Fausse piste ? Intentionnelle ? Peut-être, peut-être pas. Beautiful est une femme médecine peule. Son père est commis de cuisine pour un colon qui se prend d’intérêt pour elle. Elle aménage dans sa demeure. Un couple mixte dans les années 30 en Afrique de l'ouest est perçu comme une parfaite anomalie. D'autant que Beautiful semble être une femme totalement libre, complètement atypique… Elle parle, mais sa voix se tait rapidement dans le texte pour laisser place à d'autres voix…
Sa petite-fille, plusieurs décennies après, part à la quête de Beautiful, recherche de traces, de témoignages pour cerner ce personnage emblèmatique de sa famille et sans l'aval de ses parents, plutôt sceptiques quant à l'utilité de ce voyage aux sources. Si cet itinéraire permet au personnage narrateur de pouvoir traverser mers et monts, pour revenir à cette Afrique à la rencontre de cette femme dont on ne saura que des bribes son histoire personnelle, il serait faux de penser que cette quête est centrale dans ce texte.
Plutôt que de se caresser le nombril, la narratrice conte des destins de femmes qu'elle a croisée dans la rue, dans le métro, dans des foyers pour femmes, dans sa famille… Et c'est ce regard très intime, très fort qui porte ce roman magnifique où au fil des rencontres sont brossées des portraits de femmes violentées par la société, un compagnon, un père, un corps, portraits de femmes en souffrance et marginalisées. Une violence contenue que la rencontre va révéler et permettre une nouvelle approche, ou, tout simplement un retour arrière après la vision d'une crane explosée de la femme plume, un regard triste sur ces batailles qu'elle n'avait plus la force de porter seule.
Parfois la tragédie de ces femmes se télescope soit avec la propre histoire de la narratrice celle de Beautiful, son aïeul. Beautiful. Belle mais aussi forte. Muriel Diallo nous parle de ces deuils auxquels son personnage cabossé par la vie ne sait jamais résignée.
Avec une boîte de carton comprenant des éléments intimes de Beautiful, la narratrice tente d'affronter sa réalité en se référant à cette figure qui semble si stable dans son esprit. J'ai beaucoup aimé le ton de ce roman. Je ne sais pas si l'on doit parler ici de femmes puissantes. Plutôt de femmes brisées qui luttent contre vents et marées. L'intelligence de ce texte est qu'il ne nous présente pas cette réalité en rose. La parole libérée, l'écoute attentive libère parfois, mais parfois il est trop tard. La fin du roman est de la même qualité, avec un resserrement du propos sur elle-même, la narratrice, qui a force d'avoir bourlingué, confronté à ces univers, finit par être insensible au don qui peut lui être fait. C'est un coup de coeur.
Extrait : Face à l'horreur, le rêve est une alternative. Parole de Tao
"Tu vas me dire que Icare l'a fait. Et que tout le monde sait comment son vol a fini! Mais moi, je n'ai plus rien à perdre. Pour un peu l'envol… J'ai laissé ma peur sur la terre des Hommes, et en ce moment, ma peur ronfle dans mon lit jusqu'à n'en plus pouvoir auprès de mon père.
Je tends les bras, je ferme les yeux et me jette du haut du pont. Je vais m'écraser, je m'écrase? Non. Je ne m'écrase pas, je vole, je vole comme un oiseau. Comme j'aime m'élever! Je me penche un peu, je tournoie dans les airs. Un aigle, je suis un aigle. Je ne veux plus me réveiller. J'admire là-bas d'étranges plantations. Rien de commun ni déjà vu."
Page 81, Editions Vents d'ailleurs
Bonne lecture.
Muriel Diallo, La femme du blanc
Editions Vents d'Ailleurs, 184 pages, 1ère parution en 2011
Voir également l'interview de l'auteure
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