps de l’indépendance
Après plus d’une dizaine d’années de lutte, la guerre d’indépendance du Mozambique devint une guerre d’usure qui instaura un doute profond jusqu’au sein de l’armée portugaise, des autorités et de la population de la métropole. La légitimité de la lutte anti-insurrectionnelle sera davantage ternie par la révélation de massacres commis par l’armée Portugaise à l’encontre de civils soupçonnés de soutenir le FRELIMO, tel que celui des villageois de Wiriyamu en 1972.
Economiquement, les guerres coloniales (au Mozambique mais aussi en Angola) plombaient les finances du Portugal (40% du budget national) et accentuaient son isolement sur la scène internationale. Ces conflits constituent l’un des facteurs du déclenchement de la Révolution des Œillets en avril 1974, qui mit fin au régime dictatorial et accorda leur indépendance aux colonies portugaises, plusieurs années après la fin des dernières colonies Britanniques et Françaises sur le continent Africain. C’est ainsi l’armée qui aura menée ce changement politique majeur à partir de la métropole, exténuée par des années d’effort inefficace et déterminée à mettre fin à un dangereux statu-quo colonial en ouvrant des négociations qui déboucheront sur l’indépendance du Mozambique, le 25 juin 1975 (soit 13 ans exactement après la création du FRELIMO).
Avec un bilan de plus de 3500 morts pour l’armée portugaise, 10 000 morts pour les combattants du FRELIMO et 50 000 civils tués durant le conflit, la guerre d’indépendance du Mozambique est l’une des luttes de libération les plus meurtrières du continent, un des fronts de la Guerre Froide et un conflit riche d’enseignements historiques, stratégiques, et humains. L’indépendance du Mozambique ne fut néanmoins qu’une étape sur le long chemin vers la paix, qui allait passer par une guerre civile longue et particulièrement destructrice.
Nacim KAID SLIMANE
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